95 / Apprentissage

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Camille se concentrait sur la cible. Juste une canette en alu vide. Pas de quoi fouetter un chat. Le but de l'opération était de former une pointe de terre qui la transpercerait de manière longitudinale sans toucher aux deux gobelets d'eau qui étaient disposés de chaque côté.

Naïm avait déterminé que ce qui lui manquait le plus, concernant son pouvoir, c'était la finesse, la précision et la délicatesse. Il avait ajouté avec malice, qu'il devinait que ce trait de caractère lui manquait peut-être également dans la vie. Camille ne voyait pas de quoi il parlait. Elle était très « délicate », mais seulement quand elle le jugeait nécessaire, c'est tout....

Elle donna son ordre, et une pointe large comme un ananas, vint propulser la canette et les gobelets en l'air, dans une spectaculaire gerbe d'eau. « Merde ! » pensa Camille, « pas assez délicate ».

Naïm qui se trouvait, derrière elle, eut un petit hoquet d'amusement, tandis que la jeune fille, qui était assise en tailleur par terre, se laissait tomber en arrière, bras en étoile.

— Je n'y arrive pas. Et je me demande même à quoi ça sert.

— La finesse a son utilité au combat. Imagine que tu doives combattre une horde d'ennemi ici. Nous finirions ensevelis et probablement morts. Imagine que tu doives toucher un ennemi trop proche d'un allié. Les gobelets d'eau sont ton Kachnefer. Essaye.

Camille se redressa et pensa à Dresden. Immédiatement une vague de chaleur l'envahit. Ensuite, lorsqu'elle l'imagina en danger, - ce qui n'était pas bien difficile -, elle sentit monter une vague de colère qui emportait tout. Elle donna son ordre, et la canette que Naïm avait replacé, fut transpercée par une longue aiguille fine et tranchante sans qu'aucun gobelet ne frémisse.

— Efficace, se contenta de dire Naïm. Nous sommes sûrs maintenant que tu seras capable de ne pas tuer Asterios en tentant de le protéger. Ce qui serait bien, c'est que tu arrives à protéger tout le monde avec la même efficacité, finit-il en recouvrant la tige acérée de lianes et de feuilles luxuriantes qui firent disparaître la canette.

— Est-ce que ce ne serait pas plus efficace de la mettre à la poubelle ?

— Cette canette fait partie des vestiges de notre époque. Elle est moins grandiose que le temple dans lequel nous nous entraînons, mais elle est représentative de ce que les hommes d'aujourd'hui sont capables de produire.

— Des déchets.

— Des déchets et de la misère. Mais rassure-toi, il y en avait aussi à mon époque. C'est juste qu'ils étaient moins nombreux et plus prompte à disparaître rapidement.

— Je peux vous demander quand vous êtes né ?

— Ma première ou ma seconde naissance ?

— Vu votre apparence, elles ne doivent pas être éloignée l'une de l'autre, non ?

— En effet. Et mon histoire t'intéresse ?

— Je suis curieuse, et l'histoire est mon domaine d'étude.

— Allons bon. Si nous survivons à ce qui se profile, ne va pas écrire ce que je vais te raconter, hein ?!

— Ça n'arrivera pas, promis.

Naïm lui lança un petit regard en coin avant d'avancer en claudiquant vers la sortie.

— Je suis né dans un palais comme celui-là à l'aube des dynasties égyptiennes, comme les dieux. Je faisais même partie de leur famille.

— Vous êtes l'enfant d'un dieu ?

— Je suis né de la sœur de l'un d'eux. Elle ne voulait pas participer au pouvoir. Elle préférait bâtir la légende de sa fratrie plutôt que d'y participer elle-même. Et puis, elle était jeune et amoureuse. Elle m'a enfanté et m'a protégé autant qu'elle le pouvait. Mais cette époque était difficile pour les enfants. Si j'avais réussi brillamment à éviter les maladies mortelles, j'avais malheureusement développé un mal qui rongeait mes os. Je grandissais mal. Je n'étais pas droit. On se moquait de moi, malgré mes efforts pour apprendre comme les autres garçons à être un adulte. Lorsque j'eus vingt ans, une fièvre terrible s'empara de moi, et les prêtres étaient tous unanimes sur ma mort prochaine. Mais ma mère refusa cette éventualité, et pour la première fois, elle alla demander une faveur à son frère. Elle voulait que je vive. Mon père était mort sur un champ de bataille, et elle refusait de me perdre moi aussi. Son frère, malgré mon apparence, accéda à sa demande en faisant de moi l'un des siens. Il pensait sans doute que je ne survivrais pas à la transformation dans mon état. Mais la vie est joueuse et gagne parfois contre la mort. Je survécus. Et me voilà aujourd'hui. Pas de grand guerrier pour moi. Juste un jeune homme souffreteux.

De notre sangWhere stories live. Discover now