51 / Braver les interdits

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L'île était loin d'être déserte comme l'avait pensé Camille. Et les Znūntāks étaient loin d'en être les seuls habitants. De l'autre côté du volcan, une petite ville de plusieurs milliers d'âmes s'était développée, isolée du reste de l'île par les remparts rocheux de la montagne. On y accédait exclusivement par la mer. Sa configuration étrange, et sa beauté attirait les touristes par bateaux entiers. C'était aussi là que les Znūntāks se ravitaillaient quand ils prenaient leur quartier dans leurs résidences paradisiaques.

En réalité, l'île leur appartenait. Et tout ce qui n'était pas le volcan et la ville, était leur domaine réservé. Aucun rempart pour les protéger. Aucun besoin. La nature se chargeait de les isoler. Le volcan possédait la particularité de dissimuler sur ses flancs des crevasses profondes et mortelles. Personne ne se serait risqué à les affronter. Pour atteindre les plages de sable fin, il suffisait de prendre un bateau et d'avoir l'autorisation des Znūntāks pour accoster.

Ce qui arrivait bien plus souvent que l'on aurait pu s'y attendre, du moment que les propriétaires pouvaient, si l'envie leur en prenait, venir faire un tour et s'incruster à la fête ou à la baignade. Ce qui ne semblait gêner personne. Leur beauté et leur charme leur ouvraient le cœur des hommes et des femmes. Et bien plus encore.

En deux semaines, Camille avait assisté à au moins cinq fêtes sur la plage. Bien sûr, à chacune d'elle, elle avait envisagé de se dissimuler dans un bateau pour fuir, mais à chaque fois, Sola avait été là pour l'en empêcher. Finalement, la Znūntāk était bien plus collante de Dresden. Qui lui, avait décidé de la rendre folle en se tapant toutes les filles qui lui tombaient sous la main.

À chaque nouvelle tête bouclée ou lisse qu'elle croisait au petit matin dans la cuisine de la maison où ils résidaient tous les deux (ils étaient censés être un couple), elle grognait de dépit tout en se morigénant. Après tout, n'était-ce pas ce qu'elle voulait justement : qu'il passe à autre chose ?

Oui mais ! Oui mais ! Elle n'arrivait pas à ne pas être jalouse ! C'était le seul sentiment qu'elle ne parvenait pas à cadenasser et qu'elle subissait de plein fouet. S'il avait voulu la faire souffrir il n'aurait pas pu s'y prendre autrement. Mais le pire, c'était qu'elle savait parfaitement qu'il ne faisait pas ça pour lui faire du mal (pas consciemment du moins), mais pour l'oublier, convaincu qu'elle était de glace face à lui. Argghhhh !

Il y avait de quoi devenir folle. D'autant qu'elle ne pouvait rien faire pour apaiser son propre désir. Officiellement, parce qu'il était dangereux qu'elle s'ébatte avec un simple mortel alors qu'elle venait d'être transformée, officieusement pour la punir de lui résister, Dresden s'arrangeait ouvertement pour que personne ne l'approche, quitte à mentir sur son orientation sexuelle ou sur son identité. Parfois, elle était lesbienne et vivait en couple avec Sola ET Lucie ! Parfois, elle était sa petite sœur, et il interdisait simplement que quiconque la touche sous peine de finir noyé dans l'océan. Et d'autres fois, elle était simplement malade et contagieuse. La pire honte !

Elle le détestait pour ça, mais ça ne l'empêchait pas d'essayer de se taper un mec sous son nez. Elle trouvait même assez drôle de voir son visage se décomposer l'espace d'un instant. Bon, ça ne durait pas, mais c'était de bonne guerre. En attendant, lui baisait à tous les coups pendant qu'elle, elle faisait ceinture ! C'était quand même complètement injuste.

Et donc, pour rajouter à son carcan familier, il y avait Sola qui ne la lâchait pas d'une semelle quand il y avait un bateau dans le coin. Elle avait même menacé de se menotter à elle, si elle ne cessait pas de tenter de se barrer. Bref, entre ça et les entraînements, où Lucie ne lui laissait aucun répit, sa vie avait tout de l'enfer, même sur une île paradisiaque.

Les festivités de ce soir-là ne dérogeaient pas des autres. Le feu crépitait sur le sable, et les invités, des îliens, quelques touristes, et des Znūntāks, dansaient en riant et en buvant de l'alcool. Le majordome qui se nommait Antonio, mais que tout le monde s'ingéniait à appeler Tonio sauf elle, passait de temps à autre avec des plateaux de nourriture qu'il déposait sur une table prévue à cet effet. Il s'occupait tout spécialement de Camille, comme à chaque fois, lui apportant ce qu'elle apprécierait le plus. Antonio était prévenant et toujours attentif à ce qui pourrait l'apaiser.

De notre sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant