60 / Liés à en mourir

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Le groupe de Znūntāks se dirigeait vers le jet qui devait les ramener sur le continent. Réservée aux vols privés, cette partie de l'aéroport était quasi-déserte en ce milieu de journée. Le tarmac fraîchement lavé par une pluie matinale, luisait par endroit. Mathilde donnait des instructions par téléphone à une personne chargée de les accueillir à leur arrivée au Chili. Les autres membres du groupe étaient silencieux, plongés dans leur propres pensées, lucides quant à la possibilité qu'Indra puisse venir les espionner sans qu'ils n'en sachent rien ou presque.

Mais cette dernière n'avait que faire des autres, elle-même avait ses propres préoccupations. Elle n'avait donc pas conscience de ce qui se jouait dans son dos. Pas encore.

***

Dresden avait chaud, et l'air lui manquait. Pourtant, il tentait de ne rien montrer. Sur le bateau déjà, il avait vécu l'éloignement de sa compagne comme une véritable déchirure de l'âme. Une douleur puissante qui l'avait forcé à s'isoler. Il se demandait encore comment le Yāasht pouvait provoquer une telle souffrance. Ce qu'il avait vécu à Paris n'était rien en comparaison. Était-ce parce qu'il était resté près de Camille pendant quelques temps, renforçant le lien sans même le vouloir ? Il l'ignorait, mais il souffrait intensément.

À présent, ce qu'il ressentait, était bien différent. Il avait l'impression qu'il s'agissait d'une douleur plus physique. Comme s'il avait eu les moyens d'agir contre elle. Pourtant, ne comprenant pas son origine, il aurait eu bien du mal à en trouver le remède. Faisait-il simplement une crise d'angoisse ? Était-ce le contrecoup de ce qu'il subissait depuis des semaines ? Son corps refusait-il soudain d'aller plus loin ? Allait-il mourir là, parce qu'il avait abandonné l'idée de convaincre Camille ?

Il déboutonna discrètement le premier bouton de sa chemise et passa une main nerveuse dans ses cheveux. Il mettait toute sa volonté et toute sa force à marcher droit, et à ne rien laisser paraître. Quelques pas devant Aren et Lucie qui discutaient tranquillement, il se mit à fixer le dos d'Amotep et Demetrios. Devant eux, Vahan suivait de près Mathilde et Indra de sa démarche fière. Dresden voulait tenir jusqu'à l'avion où il pourrait s'asseoir, dormir, se rafraîchir, dans cet ordre ou dans un autre. Il devait tenir jusqu'à l'avion.

***

Le corps de Dresden s'effondra brusquement devant Aren et Lucie, comme une marionnette dont on aurait coupé les fils. Pas un cri. Pas un bruit. Juste ce corps solide qui s'échoue sur le tarmac. Ils se précipitèrent pour lui porter assistance, mais le Znūntāk était inconscient et sa respiration saccadée n'augurait rien de bon.

En voyant Dresden dans cette position de faiblesse, lui qui était l'un des plus puissants d'entre eux, Lucie ne put retenir son cri face à la Matriarche. Cette dernière s'était approchée, elle-aussi, de son exécuteur, sans révéler son inquiétude, cependant.

— Vous n'auriez pas dû le forcer à partir !

— Montez-le dans l'avion. Il se remettra, dit Mathilde d'une voix blanche en reprenant la direction de l'appareil.

— En êtes-vous sûre, Matriarche ? demanda Aren d'une voix dont le sérieux ne trahissait aucune émotion.

Il était à genoux et avait posé la tête de son ami sur ses genoux.

— Douteriez-vous de mes décisions ! éructa Mathilde.

— Matriarche, intervint Demetrios d'une voix qu'il voulait apaisée. Son état est anormal. Je ne suis pas sûr que ce soit le Yāasht.

— Raison de plus pour le monter dans l'avion. Partons au plus vite. Faites en sorte qu'il survive. Nous nous occuperons de lui une fois arrivés.

Lucie regarda Vahan, Demetrios et Amotep obtempérer et soulever le Znūntāk inconscient. Elle était interdite. Jusqu'à présent, elle n'avait jamais assisté à une telle injustice, une telle volonté d'aller contre la nature d'un Znūntāk.

De notre sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant