43 / ... Ou pas

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Ses yeux s'ouvrirent sur du blanc lumineux. Des voilages immaculés tendus et flottant au gré d'une douce brise. Une odeur sucrée lui chatouillait les narines. Que de l'agréable, du léger. Puis brusquement tout lui revint à l'esprit : les séthiens, la fuite, l'eau, le froid, la boite, Dresden, le feu, le poignard. À chaque réveil, s'ajoutait un événement pas forcément folichon, et elle commençait à en avoir marre. Puis, elle réalisa.

— Merde ! s'exclama-t-elle aussitôt en se redressant pour se tâter de partout. Putain de merde ! Je suis morte ?! Je suis morte ! Il y a vraiment quelque chose après la mort ! Merde ! Bordel ! Sur toutes les conneries qu'on nous raconte à longueur de temps, il fallait que ça, ça soit vrai !

C'est alors que ses yeux se posèrent sur lui. Assis dans un fauteuil, il portait le même foutu costume trois pièces noir. Chemise blanche au col ouvert et bouton de manchette impeccable. Il arborait un sourire indécent. Bordel, est-ce que c'était possible d'être aussi séduisant et d'être le pire connard de la terre !

— Oh ! Il est encore là, lui... ne me dites pas que vous êtes un putain d'ange ! Non ! Vous êtes un Zutn... Putain, vous pouviez pas trouver plus facile comme nom ! Je comprends pourquoi les sethiens ont choisi de vous appeler « vampire » ! Bref ! Même si vous n'êtes pas des vampires, mais des anges. Non, le contraire... À moins que ce soit la même chose ! Je suis totalement folle... Je ne suis pas morte ! Si ! Je suis morte ! Bordel !

Le débit de parole de Camille augmentait avec sa fébrilité et son excitation. Avec sa contrariété aussi. Elle s'agitait, se tâtait fébrilement, le regard ne cessant de sauter d'un endroit à l'autre.

— Oui et non, dit finalement Dresden pour attirer son attention sur lui et tenter de la canaliser.

Son sourire s'élargissait à l'idée qu'elle croit, même brièvement, qu'il puisse être un ange. Un ange ?! Sérieusement ?! Mais peu importait, elle était vivante ! Elle avait survécu. D'un autre côté, comment avait-il pu en douter ? Elle était si forte ! Elle avait tant de rage et de colère que la mort elle-même ne pouvait rien contre elle...

— Oui et non ? Ça ne peut pas être oui ET non. C'est oui OU non.

— Je maintiens ce que j'ai dit.

— Oui et non ?

— Oui et non.

— C'est quoi ce délire encore ! dit-elle en s'extirpant des draps.

Elle avait vu qu'elle portait une sorte de chemise de nuit à bretelle fine aussi blanche que le lit dans lequel on l'avait mise. Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'était que cette chemise de nuit soit, en réalité, une nuisette si courte qu'il aurait été indécent de sortir du lit sans rien de plus. Constatant les faits, elle referma les draps sur elle. Puis changeant d'avis, elle les souleva pour voir la tête de sa blessure. Rien. Pas de blessure. Pas de cicatrice.

Alors à moins qu'elle n'ait été dans le coma suffisamment longtemps pour que la médecine trouve un moyen de la soigner et de faire disparaître toute trace, ce qui était improbable, il y avait un truc qui clochait.

— Nom de... ! Vous m'avez droguée ! Ce qu'il y avait dans le verre ! C'était quoi ? Vous m'avez drogué, et j'ai eu une hallucination ! C'est ça ?

— Non.

— Comment ça non ?

— Je t'ai bien poignardée.

— Vous êtes un grand malade ! Vous le savez ça ?! hurla-t-elle alors en se drapant du drap pour sortir au plus vite de cet endroit aussi magnifique soit-il.

Car oui, la chambre tenait du paradis sur terre. Grand espace drapé de teintes lumineuses et agencé avec goût. Immense porte-fenêtre donnant sur un jardin magnifique et foisonnant de fleurs avec pour horizon l'océan. L'océan ? Aux dernières nouvelles, il n'y avait pas d'océan à Paris.

Drapée dans son drap comme une déesse antique, elle s'arrêta près d'une colonne du lit à baldaquin, et resta là, à fixer l'horizon mouvant.

Lui n'avait pas bougé. Jambes croisées, les mains sur les accoudoirs, il la regardait calmement. Il attendait qu'elle digère les informations les unes après les autres. Pour le moment, l'essentiel n'avait été qu'effleuré.

— Je suis où ?

— Nous sommes sur une île. Loin de Paris.

— Vous m'avez kidnappée ?

— Peut-on parler de kidnapping pour le corps d'une morte ? Vol de cadavre, tout au plus. Mais encore faudrait-il qu'il soit avéré ? Ta famille a reçu tes cendres après l'incendie de la boite de nuit où tu as, malencontreusement, trouvé la mort. Il n'y a donc pas de trace d'un quelconque forfait.

— Vous m'avez kidnappée et vous avez fait disparaître mon corps ? Mais, bordel... Je suis votre prisonnière, c'est ça ? Et si je n'obéis pas à la moindre de vos exigences, vous allez faire quoi, espèce de psychopathe ? Me torturer ? Me violer ? Me frapper ? Me poignarder encore ? Et tout ça au nom d'une foutue destinée à laquelle je ne crois pas, et que vous devriez oublier vite-fait parce que je ne...

— Tu n'es pas ma prisonnière, l'interrompit-il de peur qu'elle ne prononce des mots qui lui transperceraient le cœur. Tu es libre d'aller où bon te semble. Tu es des nôtres maintenant.

— Sur cette île.

— Sur cette île. Pour le moment. Le temps de t'habituer.

— Merde ! Le temps de m'habituer ? Mais à quoi ? Au fait d'être vivante et morte ?!

— C'est ça.

Elle se rassit lourdement sur le lit et le fixa avec fureur.

— Pourquoi.

— Pourquoi quoi ?

— Pourquoi tout ce putain de stratagème ? Pourquoi m'avoir poignardée... Attendez ! Vous m'avez poignardée ! Vous m'avez poignardée ! Et je ne suis pas morte !

Elle se tata de nouveau le corps avec stupeur.

— C'est ce que je te dis depuis tout à l'heure. Morte et vivante.

— Morte et vivante. Je ne comprends rien à ce que vous dites ! En même temps, vous restez là à me fixer avec vos yeux de merlans frits sans rien donner comme information.

— J'attends que tu arrêtes de sauter du coq à l'âne, et que tu fermes enfin ta bouche pour pouvoir en placer une, en fait, dit-il avec humeur.

Ah ! Il n'avait pas aimé l'insulte. Être traité de « psychopathe » ça passait, mais pas de « merlan frit ». De plus en plus bizarre. Est-ce qu'elle ne serait pas en train de rêver ? Ou alors c'était ça la mort : vivre des scènes absurdes sans aucune possibilité d'y échapper. Non ! Ça c'était déjà la vie, en général... Elle se pinça pour plus de sûreté. Non. Elle était bien vivante et réveillée...

— Bon, et bien allez-y !

— Hier, tu as bu un cocktail à base de mon sang. Je t'ai poignardé. Tu es morte. Mon sang à fait son travail. Et tu es de nouveau en vie.

— Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier alu... c'est ça, oui... C'était quoi comme drogue ?

— Tu n'as pas été droguée.

Le regard noisette de Camille se fixa sur lui, d'abord avec incrédulité, puis peu à peu, à mesure que la compréhension se faisait dans son esprit, avec colère. La jeune femme se dressa et marcha dans sa direction avec une froide détermination. Il se leva avant qu'elle ne l'atteigne et ne tente de le gifler.

— Dites-moi que vous ne m'avez pas transformée... Vous m'avez transformée ? C'est ça ? Je serais une Zut-je-sais-pas-quoi, maintenant ? Une putain de vampire ?

— Une Znūntāk. Oui, répondit-il calmement en restant de l'autre côté du fauteuil.

— Vous allez me le payer ! lança-t-elle sur un ton froid qu'il craignit bien plus que ses effusions de colère précédentes. Où sont mes fringues ? finit-elle en le foudroyant du regard.


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