50 / Contrarier son désir

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— Vous me lâchez, maintenant ?!

— C'est toi qui m'as pris la main, dit-il en l'attirant contre lui d'un mouvement brusque.

Collée à lui, Camille sentit que la situation, une fois de plus, allait lui échapper. Elle respira profondément à la recherche de cette force qui lui permettait de résister à Dresden depuis le jour de leur rencontre. Elle ne réussit qu'à inspirer l'odeur si envoûtante du Znūntāk.

Bon dieu ! Ça n'allait pas être facile ! Il fallait penser à un truc désagréable qu'il avait fait. Tout, plutôt que de penser à ce corps qui ne demandait qu'un signe pour l'envelopper de sa chaleur. Ah ! Trouvé ! Le poignard dans le cœur ! Bordel ! Le poignard dans le cœur ! Camille ! Il t'a poignardé, alors qu'il avait quasiment promis qu'il ne te tuerait pas ! Bon, techniquement, il n'avait pas menti, puisqu'elle était encore vivante. Vivante et morte... mais elle n'avait rien demandé ! Ça ne se faisait pas de donner l'éternité à quelqu'un qui n'avait rien demandé ! Merde !

— Oui, mais je l'ai lâchée, là, dit-elle d'une voix raffermie.

— Très bien, je te rends ta main, dit Dresden en enroulant ses bras autour d'elle.

— Très drôle, M. Asterios... dit-elle en se tortillant pour s'échapper. Je vais finir par vous frapper...

— Est-ce que tu aurais menti, Camille ? Tu ne veux toujours pas de moi comme compagnon ? Alors pourquoi avoir... Pourquoi avoir affronter la Matriarche ? demanda Dresden soudain terrassé par la douleur que lui causait cette révélation.

Il libéra aussitôt Camille avec un regard de souffrance impossible à dissimuler. La toucher avait été un tel délice, et l'embrasser... Tout son corps s'était embrasé... Il respira profondément pour tenter de trouver l'apaisement qui l'avait quitté depuis qu'il avait accepté l'idée qu'elle soit sa compagne.

— Pourquoi ? Pourquoi ? s'écria Camille en brassant l'air de ses bras, mais pour vous empêcher de faire une connerie monumentale ! Voilà pourquoi ! Cette femme ne vous aime pas ! Elle se sert de vous ! Et vous... ! Et vous... ! Et vous, vous obéissez comme un gentil toutou !

— Elle n'est pas la seule à se servir de moi, je crois. Et elle, au moins, ne me fait pas souffrir en me berçant d'illusions ! lança Dresden en se détournant. J'aurais dû partir !

Camille prenait conscience qu'elle s'y était mal pris. Elle avait obtenu la victoire contre la Matriarche, mais à quel prix ? Elle avait blessé Dresden. Bien qu'elle ne veuille pas lui céder, elle regrettait de lui avoir fait du mal. Lui n'aurait jamais agi ainsi. C'était sûr...

Bon, ce qui était fait, était fait. Le principal était qu'il ne partirait pas avec Mathilde en Amérique du sud, qu'il ne risquerait pas sa vie là-bas et que, peut-être, parce que Camille l'avait blessé, il finirait par passer à autre chose sans heurt.

Elle le regarda sortir et pensa de manière incongrue qu'elle avait adoré l'embrasser cet idiot. Non ! C'était elle, l'idiote ! Non ! Elle n'était pas idiote ! Elle devait le sauver d'elle ! Les sauver tous d'elle ! Elle se détourna et retourna dans sa chambre massacrée, la rage au ventre et le cœur bouillonnant.

***

Quelqu'un était passé pendant son absence et avait déblayé le plus gros. Plus de morceaux de verre et de faïence au sol. Le lit avait retrouvé une paire d'oreillers, et le baldaquin n'arborait plus de tentures déchirées. Dans l'ensemble la chambre avait retrouvé sa fraîcheur habituelle.

— Oh, je n'ai pas fini ?! dit alors une voix dans son dos. Je pensais que vous en auriez pour plus longtemps que ça avant de revenir.

L'homme qui faisait face à Camille devait avoir la soixantaine bien tassée. Il arborait des cheveux poivre et sel bien coupés et une barbe bien taillée. Il portait un costume de majordome sans veste d'un noir profond, qui contrastait avec sa chemise d'un blanc éclatant et sa peau chocolat.

— Je suis désolée, s'empressa de dire Camille. Je vais vous laisser finir... Non, je peux peut-être aider... C'est moi qui...

— Non, non, mademoiselle. Vous devez me laisser finir mon travail. Je n'ai pas besoin de vous, commença-t-il avec un air détaché.

Camille s'apprêtait à faire demi-tour et sortir, quand il poursuivit :

— Mais, si je peux me permettre, vous devriez suivre le chemin bordé de frangipaniers, à droite de la maison... je pense que ce qui se trouve au bout, pourrait vous apporter ce dont vous avez besoin, finit-il avec un petit sourire.

Camille le regarda un instant sans rien dire, puis elle suivit son conseil. Le chemin longeait le côté de la maison après sa chambre et sa salle de bain. Il était totalement dissimulé par les frangipaniers. Elle se fraya un passage en suivant la fine allée envahie par la mousse et de minuscules fleurs violettes. Elle se retrouva bientôt loin de la maison. Il n'y avait plus que des arbustes, des arbres et des buissons fleuris autour d'elle.

Elle avait l'impression d'être Dorothy dans le magicien d'Oz, sauf que son chemin n'était pas fait de briques jaunes, mais de pavés disjoints et glissants. Pourtant, elle ne fit pas demi-tour. Allait-elle rencontrer un homme de paille, un homme de fer blanc et un lion peureux, elle aussi ? Elle sourit à cette idée, avant de se figer. Le chemin s'achevait sur un promontoire qui surplombait une cascade et un bassin niché dans une verdure luxuriante. Un vrai trésor de carte-postale.

Sans se préoccuper de rien, Camille se déshabilla, ne gardant que sa petite culotte, et plongea. À aucun moment, elle ne songea que, peut-être, il pourrait y avoir des bestioles exotiques et dangereuses dans ce coin paradisiaque. Lorsque son corps fendit l'eau froide, une sensation de bien-être l'enveloppa aussitôt, chassant ses doutes et sa peur. Le majordome lui avait dit que c'était ce qu'il lui fallait. Et il avait raison.

***

Dresden fixait Camille sans bouger. Il ne voulait pas trahir sa présence. Il avait emprunté la voie la plus utilisée pour accéder à la source. Peu d'entre eux se souvenait qu'on pouvait accéder au promontoire depuis la maison. Il se demanda brièvement comment la jeune femme avait su trouver ce chemin secret. Puis, il se concentra sur elle, son corps qui se mouvait dans l'eau avec des mouvements fluides. Elle était une bonne nageuse, ce qui ne l'étonna pas. Elle venait de Marseille. Même si la mer n'était pas en bordure de sa cité, elle avait pu y avoir accès facilement.

Dresden s'assit sur la pierre plate dans l'ombre du promontoire juste au-dessus. D'ici, il pouvait l'observer à loisir sans être vu. Il faudrait seulement disparaître lorsqu'elle remonterait par le petit escalier de pierre pour reprendre ses vêtements. Elle n'avait même pas pris de serviette de bain. Il poussa la sienne vers l'escalier pour qu'elle la trouve à son retour.

Elle était donc une fille de l'eau. Elle nageait avec un plaisir évident. Puis, elle cessa tout mouvement pour se laisser flotter sur le dos, bras écartés, sa culotte rendue transparente par l'eau, ses minuscules seins nus pointant vers le ciel, tétons durcis par le froid. Il ignorait qu'il était possible de désirer autant quelqu'un. Nom de dieu ! Il ne fallait pas qu'il reste ici... Et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de la fixer, de fixer ce corps androgyne indécemment offert au regard sous le ciel lumineux de ce coin de paradis.

***

Camille remonta par l'escalier. À mi-parcours, elle vit une serviette de bain posée sur les marches en travers des marches. Elle la prit, intriguée. C'était comme si quelqu'un l'avait déposée pour elle à cet endroit. Serviette collée sur son torse nu, elle chercha des yeux si un intrus se trouvait dans les parages, légèrement honteuse d'avoir nagé dans cette tenue indécente. Elle entendit alors le bruit d'un corps qui entre brutalement dans l'eau. Elle se pencha et vit Dresden en train de nager. Depuis quand était-il là ? L'avait-il regardé nager ? Elle respira profondément en fixant son long corps glisser en silence, pâle silhouette dans l'eau sombre. Elle le trouva beau, bien sûr, car il l'était. Elle soupira et s'essuya rapidement avant de disposer la serviette sur une pierre plate où un rayon de soleil la sécherait avant qu'il n'en ait besoin, puis elle remonta jusqu'au promontoire pour s'habiller.

***

L'eau froide lui fit du bien. Elle étouffa la chaleur qui embrasait son corps depuis plusieurs semaines maintenant. C'était ce qu'il recherchait en venant ici. Il ne s'attendait pas à y trouver l'objet de son obsession. Il se tourna vers le promontoire, juste à temps pour voir disparaître la fine silhouette de la jeune femme. Il remarqua aussi la serviette étendue au soleil, et sourit. Elle ne le détestait pas. C'était déjà ça. Maintenant, il devait l'amener à l'aimer.


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