62 / La fuite

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Assis sur le lit, près de Camille qui dormait, Dresden observait la jeune femme en silence. Même si ses cheveux avaient un peu poussé depuis leur première rencontre, sa beauté androgyne le frappa encore. Il avait eu raison quand il avait pensé qu'elle serait plus belle encore après la transformation, car elle l'était. Il admira la ligne franche de sa mâchoire, et ses longs cils qui caressaient sa joue. Sa main s'égara près de sa tempe où une mèche de cheveux avait glissé. Il la repoussa vers son oreille et laissa sa main s'attarder en soupirant.

Elle était si proche, et pourtant, si éloignée. Il ne comprenait pas son obstination à le repousser. Aren pensait qu'elle avait un secret qui lui bloquait le cœur, lui ne savait pas quoi penser. Et peu importait qu'il admirât sa force et sa volonté, bien qu'elle soit une emmerdeuse de première, plus il la côtoyait, plus le sentiment amoureux s'enferrait en lui. Il n'y pouvait rien. Il l'aimait, c'était tout simple. Mais pas pour elle. Pas pour elle.

Combien de temps pourrait-il encore tenir à ce rythme ? Sur le tarmac, il avait atteint une limite qu'il n'avait jamais frôlé en près de cinq siècles d'existence. Même quand il avait dû se battre contre un groupe très important de Dévoreurs à Constantinople en 1802, et, qu'à la suite d'une blessure, leur poison s'était insinué en lui, il n'avait pas été aussi proche de mourir qu'aujourd'hui, où il sentait son âme s'étioler, et son corps s'affaiblir.

Il avait eu tort de s'éloigner. Il avait cru pouvoir le faire. Il s'était dit que si Camille pouvait supporter la douleur sans rien laisser paraître, alors, lui aussi, le pouvait. Il s'était trompé. Il se demandait maintenant pourquoi le Yāasht était si puissant chez lui, alors que Camille semblait capable de lui résister ? Était-ce parce qu'il l'avait accepté dès les premières manifestations ? Parce qu'il n'avait résisté d'aucune manière ? Parce qu'il ne doutait pas de sa justesse, même si Camille luttait contre lui ?

Il soupira de nouveau, avant de finalement s'allonger contre la jeune femme. Il l'enveloppa de ses bras et ressentit un plaisir non dissimulé à le faire. Il savait qu'il enfreignait sa règle, mais chaque étreinte, même volée, était précieuse. Elle lui permettait de se rétablir, de reprendre des forces. Et il en avait tellement besoin.

— Aime-moi, Camille, ou tue-moi, mais ne me laisse pas souffrir comme tu le fais... murmura-t-il en déposant un baiser dans ses cheveux.

***

Camille s'éveilla dans les bras de Dresden, alors que la nuit s'éteignait peu à peu. Elle sentait son souffle près de son oreille, la tendresse de son étreinte endormie. Elle resta quelques minutes ainsi, à profiter d'un homme qu'elle se refusait à aimer pour essayer de le sauver. Pendant un bref instant, elle fut tentée de le réveiller d'un baiser afin de savoir ce qui était arrivé pour qu'il se retrouve près d'elle alors qu'il était parti. Puis, elle avait pesté en silence contre le Yāasht qui cherchait à la manipuler, et s'était levée. Dresden semblait épuisé, et elle, elle devait le fuir.

Découvrir son lien avec la terre avait été éprouvant et libérateur en même temps. Ça lui avait ouvert les yeux sur sa nouvelle condition et sur un autre avenir possible que celui déterminé par Mathilde de Saint Roc ou la « destinée » de Dresden.

Camille était réellement devenue une autre, et cette autre était plus forte, plus déterminée encore. Elle possédait désormais un don capable de lui permettre d'échapper aux Dévoreurs comme aux Znūntāks, et elle comptait s'en servir pour être libre.

Alors qu'elle passait la porte-fenêtre, son regard se posa sur la silhouette du bel endormi qui gisait désormais seul dans son lit. Bien sûr, elle regretterait Sola et Lucie, mais pas les autres. Certainement pas les autres. Et certainement pas lui. Elle se força à quitter Dresden des yeux. Elle ne se laisserait pas attendrir. Sa vie en dépendait.

De notre sangWhere stories live. Discover now