Partie 103 - Chapitre 22 : Jaune de chrome

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Elle s'assura des réserves du moteur ; elle tenta de déficeler un sac, échoua, décela un couteau et l'éventra avec. L'Ignotum se déversa ; elle en ajouta une bonne quantité dans la chambre de combustion.

La peur lui étouffait l'abdomen ; elle se creusait la tête. L'appareil progressait dans l'opacité ; elle sortit la boussole pour vérifier le cap de l'aéronef. Cela n'occupa pas son attention longuement...

Tant pis ! elle éteignit la bougie qui de toute façon ne l'avait pas sauvée de l'assoupissement ; elle avait eu l'idée d'observer la voûte céleste.

Elle s'habitua doucement à l'obscurité. Les étoiles apparurent les unes après les autres.

Une infinité de feux brillaient ; nul nuage ne les cachait. La voie lactée et ses couleurs enchanteresses la traversaient. Ces points minuscules, incalculables, à peine plus larges que des grains d'Ignotum illuminaient le firmament de leurs lointains systèmes ; c'était merveilleux.

Oui, merveilleux.

Elle se mit en quête de retrouver les différentes constellations dont elle se souvenait. Les reconnaître personnalisait leur majesté, la renforçait, de la même manière qu'une clé de lecture enrichit une œuvre et accroît l'émotion qu'on a d'elle.

Puis, arrivant au bout de sa culture, elle se prit au jeu d'en inventer. Elle diversifiait ses expériences, découvrait de nouvelles visions de l'univers qui n'appartenaient qu'à elle ; elle s'amusait.

Jamais une nuit n'avait été aussi belle... ou bien elle l'avait oubliée.


Petite, dans sa campagne natale, elle s'installait parfois avec son ami l'ecclésiastique, en silence, sous la lune ; ils contemplaient l'espace.

- Voilà l'humanité au-dessus de toi, son passé comme son futur. Dès les premières heures de son enfance, elle s'est assise sur l'herbe, pareille à nous aujourd'hui, et s'est demandée : « quelle est cette déchirure qui recouvre le monde ? pourquoi est-elle là, que signifie-t-elle, qu'y-a-t-il par-delà ? » Depuis l'origine des temps, elle est figée, et depuis toujours, elle est en mouvement.
« Les étoiles disparaissent, mais ne meurent pas très longtemps.
« Alors les hommes se languissent d'atteindre les étoiles. En attendant, ils font des astres des dieux qu'ils espèrent ensuite rencontrer, et ils baptisent ces lumières de l'au-delà du nom de leurs braves défunts, pour garantir à ces derniers l'immortalité.
« Les héros disparaissent, mais ne meurent pas très longtemps...

« Pourtant leur existence fut souvent synonyme de tragédie, et ils accueillirent dans leur ultime râle la camarde avec satisfaction. La voici, leur curieuse malédiction, pour l'éternité immobilisée, au cœur de leur souffrance, en constellation.
« Les humains s'en rappellent, calmement ; ils n'oublient pas. On a métamorphosé leur misère en une beauté triste, apaisée, et leur mort en un souvenir à jamais remémoré...

Il marqua une pause. Un sourire se dessina soudain sur son visage :

- Somme toute, les hommes s'accaparent le ciel, cependant seuls eux le savent...
« Nous sommes une poussière au milieu de cette immensité, Maria, ni le début, ni la fin ; des milliards d'humains s'assiéront dans l'herbe et plongeront leurs yeux dans le firmament après nous.
« A peine une poussière... pas un atome de plus.
« Cela n'est en rien dramatique ou affligeant. C'est une chance ; observe la voie lactée, cette merveille au-dessus des merveilles, de quoi est-elle constituée si ce n'est de particules, de poussières ?
« Si l'une avait manqué à son rôle, si l'une avait bousculé d'autres, l'univers aurait pu en être différent.


« Il ne tient qu'à nous de transformer la possibilité en réalité. »

La Couleur InconnueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant