Partie 100 - Chapitre 22 : Jaune de chrome

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A la mi-journée, alors qu'elle finissait de grignoter une insignifiante partie de ses victuailles, l'aéronef arriva à proximité d'une étendue aquatique. Son bleu cristallin attira le regard de Maria.

Surface plane, à peine perturbée par un savoureux zéphyr. Les reflets de la végétation sauvage à sa bordure se confondaient aux caresses délicates des algues humant l'infime clapotis des vagues. Les canards et les cygnes barbotaient paisiblement ; vu des hauteurs célestes, leur plumage était empreint de teintes irréelles, fantasmagoriques.

Tout était d'un tel calme ! Dans de si parfaites conditions, elle discernait, au-delà de l'impénétrable, les intimes profondeurs au cœur du lac.

Elle descendit lentement, jusqu'à quasiment effleurer de sa nacelle le plan bleuté. Odeur de fraîcheur et de pureté ; ses cheveux flottaient dans l'air humidifié.

Là, une ombre... ! deux plutôt !... non ! plusieurs !

De magnifiques poissons nageaient devant, derrière, avec elle, à la vélocité de l'appareil qui glissait au-dessus des eaux. Ils étaient les guides de leur environnement et l'aidaient sur sa route.

« Allons ! » s'admonesta-t-elle, elle se mettait en danger inutilement ; elle devait à nouveau se focaliser complètement sur son objectif, et ne pas permettre à ces tentations de l'étreindre.

Elle éleva son altitude et poussa l'aéronat à pleine puissance.


L'après-midi, elle suivit involontairement une rivière. Son lit serpentait dans le paysage et se laissait nonchalamment rallier par d'autres flux, au point que, trois heures après, il était occupé par un modeste fleuve le long duquel hommes et chevaux tiraient sur les chemins de halage voiles et péniches. Sur les coches, des voyageurs oisifs la saluaient à son passage ; elle leur répondait avec de grands signes.

Insensiblement, les premiers champs de vigne apparurent.


Elle survola un riche château de style classique. Ses jardins géométriques, débordants de plantes originaires des quatre coins de la Terre, avaient, en dépit de la saison, des splendeurs éclatantes et chatoyantes. Ce trésor de beauté se soustrayait à la vue des passants par de fières haies de pyracanthas épaisses et hargneuses.

De sa montgolfière, Maria avait l'exceptionnel privilège de contempler ce qui n'était pas autorisé, ce que les gens désiraient cacher. Ses yeux embrassaient le cosmos entier, ils ne se perdaient pas dans le lointain qui demeurait un temps inexploré ; le lointain n'était qu'une question de distance, dès qu'elle l'atteindrait, elle en sonderait les obscurs secrets. A ses pieds, cette peinture aux surprenantes allures, plus claire qu'on ne l'eut doutée, elle en touchait la majesté ; le monde était un vibrant tableau sans cadre.


Au crépuscule, le flot avait été rejoint par deux affluents et avait pratiquement doublé de taille.

Une ville gigantesque s'esquissait ; ses imposants monuments au loin tranchaient l'horizon coloré du soleil couchant. Lorsqu'elle les reconnut, elle fut étonnée : elle se trouvait plus au Sud qu'elle ne l'avait imaginé. Cette cité, elle l'avait visitée dans les livres ; elle pouvait enfin l'admirer dans la totalité de sa somptuosité. Elle s'en approchait.

Le décor s'industrialisait ; les bords du cours d'eau étaient, depuis plusieurs lieux, empierrés. Les cheminées des usines s'étaient déjà tues ; celles des immeubles les avaient relayées. 

La Couleur InconnueWhere stories live. Discover now