Partie 118 - Chapitre 25 : Garance

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- Madame, je ne le dirai pas une troisième fois. Suivez-moi... !

Elle considérait l'avancée de l'infanterie ; elle était... canalisée vers eux, entièrement penchée sur leurs destins.

Il pensa à l'emmener de force, toutefois ses camarades lui clamèrent qu'il n'avait pas le temps.

- Madame... ! c'est votre dernière chance... ! s'évertua-t-il ultimement.

Son cerveau se liquéfiait à chaque fraction écoulée.

- Bon sang ! grimaça-t-il.

- Ramène-toi ! dépêche-toi !

Il céda, blasphéma et l'abandonna. Il galopa à sa tanière et s'y jeta. La trappe fut immédiatement scellée.

Des cris feutrés tonnèrent juste après :

- Attention... !

« Maintenant !


Dans l'engin silencieux, le lourd projectile s'enflamma instantanément. Dehors, la paupière de Maria frémit, un battement de cils s'annonçait à peine ; dedans, l'obus passa de l'immobilisme à plus de mille deux cents kilomètres par heure. En moins de deux centièmes de seconde, il avait largement quitté les cinq mètres du tube d'acier.

La détonation écrasa tout. Le choc percuta Maria, ses cheveux se débattirent, sa robe frappa ses cuisses. Simultanément, l'arme et sa bouche reculèrent brutalement, déchirant et éjectant la terre en poussière derrière eux. Le sol vacilla ; elle manqua de s'écrouler.

L'onde pénétra violemment ses tympans. Le son s'envola soudain ; ses oreilles ne gardèrent de son souvenir qu'une sorte de stridulation anormalement aiguë qui se prolongea un court moment... puis le monde devint muet.

Nul oiseau dans le ciel, que du fer pour le balafrer.

Une bombe de huit cents kilogrammes, chargée d'Ignotum et d'explosifs, épousait une parabole impitoyable précisément calculée.

Maria contracta les poings ; elle hurla comme si sa voix eut le pouvoir de changer le cours des choses. Elle ne s'entendit pas, elle n'entendit rien ; elle se sentit impuissante à agir sur quoi que ce fût.

Il était trop tard pour eux.

La flèche arriva au summum de sa trajectoire ; elle bascula et pointa vers le bas, chuta à pleine vitesse.

Ils ne la virent même pas.


Adieu la vie. Adieu.


L'éclair s'abattit au milieu des soldats.

Aussitôt, la plaine s'embrasa d'une énergie aveuglante ; d'immenses langues de feu rayonnèrent de la déflagration. Elles disparurent subitement, absorbées dans l'avènement d'une boule géante, flamboyante. Celle-ci se propagea directement en un long mur destructeur qui se dressa en parallèle des tranchées, et s'éleva en volutes infernales dans l'atmosphère, libérant par cette occasion d'énormes quantités de fumée.

Cette masse ignescente s'inclina en direction des fusiliers, et commença à tournoyer amplement, pareille au rouleau d'une vague. En un clin d'œil, elle se précipita sur l'abattoir, engloutissant d'un seul mouvement de multiples rangs avant qu'ils n'eussent l'espoir de fuir, et jetant les éphémères survivants contre la surface tant l'univers n'était dorénavant que secousses et tremblements. L'instant suivant, l'implacable déferlante volcanique aux millions de flammes avala en trois autres roulements l'ensemble des régiments.

L'explosion se répandait invariablement ; mais sans âme à moissonner, elle s'effondra dans une ultime rotation qui souleva d'imposants fragments de roches-mères dans les airs.

Le brasier succomba à son propre poids, s'évanouit aussi prestement et agressivement qu'il était apparu.

Dans les cieux, des particules incandescentes fusaient avec célérité, éclats variés de l'obus et de sa cible.

Une pluie de lances ardentes et de lourdes pierres s'écrasaient sur le brouillard gris-clair qui avait recouvert la zone incendiée. Des morceaux de plusieurs kilogrammes atteignirent les retranchements alliés.

Voilà ce dont était capable l'Ignotum dans sa furie.

De violentes bourrasques issues de la brusque sauvagerie poussèrent et dissipèrent rapidement la brume sur la mer... et alors dévoilèrent l'affreux spectacle.

D'épais panaches blancs, courbés par l'agitation, jaillissaient de nombreux geysers et, parmi eux... dans la terre brûlante et la boue en ébullition, les hommes gisaient carbonisés et pulvérisés, parfois les os à vif, les organes étendus au soleil absent, le cerveau bouillonnant. Aux extrémités, certains cadavres enflammés, dévorés par l'Ignotum, remuaient encore, voire boitaient, monstres abominables et difformes de quelques expériences atroces. Un à un, ces fantômes grotesques à la chair et au tissu confondus se disloquaient et s'écroulaient inertes.

Les débris continuaient de tomber. Au cœur du désastre, un large gouffre se présentait, une caldeira en activité.

Une demi-minute après l'impact, la mort régnait à nouveau entre les deux camps. Si vite revenu, le vent s'effaça.

En dehors des restes en fusion et des fumerolles funestes, rien ne bougeait dans la plaine désormais.

La Couleur InconnueWhere stories live. Discover now