Partie 98 - Chapitre 22 : Jaune de chrome

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Il ne demeurait dans le ciel que des brumes d'étoiles naissantes, ainsi qu'un maigre croissant de lune qui éclairait avec médiocrité monts et vallées. Au lointain, de rares et faibles lueurs s'échappaient des fermes et des hameaux, mais bientôt, les manouvriers soupant tôt et s'endormant aussitôt, plus aucune clarté ne provint du sol.

Seule dans son habitacle, Maria essayait de se réchauffer en actionnant le moteur ; l'Ignotum dans un sac entrouvert émettait une nitescence apaisante. Voilà longtemps qu'elle n'avait pas eu la chance d'apprécier cette douce splendeur sensible...

Instinctivement, elle détendit la cordelette qui étranglait le tissu et commença à renverser l'Ignotum au fond de la nacelle.

Elle s'arrêta soudainement ; cette source ne serait pas suffisante et surtout trop clémente : elle tomberait de sommeil. Elle se mit à la recherche d'une lampe.

Il lui fallut un moment pour trouver dans le noir l'objet qu'elle poursuivait. Curieusement, les chandelles assorties n'étaient pas de l'Extrait d'Ignotum ; elles n'étaient que de communes bougies.

Précautionneusement, car elle était littéralement entourée d'Ignotum, elle en alluma une à l'aide d'un briquet. La lumière chaleureuse et puissante lui ranima les joues tout en l'aveuglant ; pour qu'une flammèche ne s'évadât pas, elle referma la vitre immédiatement.

Elle appendit le fanal à l'arrière de la montgolfière, juste en dessous du brûleur et légèrement au-dessus du vide ; elle souhaitait être constamment baignée dans cette rude énergie pour ne pas s'assoupir.

Elle remarqua qu'elle n'avait pas mangé jusque-là, plongée dans l'émerveillement du vivant spectacle de la nature, et ensuite concentrée à en chasser les ardeurs galopantes pour recouvrer la froideur de la raison.


Elle ne se reposa pas, comme le lui avait conseillé Blanchard et comme elle l'avait prévu ; elle devait avancer. Elle désirait rester vigilante, prudente. Elle ignora sa fatigue, puis la nia quand elle en fut incontestablement saisie.

Elle se nourrit à peine ; toutefois, elle ne manqua pas d'ajouter à plusieurs reprises du carburant.

La nuit passa autour de son corps immobile, de sa main gelée sur la poignée qu'elle dérangeait périodiquement. Sa conscience s'amollissait, ses pensées s'embourbaient dans la confusion et dans l'errance ; il s'élaborait des causalités dépourvues de sens, incohérentes, vides de ressenti. L'épuisement en masquait l'invraisemblance.


La lanterne éclairait l'univers avec violence ; l'aérostat s'était transformé en un phare particulier, un phare dont le faisceau n'était ni aplani, ni orienté... une balise, d'une certaine façon...

Oui, une balise dans le néant, un signe visible d'en bas, de partout, pour s'en approcher et renaître.


Malgré elle, son esprit inlassablement se perdait au cœur des ténèbres, au cœur de la tristesse, de la mort du petit animal, tel un martyr des temps anciens.

Les nuages avaient probablement comblé la voûte céleste, ou alors sa lampe voilait la voie des étoiles ; peut-être s'étaient-elles retirées devant tant d'éclat...

La Couleur InconnueOnde as histórias ganham vida. Descobre agora