Partie 33 - Chapitre 7 : Argent

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Le cerveau de Maria était en ébullition ; elle réfléchissait rapidement, malgré la fatigue, malgré le stress dont elle se plaignait. L'idée de Rochebrisée était bonne s'il honorait ses déclarations, c'était la voie idéale qui effacera les ennuis de Maria et lui permettrait enfin de se reposer.

Toutefois, le doute la tourmentait toujours ; elle ne pouvait pas lui laisser le destin de l'Ignotum et du petit animal ainsi !

Elle souhaitait partir, lui expliquer qu'elle devait longuement considérer le pour, le contre... et questionner Sophie...

Pourtant... qu'est-ce que cela lui apporterait ? Elle mettrait en danger les mystères de la cavité et ne serait pas davantage avancée. Le temps pressait, il avait raison.

Oh ! elle était épuisée, elle désirait en finir.

Avait-elle en réalité purement le choix ? Si elle ne disait rien, ce serait un pillage assuré ; si elle lui révélait le nom de la localité, dans le pire des cas, s'il ne respectait pas ses obligations... ce serait exactement comme si elle n'avait rien dit... quoique certainement légèrement mieux : sans concurrence, pas de saccage... Son analyse ne l'amenait finalement qu'à une unique possibilité : Rochebrisée était le choix de la raison. Et... elle ne pensait pas qu'il n'avait raconté que des mensonges...

Néanmoins...

Non, elle voulait y croire... Car dans l'alternative proposée, il y avait l'espoir.

L'espoir...

Alors, la mort dans l'âme, avec un sentiment de culpabilité d'une part, mais avec la certitude d'agir avec sagesse et la croyance vacillante dans les promesses, elle acquiesça lentement. Puis, elle lui apprit l'emplacement du village, comment s'y rendre, où se situait la grotte et dans quel boyau elle avait trouvé l'Ignotum.

Elle se sentit ensuite confuse, un peu mal à l'aise, nauséeuse, et aussi délestée d'un écrasant fardeau.

L'homme d'affaires la remercia à maintes et maintes reprises, répétant ce à quoi il s'était engagé ; doucement, le malaise se dissipa, et se réduisit à peau de chagrin lorsqu'il réaffirma que, maintenant, elle était définitivement libre.


A nouveau parfait gentilhomme, Louis de Rochebrisée lui annonça qu'ils n'étaient pas encore arrivés. Il s'adossa délicatement, posa la canne à plat sur ses cuisses. Ils parlèrent calmement.

Il avait hérité de l'entreprise de son père décédé. Ce singulier individu avait toujours eu pour son dernier fils des ambitions colossales ; elles n'étaient que le reflet de ses propres déceptions, lui qui n'avait reçu aucune instruction. Monsieur de Rochebrisée Père était de ces personnages qui s'étaient élevés à la simple force de leurs bras, de leur verve et de leur astuce. Du néant, il avait érigé un empire. Il était un pionnier dans ce domaine et si, aujourd'hui, le peuple voue une admiration particulière pour ces gens-là, il n'avait jamais pu être accepté par la caste des aristocrates. Son anoblissement, à un âge tardif, n'y avait rien changé : seuls les parvenus ignoraient les noms des grandes familles.

Son enfant, lui, était né noble, il avait vécu comme tel, bercé dans ce milieu, et si son éducation avait été mouvementé par quelques sarcasmes des véritables, son esprit et son élégance en avaient fait irrévocablement un des leurs. Toutefois, il garantit à Maria qu'il n'oubliait pas les origines roturières de ses ancêtres.

Et la conversation évoluait ainsi au gré des cahots. Ils en vinrent même à discuter littérature ; il se mit à comparer la réalité aux romans qui s'en inspirent le plus :

- La différence fondamentale, c'est que la vie n'est pas métaphores et autres figures stylistiques ; l'homme purement les invente.

Maria ne répondit pas ; elle leva le rideau, il n'était qu'à deux rues de son immeuble. Elle eut brusquement honte.

- Je vais descendre ici, déclara-t-elle.

- Mais nous ne sommes pas arrivés, s'étonna-t-il.

- Pratiquement. Marcher me dégourdira les jambes...
« Et vous avez à faire.

- Bien... comme il vous plaira.

Le pommeau frappa trois fois, la voiture s'arrêta ; peu après, la porte s'ouvrit et le cocher installa le marchepied.

- Oh ! une dernière chose, s'exclama l'homme d'affaires alors que Maria était déjà sur la chaussée. Si vous souhaitez me parler... (il lui tendit une carte de visite) voici mon adresse.
« Vous ne pouvez pas manquer le bâtiment, il s'agit du siège de l'entreprise, juste au bout des jardins du Sénat. Je serai toujours frais et dispos à vous recevoir et... l'oreille attentive.

Cela la rassura et l'ultime noyau de doute qui demeurait en elle s'évanouit.

Ils se dirent poliment « au revoir ».



« Dans cette course contre la montre, j'ai fini par prendre de court le monde entier, moi y compris. »



Maria arriva devant chez elle ; Sophie vint l'accueillir, lui signalant que, si elle le désirait, une bassine d'eau chaude était prête pour elle dans la cuisine. Elle accepta.


Épuisée de tous ces événements et appesantie par sa toilette, Maria escalada péniblement l'escalier, erra endormie au sixième palier et se jeta dans son lit.

La Couleur InconnueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant