Partie 47 - Chapitre 11 : Aurore

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Elle se précipita à genoux sur lui.

La fournaise arriverait bientôt ; le malheureux était enveloppé d'Ignotum. Elle essaya de soulever l'étalage, sans succès ; la tâche était difficile à ses muscles inaccoutumés. Elle redoubla d'effort ; les jointures de ses os semblaient prêtes à s'arracher. Elle réussit à le hisser un peu et, avec le secours des paumes puissantes désormais libres du manutentionnaire, le meuble bascula sur le côté.

Elle sourit. Épuisée, elle se reposa un instant. Elle en profita pour observer alentour.

Le lieu était moins enfumé que ce qu'elle avait traversé, et lorsqu'elle se dressa sur ses pieds elle voyait toujours à plusieurs mètres.

Maria assista le rescapé pour qu'il parvînt à se lever, cependant il avait la jambe gauche inerte, en sang ; s'il ne s'en plaignait pas, elle devinait à la pâleur de son visage à quel point il en souffrait. Il n'avait aucune force et ne pourrait pas se déplacer seul.

Le bâtiment grinçait, ils devaient se dépêcher.

Une particule d'Ignotum sautilla, hurla dans le champ de vision du miraculé, l'éblouissant cruellement. Puisqu'il était incapable de marcher par lui-même, elle serait sa canne et ses yeux. Ils seraient obligés de progresser debout.

- On va y aller, simplement d'abord... votre mouchoir... prenez-le, collez-le contre vos orbites et gardez vos paupières fermées, lui ordonna-t-elle, ayant remarqué la présence du tissu dans une poche.
« Faites-moi confiance.

Il obéit, fit de cet objet pauvrement confectionné un bandeau de fortune qui recouvrit ses iris torturés.

Maria posa autour de son cou le bras de l'homme. Ses épaules se voûtèrent sous cette imposante carrure, pourtant elle ne céda pas. Elle serra la taille du blessé pour mieux le maintenir et l'aider à endurer la douleur.

Par où partir ? Elle ne se souvenait guère du chemin qu'elle avait emprunté, puis, assurément, celui-ci avait déjà disparu. Dans ce labyrinthe diabolique aux couloirs changeants et aux destinations incertaines, son unique stratégie se réduisait à avancer et encore avancer.

Sans annonce, elle commença le périple.

Immédiatement, sa distance de vue diminua sévèrement. Alors, de sa main libre, ils évoluaient à l'aveugle dans la rougeur des flammes, parmi les brandons et les vapeurs asphyxiantes. Elle respirait un minimum, cela ne l'empêchait pas de tousser comme le fort. Ce dernier accablait ses muscles et ses os ; chaque pas était une épreuve ; ils cheminaient très lentement.

- Tout est en feu, tout brûle, les Halles brûlent, mon travail brûle, mon existence brûle... C'est fini, tout est fini, divaguait-il lugubrement. Avec cette jambe, je suis condamné à la misère... je ne suis plus rien... Je suis bon pour cre...crever d'faim dans la rue, autant abandonner maintenant... !
« J'vais m'arrêter, j'souffre inutilement, ça ne sert à rien...
« Lâchez-moi, j'vous dis... ! je ne suis plus rien.

Néanmoins, ils continuèrent à marcher.

Dans un grand fracas, un pilier s'effondra juste devant eux. Il répandit un air insupportablement chaud et lourd sur le visage de Maria ; elle manqua de défaillir.

La fumée s'éleva brusquement, elle lui révéla l'immense masse difforme qui leur barrait désormais la route. Une partie du toit venait de s'écrouler.

- Non, vous êtes encore en vie.

La Couleur InconnueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant