Partie 62 - Chapitre 14 : Violine

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La salle rectangulaire s'étirait en longueur sous ses yeux, luxueuse et spacieuse. Le velours s'accordait magnifiquement à l'Ignotum, omniprésent dans les coutures et même dans les peintures forestières et célestes du plafond. Le mélange de teintes naturelles avec ce minerai offrait un cachet particulier, magique à ces arbres innombrables et denses ; l'envie de s'y aventurer se répandait dans son sang ; elle imaginait y observer les créatures sylvestres des contes et légendes d'autrefois.

La pièce se dirigeait intégralement vers l'unique porte, majestueuse et dorée, à l'opposé de l'ascenseur. Sans conteste, le cabinet de Rochebrisée.

Contre les cloisons étaient agencés des fauteuils et des canapés. Maria s'assit sur un de ces derniers ; le dossier et les accotoirs étaient d'un rembourrage exquis, un véritable enchantement pour décontracter ses muscles qui se révélèrent alors endoloris.

Devant elle, de multiples motifs ornementaient l'ébène des tables basses sur lesquelles pots de fleurs, chandeliers et statuettes importées des colonies s'alternaient délicatement.

Une discrète odeur épousait l'air, un parfum d'une extrême finesse dont l'agréabilité n'avait d'égal que la difficulté à le saisir.

Sur les murs, quantité de tableaux réalistes, parfaitement alignés et d'une dimension similaire. Ces vastes fenêtres sur l'ailleurs étaient clairement vouées à impressionner : elles enseignaient l'incommensurable étendue et puissance de l'entreprise Rochebrisée. Chacun des cadres se voyait ainsi doté d'un petit cartel qui expliquait quel secteur était représenté.

D'abord était peinte la masse sombre des travailleuses manuelles dans les fabriques de chaussures ; ce devait être ici que l'empire était né.

Oui, nettement, il apparaissait une chronologie, un sens de lecture, de l'entrée jusqu'au bureau.

Les paysages suivants mettaient en scène des machines à coudre dans de gigantesques usines ; des puits de pétrole, des mines d'or ; puis des hauts fourneaux, des fonderies de divers métaux ; ensuite des canons d'artillerie et leurs obus encore neufs, des trains et leurs rails, des paquebots sortant de chantiers navals, et enfin des constructions d'acier démesurées.

Du textile, l'organisation s'était intéressée à l'exploitation minière, et, progressivement, à l'industrie lourde qui en découlait. Aujourd'hui, elle se diversifiait dans les voitures, mais aussi dans la presse, la céramique... et évidemment dans l'Ignotum.

L'ultime toile en face d'elle comprenait justement de la couleur inconnue. Ce qu'elle devina être une vue d'artiste préfigurait une invention novatrice permettant de produire de l'électricité et de faire fonctionner des engins à partir de l'Ignotum. De l'électricité... de cet usage du minerai, elle n'en avait jamais entendu parler. Ou peut-être... toutefois elle l'avait oublié.

Deux peintures se singularisaient ; accrochées de chaque côté de la grande porte, elles étaient des portraits. L'une immortalisait le père, assez âgé, l'œil austère, autoritaire, l'autre un de ses fils, revêtu d'une écharpe républicaine ; il s'agissait probablement de celui qui siégeait à l'assemblée au sein du parti opportuniste. Louis de Rochebrisée était absent de ces œuvres picturales, sûrement symbolisé par les somptueux battants toujours fermés. 

La Couleur InconnueWhere stories live. Discover now