Partie 112 - Chapitre 24 : Coquille d'œuf

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Le merveilleux ressurgit lentement, inéluctablement, malgré sa volonté. La forteresse s'était mille fois effritée, et paradoxalement ce fut au cœur de l'affliction de la mort du petit animal qu'elle en perçut les premières évidences. Elle avait souhaité lui montrer la beauté de la nature pour adoucir sa douleur. L'émotion était revenue, prégnante ; abattue, elle ne s'était pas défendue. Elle l'avait chassée ultérieurement.

Après cet épisode tragique, dans l'aéronat, elle chercha à se reconcentrer devant ce qu'elle ressentait comme des agressions la déviant de son objectif. C'était perdu d'avance ; autour d'elle, la puissance du merveilleux ; elle ne pouvait aller contre. Elle avait cédé, et maintenant à peine elle l'appréhendait pleinement.

L'émotion n'est pas négociable ; si l'on tente de la fuir, l'on échoue ou l'on meurt. Elle est un ciment pour rester dans la réalité ; l'émotion est l'attache à ce monde. Elle guide l'humanité, et, partant, un événement ne sera pas senti de pareille manière selon l'individu et sa disposition de l'instant.

Pourtant, ce n'est pas un mal, puisqu'elle lui avait permis d'apprécier la magnificence qui partout fleurissait.

La solution, c'est l'harmonie. Lier l'émotion avec la raison, lire la première par la seconde, et accompagner la dernière par la première, dans un parfait équilibre.

Solitaire à l'heure d'une décision, la raison risque d'entraîner des conséquences dramatiques ; similairement, l'émotion incontrôlée engendre des choix insensés. Les deux, ensemble, mariées, ouvrent de nouveaux champs de possibilités, de vastes espaces, libres, dénués de tromperie.

L'harmonie est question de balance et l'éternelle confrontation à l'autocritique et au débat assurent de s'en approcher et de la conserver.

Ainsi associées et équilibrées, la bonté de ce que l'on regarde, hume, goûte, touche, écoute ne rend nullement ignorant, égoïste et passif, ce qu'elle redoutait durement jusqu'ici dans l'aéronef. Non.

Là où elle avait conçu uniquement une dichotomie, un affrontement réglé par une paix séparée, seule l'alliance était viable. La vie s'épanouit dans le jeu de l'émotion et de la raison.



Le merveilleux, c'est le quotidien.


Piégée dans la raison, elle l'avait omis.

Le premier jour, la nouveauté est fabuleuse, un rêve éveillé. Par la suite, on finit par désapprendre que ce qui est alentour de nous est d'une beauté inégalée ; on prend notre environnement pour acquis, et parfois, le désir nous obnubilant vers des promesses de fraîcheur, on s'en lasse même.

La misère et la souffrance sont aussi là pour quelquefois voiler la splendeur ; lorsque l'on lutte pour subsister malgré la douleur, on ne s'arrête que rarement pour respirer et admirer.

Alors, c'est quand un matin elle vient à manquer qu'on remarque à quel point elle comptait. Ou bien, sobrement, l'on s'assoit soudainement, calmement, et l'on saisit à quel point le nu fait de vivre est prodigieux, pas toujours facile certes, mais à chaque seconde nous pouvons caresser des doigts la grâce du cosmos et de ses éléments. La simple écorce d'un arbre relève du merveilleux.

Elle l'avait perdu de vue en se retirant de la cave... car la soif de connaissance, c'est avoir le merveilleux comme source de travail. Ce que le peuple autrefois nommait magie et divinité en contemplant le ciel et la Terre étaient savoirs pour le moment inconnus de leurs esprits. La découverte et l'étude du monde avaient, aux yeux de Maria, continuellement réaffirmé son sublime, dans sa façon d'être, d'éternellement nous surprendre ; ce que l'on oublie par habitude, le lyrisme de la nature et la science nous le rappellent. Elle l'avait su auparavant, et ce périple le lui avait remémoré.

Le merveilleux germe à la pensée que du rien soit créé et le néant et les choses, et qu'une logique et un univers s'agencent autour ; si l'homme désespère à comprendre les fondements mystérieux, l'origine, ce qu'il parvient à élucider, le compréhensible construit sur l'incognoscible, n'en demeure pas moins merveilleux.

L'Ignotum était la quintessence de tout cela, l'œuvre d'art la plus pure de la création, l'essence même du merveilleux. Rochebrisée parlait d'un pouvoir, ce n'était pas faux. Elle l'avait nié, ainsi qu'elle avait nié l'Ignotum. Elle avait continué de croire que l'engouement ne durerait que le temps de la nouveauté, de l'attraction publicitaire ; elle s'était trompée. Il était le merveilleux, et l'on était incapable de négliger qu'il l'était. Il restera invariablement une fascination.

Les gens le voulaient pour l'observer encore, encore et encore... pas pour le consommer, pour l'avoir avec eux, tel l'enfant qui souhaite dormir auprès d'une luciole. Ils le désiraient dans leur quotidien, sans l'excès qu'elle percevait résultant d'une mode et de la réclame ; ils aspiraient à être en sa présence, simplement.

L'Ignotum était un magnifique alexandrin perpétuellement émouvant à lire et à écouter, au cœur d'une poésie déjà élancée.

La Couleur InconnueWhere stories live. Discover now