Partie 16 - Chapitre 3 : Azuré

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Chapitre 3 : Azuré

Une obscurité hivernale recouvrait la capitale. Le rat s'était assoupi ; il respirait doucement, calmement. Sophie lui laissa des boulettes de pain et remplaça les bougies par de nouvelles qui se consumeraient tranquillement toute la nuit. Maria voila le minerai d'un tissu et la couleur inconnue à ses yeux ne brilla plus.

Elles quittèrent avec regret la cave, et Sophie la verrouilla. Lorsque cette dernière se retourna, la scientifique tenait déjà la poignée de l'entrée ; elle était sur le point de souhaiter la bonne soirée et d'aller se coucher. Alors, précipitamment, Sophie lui pria de rester manger.

Maria s'immobilisa, relâcha la porte lentement ; elle accepta, avec un certain manque d'entrain, presqu'obligée. Elle n'avait pourtant rien planifié en dehors d'un court moment pour réfléchir seule à cette journée et un sommeil qui la ramènerait prestement à son laboratoire.


Maria déposa trois bûches dans le four et s'occupa du feu. Sa compagne trancha des pommes de terre et les mit délicatement dans de la vaisselle en céramique. Une fois que la chaleur du foyer fut convenable, elles y introduisirent les patates avec une garniture de chèvre.

Maria s'attabla tandis que Sophie, debout, entrebâillait régulièrement la plaque en fer pour mesurer l'avancée de la cuisson. Elles parlaient de sujets divers, de ce qui s'était déroulé durant le voyage, et surtout des expériences et de cet élément si intriguant.

Bientôt, le repas fut prêt ; un bref « bon appétit » fut échangé, suivi d'un compliment de Maria sur les talents de son amie, puis elles commencèrent à déguster.

Toutefois, Sophie, après plusieurs bouchées, contemplait mal à l'aise Maria se régaler :

- Il y a fort peu de fromage... pas assez de légumes, se culpabilisait-elle, embarrassée. Ce n'est pas très...

Maria posa sa fourchette dans l'assiette ; elle prit le temps d'avaler ce qu'elle avait mâché.

- Il y en a suffisamment et, je te l'ai souvent dit, c'est un de mes plats favoris, répondit-elle énergiquement.

- Tu avais prévu de souper quoi ce soir ? questionna Sophie.

L'inquiétude reflétait sur son visage, résonnait dans sa voix.

- Oh... ! j'ai encore des biscuits du village, mentit Maria.

(Observant l'agitation croître au bout de la table).

« Et d'une manière ou d'une autre, je me serais débrouillée... sans problème.

Sophie soupira, sa figure s'inclina ; elle avait l'habitude de ce genre de répliques de la part de Maria.

- J'ai honte tout de même, honte de servir quelque chose d'aussi misérable à une personne telle que toi.

Pendant que Maria se redressait vivement sur sa chaise, esquissant un rictus, Sophie s'agaça soudainement, elle qui ne l'était jamais :

- Oui ! oui ! je sais ce que tu vas me répéter ; je connais le discours. Mais ouvre les yeux... ! Tu serais largement mieux si tu retournais travailler à l'Ecole avec tes confrères chercheurs, payée par l'Etat.
« Tu as suivi de longues et belles études Maria, et regarde où tu en es ! Tu n'as rien à manger, dors dans la chambre la plus étroite de la capitale et as une cave dénuée des instruments dont tu as tant besoin. Et tu continues de vivre ici, avec des gens tels que moi, pour qui écrire correctement une simple phrase est synonyme d'épreuve impossible...
« Tu mérites mieux que ça !

Maria était restée silencieuse et immobile. Elle avait attendu que les paroles de son amie s'évanouissent et que s'installe une tranquillité imprévisible. Sa vue quitta alors paisiblement Sophie, voyagea sur les murs en quête d'inspiration et croisa le tableau. Dans son effervescence, ce matin et à midi, elle ne l'avait pas remarqué. Elle avait également oublié de faire la bise à Sophie ; c'était bien la première fois.

Ce petit tableau, Maria le scrutait désormais. Il était l'unique et véritable fenêtre de la cuisine. Rectangulaire, il avait la taille d'une assiette. Quand la porte d'entrée était entrebâillée, on l'apercevait de l'extérieur.

Tout le monde regardait ce tableau. Il représentait la mer. Une mer d'un bleu azur, calme, ensoleillée. Çà et là émergeaient des îles enchanteresses de garrigues, de champs de vignes et d'oliviers. Au premier plan, un pointu ; les deux marins, sur le point de jeter le filet, espéraient pêcher de ces eaux poissonneuses de quoi nourrir leur famille. Maria aimait beaucoup ce tableau. Elle aimerait un jour voir cette mer.

La Couleur InconnueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant