Chapitre 29B:Signer ou ne pas signer.

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La question qui se posait était donc la suivante:Fallait-il signer,ou non?Pour certains,la plupart d'entre nous,la réponse semblait naturelle:

-Je ne signerai pas,fit ma prof de maths.

-Ils nous tueront si on le fait pas,lui répondit suffisamment la mère adoptive des jumelles.

-Je ne pense pas lui répondit le père de Viktor,il faut juste leur opposer un refus diplomatique.Mais en attendant,on ne lésinera pas sur nos moyens pour travailler.

-De toute façon,ajouta l'un des russes,vous les cochons vous râler dés que vous n'avez pas un plat digne des grands chefs cuisiniers...Vous qui ne méritez pas un lit de boue!Oh,j'exagère c'est trop bien pour vous;..

L'humour russe,j'y suis allergique.Parce que moi je n'ai pas arrêté de penser à des petits légumes croquants accompagnés d'un saumon fumé surmonté d'une tige de ciboulette et d'une rondelle de citron,entouré d'un riz au saint jacques sauce curry.

Et comme je suis une bourgeoise cochonne,ça ne suffirait pas à mon bonheur,donc j'entonnerais un petit air jazzy.C'est ce que j'avais envie de faire en ce moment même d'ailleurs,pour détendre l'ambience.

Je garde aussi de cette épisode le souvenir d'une des premières confidences de Petys,cette femme détestée de toutes.Jamais elle ne parlait d'elle,jamais.

-Il faut absolument se méfier de leurs signatures.A la dernière réunion de profs,on a dû noter nos noms,faire la liste de tous les enseignants du lycée.Me voilà,ici.Mais je ne pense pas avoir envie de rentrer.Au collège,mes chutes dignes des plus grands cascadeurs hollywoodiens,dûs à mes problèmes de coordinations,n'arrêtaient pas de m'attirer les moqueries des élèves.Contre toute attente ici je me sens respéctée de mes pairs.La seule chose dont j'avais envie c'était m'enfuir de Riga,alors que toute mon enfance j'ai rêvé d'être professeur de mathématique,voir de littérature française ou anglaise.Ce qui n'a aucun rapport.

-Je m'en souviens,murmura Sessimis.Je vous revois au collège visiter attentivement chaque livres de ma bibliothèque.Vous aviez l'air de vouloir absolument discuter avec moi,et je l'avais pas vu.

-Vous êtes la personne avec qui j'aime le mieux discuter.Est-ce que le fait que vous soyez ici avec moi me plait?Oui.C'est ce qui pourrait m'arriver de mieux.Mais je refuse de signer.

Comme hypnotisé,je buvais ses paroles.Je ne comprenais pas que tant de gens soit ravie de notre sort,et j'allais encore rencontrer plus tard,des gens dont la Sibérie faisait presque partie des convoitises.Des juifs par exemple.

Les soviétiques ne nous ont pas demandé si on avait envie de signer.Ils essayèrent de nous faire craquer.Pour nous faire passer l'envie de désobéir,nous avons passé la nuit assis sur le sol.Seule maman était debout.

Les gens se serraient les uns sur les autres pour faire une marée résistante,et dommage que Lasse ne soit pas là,je me serais lovée dans ses bras et il me dirait de ne pas avoir peur,mais il devait faire ses rapports,sur ces nations oubliées de leur propre planète.Enfin,ce serait beaucoup de dire que ce serait un plaisir,vu que toutes les secondes,une nouvelle personne se faisait gifler.Et je n'avais nullement envie de goûter à leur main arrivant à la vitesse de la lumière sur mon visage rouge.

Mais je sentis une paume brûler ma joue quand je posai à ma mère la question que tout le monde se posait.

-Et c'est pour quoi qu'on a eu 25 ans?

Puis:Ouch!j'ai fait en plaçant ma main sur ma joue,vite,de l'eau glacée!C'était déjà à la base une zone particulièrement douloureuse.

-Nous avons enfreint le décret 58 de la loi soviétique.Nous reconnaissons avoir participé à des activités contre-révolutionnaires,contre l'URSS.

Mon dieu,non,ils ont osé nous accuser de ça.Je jette un coup d'oeil aux jumelles,qui elles étaient tout bébés.J'ai eu un peu mal à mon petit coeur qui se sentait de plus en plus incrédule.Mon histoire n'aura pas de happy end,vous pourrez en être sûr et certain.Je n'étais à l'époque qu'une personne comme une autre balayée par tous les aléas les plus cruels du hasard,sauf que le hasard,malgré l'incohérence kafkaïenne des situations qui s'enfilaient,n'avait rien à voir dans cette histoire,comme mon histoire avec Lasse en elle-même.Et je n'ose même pas imaginer que Lasse ait pu user de ce même stratagème avec des femmes plus belles,comme Sara ou Loony,qui ont dû bien plus souffrir que moi.J'espère que je ne le verrais en tout cas pas apparaître dans leurs récits.Pourtant,je mettrais ma main à couper,de toute façon elle est couverte de phagocytes,qu'il était bien là.

L'amour n'est pas une thématique avec laquelle j'étais à l'aise,même quand je vivais à Riga.Zita non plus ne l'était pas.Pourtant,je sais que Lasse m'aimait.D'amour.Mais il faut que je lui dise de m'expliquer un peu,que j'ai enfin une petite explication.

Maintenant,il va falloir parler de ces choses horribles,et ça me rebute un peu.Quand Sessimis et moi,en partant au travail,nous avons vu l'horreur qui glaça jusqu'à Lavra.Un cadavre,d'un homme que je ne connaissais pas mais qu'hier j'avais déjà vu.Un homme qui survivait au milieu de nous comme tant d'autres.

-Ils vont le laisser là pendant combien de temps?demanda maman en fixant les oiseaux qui n'avaient pas eu peur de faire leur nid dans le trou de son cul.

-Le temps qu'il faudra pour nous ôter toute tentative d'évasion répondit la documentaliste,en hochant la tête.

Avant d'être déportée,je vivais avec un optimisme et une naïveté qui ont été soufflé par l'ouragan totalitaire.Du moins c'est ce que je croyais,car un résidu puissamment accroché,comme une tique,continuait décidément toujours de me titiller,et ce pour mon plus grand bonheur.Je courais comme une folle,pour le peu que mes forces physiques me le permettaient,gambadant pour rejoindre la file de travailleurs.

Et brusquement,je suis tombée nez à nez avec l'expression la plus horrible possible du communisme à la russe.Nous n'avions plus rien à dire à ce propos,et le silence vraiment pesant et gênant qui s'ensuivit le prouvait bien.

Donc,nous avons rejoint la file des travailleurs.Voilà,Lana,je me disais.Ta vie est finie,avoue le.J'espère que tu en as profité autant que tu le pouvais,parce qu'alors là...continuait sournoisement ce petit esprit tortionnaire.

Je pensais qu'en acceptant d'étudier au lycée,ce lycée de renommée nationale où je pourrais devenir une grande chanteuse,ma vie serait bouleversée dans le bon sens.Même si ma voix ne laissait je le vois bien pas les soldats indifférents on m'interdisait d'y penser.On m'interdisait de chanter.Mon passé de bourgeoise,qui n'est pas révolu d'ailleurs,ne leur inspire pas confiance.

Oui,Penne,j'aime bien euphémiser.

Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Donde viven las historias. Descúbrelo ahora