Flash Forward 7:Ce qui était arrivé à Ania.

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Elle avait compris qu'elle était morte,je n'avais pas pu rester réellement discrète là dessus.Mais j'avais trop titillé l'hypotanamus de sa curiosité malade pour tout lui cacher,et puis c'était comme si j'avais trop faim pour refuser les plats qu'elle m'offrait.Je me demandais si elle aurait envie que s'ébruite cette agonie que j'avais voulu pudiquement préserver des regards,quitte à l'étouffer un peu plus dans les poils de draps imbibés de cristaux de sueur acide,les jambes pâtinant sur le sol pour que mon visage soit le plus près du sien.Car elle avait 15 ans quand elle a découvert que mourir à un si jeune âge c'était possible aussi pour elle.

-J'avais jamais envisagé ça sérieusement en fait,m'avait-elle confié sur le tard.Pas à moi.C'est vrai j'avais toujours pu rester en vie jusque là.

On ne pouvait compter sur la sympathie de personne cette fois.Les russes arrivaient,les allemands les sentaient venir à nos portes,c'était déjà un miracle si on avait pu rester ici.J'aurais très bien pu être encore prisonnière quelque part en Allemagne,à moins que le froid ne m'ai sauvée en reprenant vie autour de moi.Les autres partaient par dizaines de milliers pour des kilomètres dans la neige,à une époque où la météo,collabo elle même qui sait,avait décidé d'être la plus froide possible.Car c'est de cela dont Ania est morte.Sans mauvais jeu de mot,Panne,je pourrais vous déclarer froidement qu'elle est morte à force d'avoir vécu dans l'environnement le plus inadapté possible.D'après une autopsie qu'on m'avait accordée sur le fil du rasoir,avant qu'on se débarrasse d'elle de la pire façon possible,comme pour me confirmer qu'elle avait disparu à jamais,Ania est morte,comme j'avais pu le voir,d'un mélange de déshydratation et de froid.

-Sérieusement?

-Chacun avait des éléments qu'il était plus difficile de supporter que d'autre.J'en ai vu des gens se faire tabasser à mort par les gardiennes,plus que nécessaire,parce que le manque de sommeil les rendait incapables de se lever même si leur vie en dépendait.Peut-être était ce ce qui expliquait cette sensation d'humidité froide sur mon visage,sur celui d'Ani,chaque matin.La soif et tous les survivants vous le diront était le pire.

J'ai alors regardé ma main,prise d'une intuition soudaine,la pressant,en répétant en boucle c'est pour ça,c'est donc ça,ça explique tout,tu n'as rien fait de mal,Sara,tu n'y es pour rien alors,c'était donc ça.C'était un mouvement presque mécanique qui produisait petit à petit une fumée froide comme une machine à vapeur new yorkaise,comme si j'avais un coeur dans la main.Une lumière presque aveuglante a rebondi sur les murs gris,la lumière des cristaux des cascades aux environs de Zakopane,ma main de plus en plus froide,jusqu'à ce que Panne se lève soudainement et claque chacun de mes doigts autour de cette bulle de magie qui pulsait comme le sang jusqu'au bout des doigts.Telle un médecin un peu flippant elle a réajusté ses grands gants blancs et a bloqué mes doigts contre ma paume.ça brûlait...

-Vous aviez bu,Sara?

-J'ai souffert de déshydratation pendant des années moi aussi.L'abondance de cette eau,probablement la meilleure eau gazeuse du monde,je voulais enfin lui faire plaisir,vous pensiez que j'allais y résister longtemps.

-Faites attention à vous,quand même Sara.L'eau ne sert pas uniquement à vous défendre vous savez.

-Je me demande comment les autres ont pu survivre au froid...Comment ont-ils fait.J'ai cru que la soif,que cette fatigue constante allait m'achever.

-Vous vouliez tant que ça revoir Waldek n'est-ce pas?

-Est-ce que j'ai besoin de me justifier d'être encore en vie?Depuis que je suis ici je n'aspire qu'à la mort,et pourtant je n'ai pas tenté d'attenter à ma vie alors que je pourrais.Vous ne m'avez empêchée de sauter de la fenêtre à aucun moment.

-Sara vous pouvez voler.

La réplique fit mouche,le temps que j'assimile la nouvelle.

-Asseyez-vous à présent.

-Je ne pouvais ni la faire boire ni la réchauffer...J'avais soif,Panne.

-Pourtant il me semble que vous aviez déjà eu plusieurs fois l'occasion de boire votre...

Le petit rire qu'elle avait étouffé avec suffisance m'a tellement révoltée que j'ai rendu les armes et j'ai pleuré.Ania ne méritait plus sa mémoire.J'allais garder ses derniers paroles comme un collier comestible pour une chienne.C'était une gosse,elle s'était encore contentée d'appeler sa mère,son père et son frère.

-La déshydratation aide pas,avait fait cette femme d'un lit voisin avec de grosses lunettes en plastique,absolument pas adaptée à sa vue et qui la feront trébucher quelques jours plus tard d'une chute dont elle ne se relèvera jamais.Je me suis tournée,presque outragée,vers elle,qui se rendit compte de sa maladresse.Pourtant c'est ça la vraie vie.

-La vraie vie Panne ça peut pas être ça.,ça peut pas être avoir des pouvoirs magiques et savoir s'en servir.Non,en fait c'est pas ça que je veux dire.La vraie vie c'était ça pourtant.Se voir imposer des conditions de vie impossibles et en mourir après.Elle avait 15 ans,un corps qui commençait à se former pour avoir la résistance de celui des adultes m'étais-je dit pour me rassurer.Sans savoir si j'étais effondrée à l'idée de voir encore un peu plus le monde que j'avais reconstruit s'effondrer à nouveau autour de moi,voyant que ma force physique n'était pas suivie par celle des autres,ou si j'avais une peine immense pour cette enfant qui...Mais la vie c'est ça.Et pourtant j'ai envie de continuer.On a dit pendant 2000 ans l'an prochain à Jérusalem.J'ai répété pendant deux l'an prochain à Varsovie.

Et ça ne cessera pas d'être mon but dans la vie.

Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant