Chapitre 50B:23 décembre 1945.

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Oui,ça s'est passé.Je ne vais pas la revoir ici.Je pensais encore qu'on pourrait la sauver.J'ai vu Lavra s'éloigner à pas très lents de son amour,persuadée d'avoir marqué un point.

-Lavra,il ne peut rien pour elle.

Je ne voulais même pas y croire moi-même.Mais je n'avais pas envie de tenter de démolir l'ennemi.Il avait déjà réussi à nous démolir nous-même.

Demain,c'était Noël.Tout le monde voulait que ça se passe bien,et ils faisaient l'inventaire de tout ce qui manquait en ces lieux pour préparer un inoubliable réveillon.Le réveillon serait de toute façon inoubliable.On n'oublie pas d'avoir fêté noël dans une cabane en branchages au pôle nord.

-Lana?m'appela alors Gaëll,qui ne pouvait plus marcher,et qui était allongée auprès de sa mère.Elles allaient très mal,toutes les deux.

-Gaëll?Est-ce que ça va?lui ai-je demandé par réflexe.

-Lana,dis à Lavra d'aller chercher des fraises.


-Elle est là Lavra ne t'inquiète pas.Demande à Nikolaï de te passer les clés de la grange aux fruits.Vas-y,je reste avec elle.

Elle se mit à courir,mais ses jambes étaient si flageolantes qu'elle trébucha dans la neige après quelques pas avant de se relever difficilement.Je l'ai regardé disparaître,lui ai vaguement souhaité bonne chance,et je me suis retournée vers Gaëll.Elle était minuscule,et semblait s'enfuir.Je lui ai caressé les cheveux.

-Demain c'est Noël a-t-elle dit.

-Oui,demain c'est Noël ça va être génial.

Viktor est alors arrivé.

-Gaëll!Elle va bien?

J'ai baissé la tête en essayant de ne pas mentir."Heuh...oui...".

Viktor,lui,n'allait pas bien.Son père présentait à son tour des signes de faiblesse.Allait-il se retrouver dans une prison,une sorte d'orphelinat pour les enfants d'ennemis du peuple où ils seront rééduqués à oublier la haine accumulée dans l'enfance?

Penne ouvrit alors la bouche,comme si elle hésitait à me révéler quelque chose.Je n'y ai pas fait attention.Je me mis à pleurer.

Ils étaient tellement adorables tous les deux...Leurs petits bisous,comme des lapins qui s'embrassaient dans un abattoir.C'est à ce moment que Lavra arriva,déchira presque la tenture de papier de riz qui fermait la porte,et se précipita avec une fraise des bois au chevet de notre petite soeur.Elle s'agenouilla près de la table basse où la petite fille était posée,sous des couvertures.Elle poussa délicatement la fraise derrière les dents décalcisées de l'enfant.Maman la regarda faire,l'air concentré.Elle expliqua que normalement ça irait mieux,que c'était plein de fluor.

Mais la fraise ressortit de ses lèvres sous forme de bave rouge.

-Désolée,a-t-elle répondu,j'arrive pas à avaler.J'ai même plus faim.J'ai plus mal,Lana.Tu devrais être contente pour moi.

-Gaëll ne t'endors pas,a intimé Lavra sur un ton très calme.Tu sais,penses aux grands-parents...

-Ils sont morts.

-T'es vraiment pas maline toi.

Le temps avait vraiment passé depuis le jour où grand-mère mourut.Il doit rester un Monsieur Skimaas quelque part,mais il n'avait même pas cherché à avoir des nouvelles de ses deux filles,Régina et Ilentha.Leur mère s'est retrouvée seule.

-Au retour,on retrouvera Tata Régina,et nos amis.Tout ceux que nous avons aimé en Lettonie.

Je me suis pincée les lèvres pour ne pas préciser "s'ils sont encore en vie". Je n'imaginais pas un instant que son état était aussi grave,qu'elle était trop jeune,trop fragile.Ce n'est pas que je ne m'étais pas intéressée à elle.J'avais veillé sur ma petite soeur.Et je n'ai même pas réussi à élargir son horizon de vie.

Elle prit ma main,sortant son bras squelettique de dessous les draps,sa mère ayant le visage tourné vers elle,absolument vide de couleurs,le regard dur,la bouche ouverte et pincée à la fois,attendant fixement les réactions de sa fille.

-On va te laisser te reposer,a fait Viktor en se levant.

-Oui,vous avez raison,laissez-moi dormir.

Elle se retourna dans ses couvertures,jusqu'à ne former plus qu'une boule de plaid de patchwork,et se mit à trembler en-dessous.La boule se délitait légèrement,et elle envoya soudain valser ses draps un peu partout dans la pièce.

-Help!

-Il lui faut de l'eau chaude!

-Mais pas trop chaude,s'il vous plaît,faîtes attention!

Je l'ai prise dans mes bras,elle était absolument minuscule,déjà presque nue,et elle se blotissait contre mon manteau,toujours en tremblant.Elle se calma,et je l'y ai reposée,toujours dans mon manteau.Elle ne bougeait plus.Elle s'était endormie,ai-je d'abord pensé.Et je lui ai caressé les cheveux.Elle ne frissonnait plus.Elle ne bougeait plus.

Je dirais même qu'elle existait alors que ce n'était plus elle.

Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Where stories live. Discover now