Chapitre 36A:4 janvier 1943.

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Félix.Je me demande qu'est-ce qu'il doit ressentir,cet adorable gamin de sept ans.Je suis sûre que dans ce couvent,où la charité correspondait réellement à sa définition,personne ne veillait sur ces deux enfants.Ce que je ne trouve pas étonnant.Ils sont si nombreux,dans un espace si exigu.D'un autre côté,ce sont des enfants sans parents.Felix et Aniela avaient perdu leur mère qui aurait bien trop peur du prosélytisme dont auraient pu faire preuve les soeurs.Ces soeurs,qui,je le suis sûre,les ont bien fait profiter de la Noël,que Wladislaw aimait aussi célébrer,par une sorte de nostalgie courageuse qui eut tout de suite l'approbation de mon père.

Ce jour là,trois jours avant que je ne parte de ce ghetto,ayant les chercher au couvent,Gerusha mourut.Je ne l'ai pas vu mourir,je ne l'ai pas vu morte.C'est Halina,qui désormais se retrouvera seule,qui la trouva et que nous avons trouvé au matin le visage décomposé par la douleur.Elle nous a dit qu'elle était morte.Elle nous a dit que plus jamais elle ne retrouverait sa fille,qu'elle finirait sans doute,comme son amie,et comme ma famille,déposée par une charette dans la fosse commune.

-Comme j'ai envie que vous échappiez à ce destin,je vous aiderais à partir.


Je m'attendais à cette disparition.Je m'y étais préparée.Je m'étais attendue à ce qu'aucun miracle ne sauve cette femme au pronostic vital bien engagé.Sans doute,comme ma mère,elle n'était pas destinée à voir sa fille grandir.Sauf que ma mère n'aura pas le privilège de voir sa fille grandir sans elle.Le monde s'était arrêté avec elle et j'étais la seule,la seule à continuer.C'était selon moi d'une infinie cruauté.


Après,nous sommes sortis de la maison.Longer un grand boulevard où la neige recouvrait les morts.L'année 1943 venait de commencer.C'est cette année,que sans que j'ai eu assez de courage pour les aider,les miens se sont soulevés.Je n'ai pas de courage,je n'ai pas de générosité.J'ai mes larmes,ma rancoeur,et ceux que j'aime.

Voilà à quoi s'est résumée ma vie,jusqu'à cette année.

Pour fêter le nouvel an,les allemands s'étaient fait vraiment plaisir puisqu'une centaine de personnes ont été arbitrairement fusillées.Le sang creusait parfois des rigoles au creux du chemin.C'était joli.

-Gerusha,disait Halina.Très joli prénom.

-Cela est un mélange de Grazena et de Bogushka.Mes autres prénoms,j'ai répondu,grinçante.

Ania était restée à trois cents mètres devant nous,et paniquée par sa situation solitaire dans cette rue réputée dangereuse,elle nous fit des signes,et son visage retranscrissait sans mal toute la peur qu'elle devait éprouver.Elle se croyait à chaque instant au bord de la mort.Sans doute était-elle consciente de ce qui nous attendait.Elle était réellement crispée.

Pourtant,notre horizon semblait tout nouveau.Nous allions sortir.

Nous nous sommes rejoints au travail.Avant de m'éclipser,je tenais à me faire la plus discrète possible,et si je me montrais utile,ils ne jugeraient pas pertinents de se débarrasser de nous tout de suite,du moins c'était mon analyse cohérente de la situation.Waldek nous attendait devant l'infirmerie,celles où ils rassemblaient les malades pour sans doute les achever au lance-flamme ensuite.

Je ne veux pas que vous sachiez dans quelles circonstances nous a été dite cette phrase montrant le peu de fondement qu'il y avait dans leur haine.

-Après tout,c'est à ça,non,que vous êtes bon les juifs?Faire de l'argent?

Si seulement!J'aurais tellement aimé payer Jablonski!

Et pour la dernière fois,j'ai revu Luna.Je lui ai dis pour Jablonski.Je lui ai dis.Je voulais lui donner de l'espoir.Qu'il était possible d'être sauvés par nos compatriotes.

-Je sais,Sara.Je ne vois pas pourquoi les autres ont cette affreuse manie de se méfier de tout ce qui n'est pas juif.

-Regarde notre histoire...L'inverse est vrai également.

J'aime beaucoup discuter avec Luna.Dommage que je la trouve énervante.

Mais je voulais que quelqu'un qui ne vivait pas dans notre appartement sache qu'on allait partir.Que la fuite était possible pour ceux qui le souhaitaient.Bien sûr,c'était assez lâche et j'en étais pas fière.

-Luna,moi non plus je ne comprends pas pourquoi même nos compatriotes sont vus comme mauvais.En même temps,vu comment vous les méprisez,je réagirais comme eux...

Puis on est tous polonais.N'en déplaise à Mr Tête Vide.

-C'est qui?

-Le chef de votre groupe de résistance.Je me souviens qu'Halina,tu m'as connue grâce à elle,ne m'a jamais donné son nom,j'ai dit en riant.

Il ne nous a jamais rien dit de correct,et surtout,je me sens de moins en moins rattachée à notre ethnie,si tu vois ce que je veux dire.Quand je m'enfuirais seule dans la forêt,rien de tout cela n'existera.On se mêlera à la biocénose,après que d'autres gens de notre espèce nous ait sauvé...

-Oui,mais reste calme,et écoute ce que j'ai à te dire,à présent.Tu dois te méfier.C'est réellement nous qui prenons tout.Je suis allée chercher de l'aide chez l'une de mes amies.Mais elle a refusé.Elle avait peur,dit-elle en levant les yeux au ciel.C'est nous qui sommes menacés de génocide et c'est elle qui a peur.

-Ils sont peut-être menacés de génocide eux aussi.Dans ce genre de situation c'est chacun pour soi.

-Justement,je ne comprends pas.Pourquoi on ne s'allie pas contre notre ennemi commun?

C'était une phrase simple,bête peut-être,mais je ne trouvai pas de réponse.

-J'ai un allié.

Sans rien ajouter,avec ce mystère que je voulais faire planer autour de moi comme un efficace système de défense,surtout depuis que j'avais vu ma famille mourir.Elle aussi avait vu peu à peu disparaître tous les siens.Elle aussi,elle ne regardait pas les origines des gens.Moi,c'était sans doute parce que j'avais une drôle d'âme.Méfiante,meurtrie et pourtant tellement innocente.

Je me suis encore couchée ce soir.Je me suis roulée sur le mur,sur le sol.Une heure plus tard,malgré l'état d'épuisement dans lequel on nous maintenait volontairement,je ne dormais pas.Ce n'était pas le sol dur et froid juste sous ma tête qui me posait problème.C'était l'idée de les abandonner.Puis,comme j'étais très fatiguée finalement,la réflexion même me lâcha.Je me suis rapprochée en rampant de Waldek,pour me réchauffer un peu contre lui,ce à quoi il me répond:

Dors,maintenant.

Cette phrase,cette phrase prouvait qu'en réalité,nous sortions ensemble,sans le savoir,sans que les circonstances réellement ne s'y prêtent.Nos sentiments mutuels ne se limitaient pas à une solidarité instinctive.L'amour était née entre nous.Rien que cette histoire,rien que cet amour était pour moi en soi miraculeux.Comme si je me sentais préservée.Pas préservée de corps,combien de fois ai-je failli disparaître.

Peut-être qu'à défaut de courage,j'avais encore un coeur finalement.

Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Where stories live. Discover now