Hongrie 1er août 1944.

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Il nous était agréable d'errer en Hongrie.Nous avons recommencé nos expériences avec Waldek,regardant ensuite les étoiles dans un ciel qu'on partageait tous.Le débarquement avait eu lieu sur les plages de Normandie.On parlait d'une révolte à Varsovie.La guerre touchait à sa fin.On pourra enfin avoir des enfants,avait alors proposé Waldek.J'ai souri,trouvant l'idée charmante mais pas très réalisable.

-On a 18 ans,je crois qu'on peut attendre.

On réfléchissait déjà à un moyen de revenir en Pologne,après s'être caché dans un pays collaborateur,idée stratégique innovante s'il en était.On se demandait si il resterait beaucoup de juifs là-bas.On se disait aussi que les nazis devaient avoir de bonnes grosses couilles,pour attaquer un pays sans envergure sans armée et sans influence,pour s'attaquer en priorité à sa frange la plus décriée.Je pense ça à chaque instant et même quand la guerre sera fini j'y penserai encore.Nous étions assis dans l'herbe,sur le bord d'une rivière étroite sur laquelle se réverbérait un ciel plein de moutons.Nous n'allions pas nous arrêter en si bon chemin,j'ai plongé dans cette rivière.J'étais terriblement maigre,je le voyais,je le ressentais,mais qu'importe,le soleil réchauffait l'eau.Je continuai à nager.

-Je pense que là où on en est,ils ne peuvent plus nous attraper.,j'ai fait en me tournant vers Waldek qui faisait la planche à mes côtés.

-Je le pense aussi.

Ania et les deux autres séchaient aussi au soleil,à l'ombre de la rangée d'arbre qui longeait la rivière,mais nous avons préféré nous allonger sur un banc de sable,tous les deux ensemble.Cela allait faire un an que mes pouvoirs magiques s'étaient manifesté,et ils ne sont plus jamais réapparus depuis.Je vis soudain Ania,qui s'était aventurée dans la forêt faire volte-face derrière nous,et nous appela à tue-tête.

-Frérot!Frérot!Viens-voir vite il y a un squat dans la forêt...On dirait Ela,la soeur de papa!

Nous avons accouru à la nage vers celle qui dormait dans la forêt.C'était une blonde avec un chignon qui dormait à côté d'une pile de bois.Elle s'est réveillée en entendant nos pas.

-Quelqu'un parle le hongrois ici?

-Moi,a fait Waldek,c'est pour ça qu'on est ici.

-Tu l'as découvert seulement maintenant?interrogea Panne.

-Oui,on a pas croisé un seul hongrois en 4 mois en Hongrie.Le pays était dépeuplé,Panne.

Ils ont échangé des mots dans une langue curieuse.Je trouvais ça dangereux de voir un étranger parler à une hongroise dans une langue qu'il ne maîtrisait pas totalement,mais toutes mes craintes disparurent quand il nous domina tous pour nous dire:

-Ils fêtent la prochaine libération du pays.Ils nous invitent à leur fête.

Elle avait lieu ce soir,et pour que la jeune femme se remette de son malaise,nous l'avons invité au bord de la rivière,et elle bombarda Waldek de question le reste de l'après-midi.Elle ne lui a pas demandé si il était en couple,mais d'après ce que j'ai compris,les premières personnes sur qui nous étions tombés n'étaient pas fâchés de voir les nazis partir et espéraient même y être pour quelque chose.Je ne pensais pas que beaucoup de gens comme ceux là seraient encore en vie.Waldek tentait lui de garder son calme,d'éviter de se laisser consumer par tous les souvenirs auxquels il devrait faire appel.Il lui a tout raconté.

-Je pense que cela n'aurait rien changé du tout que nous soyons accueilli par des résistants,a-t-il dit pour conclure.

-Tu crois?

-Certes,je n'aurais pas souffert les tortures de la faim,du froid,du manque de confort...Mais tout ça on l'a vu à Varsovie.Dans la forêt il y a un immense sentiment de liberté,c'en est hallucinant.

-Il s'est bien gardé de dire,commença Panne,que si ils savaient que chez les juifs,se transmettait en Pologne un immense pouvoir givrant,ils refuseraient de s'attaquer à eux.

-Pardon?Cela veut dire qu'on est vraiment un peuple élu à part et que je ne suis pas la seule à avoir ce pouvoir?

-Première nouvelle,Sara,vous ne disparaîtrez jamais.Mais votre peuple n'est pas celui dans lequel la magie terrestre c'est le plus répandu,non,ça serait plus les tziganes.Mais ce pouvoir,votre père l'avait,votre frère l'avait,et votre soeur...

-J'avais essayé de faire appel à ce pouvoir tant de fois sans qu'il ne fonctionne...Je leur en ai parlé,à ces gens.Enfin,non,pardon,je ne leur ai pas...Enfin...Non...non.

Ce n'était même plus seulement que j'aurais pu sauver toute ma famille à moi toute seule.C'était que ma famille entière aurait pu se sauver toute seule.

-Ils nous ont ramené chez eux.C'était une auberge à trois étage,avec un mur renforcé en bois fauve tout partout.Il restait des fleurs.Des fleurs,si ça ce n'est pas un signe de bonheur,je ne sais pas ce que c'est.Elle nous a présenté à son gérant de mari qui était :derrière le rideau rouge de la scène du café concert où il nettoyait des verres.On dirait l'auberge que tenaient Zdzich et ewa,mes grands parents,au bord d'une route très fréquentée de la Pologne orientale sous l'empire russe,très grande et où mon père avait passé son enfance,celle où débarqua en 1924 un évadé juif ukrainien des camps soviétiques qui épousera ma tante.Une auberge qui fleure bon les sièges en tronc d'arbres et les sangliers empaillés.Là où je voulais célébrer une victoire sur la mort qui s'était faite en douceur longtemps après les dernières pertes humaines.

-Une petite juive,hein...

-Y a pas qu'elle,on l'est tous,a fait Ania qui décidément brillait ce soir là.Elle chante très bien Sara d'ailleurs.Vous devriez lui proposer...

Je vous l'ai déjà dit,je n'aimais pas chanter.D'une part,chaque fois qu'on me proposait de chanter c'était pour mettre ma voix au service d'une foi quelconque qui n'était pas la mienne,de l'autre,je n'aimais pas spécialement chanter,et j'étais fâchée qu'on m'admire pour mes cordes vocales plutôt que pour mes compétences au tir à l'arc qui ont permis de nourrir plusieurs fois notre joyeuse petite bande.Et à ce propos,on a été nourri ce soir question gibier des bois et je ne savais même pas quel viande c'était,à vrai dire je me fichais bien de bouffer des ruminants ou non.Ils étaient si innocents dans leurs assiettes avec une sauce potagère qui gouttait de leurs reliefs.Les clients ne tardèrent pas à arriver,tous accompagnés de leur propre bouteille d'alcool,dans cette pièce commune ressemblant à une écurie du caucase,mélangée à un grand  magasin moscovite ou londonien,équipé d'une scène qui évoquerait celle d'un théâtre itinérant du passé.

J'étais rêveuse quand je le décrivais.et j'avais des larmes aux yeux,si denses en tristesse qu'elles en étaient sans haine aucune.J'étais si lasse de vivre dans la forêt malgré ma nature sauvage que j'étais prête à redonner sa chance à la civilisation.Ils voulaient que je monte sur scène,et ils m'y avaient presque forcée,sans me laisser le temps de rester paralysée par la foule qui venait profiter du spectacle,des inconnus que je n'entendais pas beaucoup.Cela aurait dû m'avertir.Si ils venaient vraiment célébrer la victoire des hommes libres face à un rouleau compresseur,je les entendrais chanter des chants patriotiques.Peu importe que leur camarade antisémites se l'approprient aussi.J'aurais été prête à chanter avec eux aussi.Et j'entendis chanter derrière moi une chanson.D'après Waldek,qui avait fait hongrois première langue,ça parlait d'une fille du ghetto.Il les aimait bien menues,le tavernier cocu.Mais j'ai chanté quand même,même si il enlaçait ses mains autour des miennes,ou autour de mes hanches,en parlant d'une fille de ghetto.Et c'est comme ça que je m'étais définie,en une fille que le ghetto avait grandi,comme une femme-enfant uniquement animée par la survie.Petite Sara.

Waldek s'apprêtait à faire irruption sur la scène pour m'arracher à un homme prêt à tromper sa femme.Mais il n'en eut pas le temps.Les portes se sont brisées sous des assauts de crosses de fusils.Et ce qui me semblait être des milliers de nazis firent irruption dans la pièce.


Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Where stories live. Discover now