Flash Forward 8:Retour chez les evenks.

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Il ferait à nouveau le même voyage,celui où il avait aidé Lavra à s'enfuir,mais sans Lavra cette fois.Les larmes formaient des rigoles vers l'arrière de son visage pour venir y geler,calant leur course sur celle de la neige.Emmitouflée dans des couvertures qui n'avaient rien de thermique,la petite fille pleurait entre ses jambes (j'ai levé un sourcil,drôle de formulation),alors que c'est un immense effort physique de naître,et il était bien conscient,surtout des années après,qu'elle avait failli y passer.Il savait que j'avais disparue,que je m'étais enfouie loin,très loin et que Lasse m'avait peut-être enterrée lui-même.La neige créait autour de cette motoneige un écrin à part entière qui à la fois la laissait visible à des kilomètres mais avait le mérite de taire son identité en le faisant passer pour un gradé isolé.

-Allez,Nikolaï,tu l'as déjà,tu l'as putain de déjà  fait,trois fois!

Toutes ses fonctions vitales semblaient s'être arrêtées:aucune forme d'épuisement ne le ferait caler.Et après on dit qu'il n'y a que les femmes qui ont de l'instinct pour protéger les bébés...Il avait beau être russe comme le lui avait souvent rappelé cette Lavra que le vent de ne heurtait pas,ça faisait un peu mal quand même.Mais on parle pas de n'importe quel russe ici,on parle de Nikolaï kretzky qui dés qu'il arrive en zone de forêt peut sauter au-dessus des troncs d'arbres avec une main sur la manette et l'autre pour tenir le bébé.Du moins c'est ce qu'on lui a raconté.Le garçon que j'avais quand même bien connu manquait pas mal de confiance en lui et quand j'ai entendu ma nièce d'environ 40 ans m'expliquer ce qui s'était passé,depuis la Russie,alors que ni elle ni moi n'étions retournées à Riga,j'ai connu le bonheur,chose que je n'avais plus expérimenté depuis des dizaines d'années.Il lui avait parlé de la magie,il faisait même de l'humour.Et puis il est fini par arriver au campement après s'être complètement hypertrophié autour de la poignée de l'engin,tout occupé qu'il était à penser,à penser à retrouver son chemin dans un brouillard complet et dans un paysage exagérément monotone,en pensant à la façon dont il était devenu tour à tour père et veuf,en remettant toute sa vie en question.Tiens,m'étais-je dit,cette expression n'est jamais prononcée au sens littéral.Mais dans une telle situation on peut en parler comme d'une évidence le concernant.Il s'était engagé dans une armée du mal pour sauver sa peau et avait couché avec l'occupée.Et c'était lui qui récupérait le gosse,un gosse qui allait bientôt attendre son âge,du moins ferait-il tout pour cela.

-Il est où ce village...Il est où ce village...

Pris d'une intuition aussi réaliste que terrifiante,il cacha la petite fille derrière sa parka,pendant qu'elle suçait son doigt imbibé d'alcool.La forêt autour était toute aussi vide et ne montrait aucune trace de passage.Il pourrait  se dire qu'il n'avait qu'à aller plus loin et qu'il tomberait finalement sur un village et que personne n'oserait s'en prendre ainsi à un enfant,surtout si il leur explique gentiment qu'il serait ravi de se débarrasser de sa chapka qui ne veut rien dire.Il s'est assis sur une souche d'arbre pour regarder le bébé,qui a sorti sa main minuscule de la douce polaire contre laquelle elle se pelotonnait,afin de caresser le vent qui se faisait moins violent mais plus froid,entre les arbres de la forêt.Les arbres noirs se tordaient par anamorphose autour d'un trou noir d'où semblait venir ce même vent,entouré par la neige.L'évanouissement était imminent.Par un réflexe de survie,il se jette le reste de la bouteille au visage.Au moment où un courant d'air bleu peinture vient fouetter la vodka pas encore sèche,le temps qu'il se rende compte que c'était une idée stupide.Ses pieds rampaient désormais sur le tapis glacé.Il aurait très bien pu confier sa fille à des déportés.C'est dans ces camps en effet que les jumelles avaient vécu leurs deux premières années.Ici il ne pourrait rien pour elle,ni pour lui.Pourquoi les gens devaient toujours partir entre ses doigts?

Et c'est là,c'est toujours,toujours à ce moment là,qu'il entendit des pas.Non pas ceux d'un animal,c'était quelqu'un.Il s'est mis à courir vers elle,pendant que la petite fille s'agitait en rythme,et c'est là qu'il la vit.Une fille avec des nattes encore habillée dans une peau animale,et c'est là qu'il comprit à quel point il faisait froid,et que son arrosage à la vodka pouvait être assez dangereux pour lui.Elle avait un traineau,elle n'avait pas eu peur de sortir loin.Elle leva son visage vers lui,toujours penchée.

Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Where stories live. Discover now