12 Janvier 1943.

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Elle aurait eu 9 ans aujourd'hui.

Gosia.Je repense,trois jours après mon départ de Varsovie,à ce qui se passerait si tu étais venue avec nous,à ce qui se serait passé.Je te revois,en filigranne,avec notre frère,t'amuser avec nous au bord d'un lac gris où des lavandières suspicieuses étendaient un linge malgré les circonstances coloré.

Pourtant,en l'espace de la soirée du 9 janvier,j'ai tout oublié.Wladek,sous le coup du bonheur,lâchait des jeux de mots complètement idiots pendant que nous nous enfoncions dans la forêt.La Pologne est un territoire forestier,c'est bien notre seule chance.Je plantais parfois mon regard dans le sien,les mains sur ses bras,pour lui sourire et lui montrer que j'étais amusée par ses références.Malheureusement,comment pouvions nous avoir le cœur à nous amuser?Nous serions les seuls juifs à être en vie et ce dans le meilleur des cas,si nous ne mourrons pas.

J'eus droit à une marque de compassion dés la soirée où nous avions eu l'inconscience de dormir dans une cabane.Une vieille femme,étirée,par une souffrance personnelle qui semblait bien aller bien au-delà de la nôtre,nous a d'abord dit,nous voyant en train d'examiner la paille :

-Pauvre !!

-Pourquoi?demanda Félix héberlué.

-Parce que je pense que si lui(elle montre un paysan)vous voit ici vous risquez de passer un mauvais quart d'heure...

Elle ne nous a pas invité à passer la nuit chez elle,ce que je peux comprendre.J'ai également compris que si une femme polonaise n'était pas grand-chose,une femme juive valait moins que rien aux yeux de tous.Alors j'ai pris la main de Wladek et je suis tranquillement partie.Nous avons comme devoir dans la vie de nous marier ensemble.Je pensais ne jamais recevoir l'amour d'un homme autre que mon père de ma vie.A part celui de quelqu'un en manque,et il n'y a rien de glorieux à être aimé d'un homme en manque.Nous avons marché ensemble sur une route entre les arbres bas blancs et touffus,qui ne date que de l'avènement de la nation polonaise il y a 25 ans.

-J'ai l'impression,a fait Wladek en regardant un ciel rose et jaune à l'horizon de la forêt,que ce n'est qu'un cauchemar.

-Non,tu es dans le ghetto,tu t'es endormi et tu rêves que tu es dans une forêt où le soleil se couche,à côté d'une merveilleuse fille qui te parle de psychanalyse.

-Tu te souviens du repas qu'on a pris chez ton amie Zosia,de tout ce que son grand-père a fait pour nous?Dis-moi,s'il te plaît,que cela est réel.

-C'est on ne peut plus réel.Et Halina.Je me demande si elle s'est faite arrêtée pour résistance et si il la torture dans un coin sombre d'une cave avant de la violer et de la tuer.

-Ou l'inverse,compléta Ania.

Halina aurait 22 ans cette année,dans très longtemps,à savoir quelques jours avant Noël,je la revois encore,dans l'embrasure du mur.Nous,les enfants et adolescents du ghetto,nous sommes déjà devenus des adultes,je me sens aussi vieille qu'elle.

-Sara,on va dormir là,a indiqué Wladek en voyant une grotte au pied d'un pylône.

Son visage laissait planer un côté ado rebelle et ne trompait personne quand à son comportement.

La grotte était sous un pylône détruit par l'aviation allemande.Beaucoup d'infrastructures électriques étaient détruites,sur le bord de la route.Ils s'étendaient à l'infini,comme des dominos.Preuve,pour quelqu'un qui n'y verrait rien,que les problèmes étaient pire que sérieux.L'atmosphère étaient brumeuse et givrée au sol,et j'allongeais une couverture,ce qui fit éclater Agnieszka de rire,sans que Félix ne partage leur enthousiasme.Ils étaient si jeunes,4 et 6 ans!Moi même je n'avais que 16 ans à l'époque...

Au bout de trois jours,nous ne nous étions pas fait repérer.

-Suivez mes conseils et ça devrait bien se passer,avait pour credo Jablonski.

Honnêtement,je ne suis pas sûre de pouvoir à la fois lutter pour moi et pour les autres.Ce n'est pas moi qui en serait capable.C'est tellement compliqué de devoir s'occuper d'enfants,de devoir leur expliquer des événements que l'on n'est même pas soit même en mesure de comprendre.

-Pas du tout Sara,m'a dit Wladek quand je me suis réveillée avant les autres,assise sur le sol de boue givrée et étincelant.On a tous notre part dans l'histoire de notre peuple.J'aurais dû insister pour que ton frère et ta sœur partent plus tôt,mais tu as bien fait de ne pas refuser de parler à Kinga...Nous ne pouvons pas toujours prendre les décisions parfaites,regarde le contexte dans lequel on nous a placé.

Nous ne devons pas être stupide,trouver n'importe quoi pour nous raccrocher à la vie plutôt que de nous retenir à un passé qui a été notre défaite.

-Je suis désolée...

-Ne t'excuse pas on va trouver une solution.Allez,debout là dedans!Vous avez raté un magnifique lever de soleil !

-Il reste de la nourriture?demande Ania en s'étirant les articulations.

-Faudra aller en chercher ailleurs alors magne-toi un peu soeurette.Les allemands ne vont pas tarder.

-Oui,chef,à vos ordres !

Entre mon travail de meneuse et nos discussions sur des gens dont nous ne savons pas si ils sont vivants ou morts,je ne savais plus où me donner la tête.Nous nous sentions de plus en plus seuls dans la forêt gelée,et notre statut de parias fugitifs commençait à nous énerver.Pourtant,plus tard,je compris que c'était notre plus belle victoire,prendre des vacances de l'humanité.Je me séparais d'eux dés ce soir pour trouver un peu de miettes laissées pour les oiseaux en hiver.Je traversais la route qui menait à un village de bois plus rapidement que prévu,toute circulation étant impossible à cause du temps et surtout à cause de la guerre et de son état d'urgence subséquent.Je me doutais qu'à mon visage ils verraient bien que je n'étais pas une pauvresse ordinaire.

-Arrête des conneries Sara!me suis-je dit,alors que je me sentais d'humeur à braver tous les dangers.

-Qu'est-ce que tu veux la gamine?me demanda-t-on sur un marché.

-La même chose que toi voilà tout.Pouvoir à nouveau boire de l'alcool,arrêtez de m'en faire pour nos hommes,faire la fête.

-Toi,une morveuse de 15-16 ans ?

-File-moi la vodka et le poisson,j'ai de quoi payer.

-C'est une blague?a-t-il fait à la fois ravi et dépité ;

Avec ma robe noire et mon foulard jaune sur la tête,j'étais tout sauf discrète;Mais on dirait que je le fascinais.

-Vous allez m'admirer!ai-je fait en les retrouvant dans la forêt grise et marron.

Un peu plus tard,nous avons toujours effectué nos vols en fin d'après-midi,car nous avions convenu ensemble que c'était les meilleurs horaires.Quelqu'un,dans ce monde plus que sinistre,aura peut-être perdu un téléphone,un pain,une montre,quelle tristesse.

Les bouleaux de cette forêt n'avaient plus aucune feuille,juste un peu de neige,et le ciel était d'un bleu profond,le sol recouvert d'épines brunies recouvertes de neige.Je ne pouvais me résoudre à toquer aux portes,par peur d'indifférence ou de délations.Werner,qui connaissait le terrain pour avoir été dans le camp des méchants,m'avait prévenu que personne ne viendrait me tendre la main.Pourtant,plusieurs fois,en voyant les villages cernés par le brouillard et les camions de déportation,des paysans qui travaillaient,opaques de méchanceté,je me disais que malgré tout un éclat pouvait être encore possible.

-Sara?me demanda Wladek pour qu'on poursuive notre route,me sursautant dans mes pensées.On s'en va.

Je n'ai pas répondu,mais j'ai suivi.Je n'avais pas froid mais les autres semblaient frigorifiés.Il a mis les mains dans ses poches pour les réchauffer,et ses yeux bruns étaient emplis de tristesse.

-On ouvre la bouteille?

Il n'y avait rien à fêter,et justement.C'était l'alcool des mauvais jours,celui que tu bois lorsque tu n'as rien d'autre à faire pour noyer la tristesse qui suit le plus ennivrant des sentiments de liberté.




Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant