Chapitre 28B:25 années.

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Ne nous emballons pas.Ne posons pas trop tôt notre propre définition du communisme,même si je me demande toujours à quoi ça tient:Il y a cet incohérence kafkaïennes,ce gens tous habillés pareil...

Je ne me rendis compte de notre piège que lorsque nous fûmes réveillés tous ensemble cette nuit là.Une journée où je m'étais posée sur le sol pour récupérer de la journée.Les russes avaient de nouveau fondu sur les habitations,indifférents à nos protestations les plus virulentes.Enfin,j'aimerais qu'ils y soient indifférentes,ce serait mieux que si ça les faisait rire.Au même moment,je fais tous les efforts du monde pour refermer mon peignoir à grands renforts de mouvements de bras.J'essayais de parler à ma soeur en même temps,dans l'espoir de ne pas entendre,de cacher à mes oreilles le son cruel de leurs voix.Je ne voulais pas entendre ce qu'ils me disaient,à moi et à tous ceux qui se rassemblaient en file dehors.Sans savoir pourquoi,comme à la vitesse de la lumière,éclairés par des torches et des lampes de poches,nous nous retrouvâmes dans le bâtiment principal,une sorte de mairie administrative.

Une fois qu'ils se soient assurés qu'on soit tous tranquillement installés dans la pièce(ironie,vous aurez compris),certains gardes se redressent et quittent la pièce sans le moindre regard pour nous.Semblant être entièrement neuve et rénovée,l'odeur de la peinture est forte,si forte que j'ai l'impression que je vais m'évanouir.Je profite de l'absence momentanée des propriétaires pour observer les lieux sans que cela choque.Pour une fois qu'on peut se taire et écouter.Des portraits des grandes figures de notre bienheureuse idéologie,le communisme,étaient accrochés au-dessus du bureau.

J'étais de nature maladroite,mais avec eux,je pensais pas atteindre de tels sommets.Jamais je n'ai vécu autant de hontes et d'humiliations de toute ma vie.Je cherchais des yeux Lasse et sa mère,ils n'étaient pas là.Je les ai cherché du regard quand Markas est arrivé,et alors qu'une infirmière continuait de masser légèrement sa cheville,je repense à l'image de ma mère pleurant à cause d'eux,dégoulinante d'eau,et je me retiens de soupirer bruyamment.Du moment que nous n'avons rien,c'est le principal.

-Il dit qu'on nous a amené ici pour signer des papiers,dit maman,en soupirant.

-A cette heure?s'étonna Sessimis.

De son côté,l'un des soldats s'absenta brusquement pour prendre une douche.

-C'est ce document que nous devons tous signer,ajouta maman.

-Il parle trop vite,ajouta Lavra comme pour s'excuser,je n'y comprends rien!

-Le document dit trois choses,ajouta encore maman,droite malgré sa petite taille,déclarant avec ce ton propre à ceux qui traduisent à contrecoeur:

Premier point:Nous consentons à devenir membre de cette exploitation agricole.

Comme si on avait le choix.

Deuxièmement:Nous consentons à verser une taxe de guerre d'environ 5 euros.

Chacun,enfants compris,ajouta-t-elle,les dents serrées,en pensant à Grimas et à ses quatre enfants.

-Et comment va-t-on les trouver?se demanda Lavra en se tournant vers moi.Ils nous ont déjà pris tout ce que nous avons.

-C'est pour lutter à l'effort de guerre de la glorieuse URSS,expliqua-t-elle.

Big Boss semblait éprouver un malin plaisir à faire traduire à ma mère tous ces propos.Soudain,elle ne semblait plus être en état de traduire.Cette silhouette qui était à l'instant si droite sembla s'effondrer sur elle-même.

-Qu'est-ce qui se passe,Ilentha?demanda Sessimis en écarquillant les yeux d'inquiétude.Qu'est-ce que c'est,ce troisième point?

-Nous nous reconnaissons comme criminels,nous tous.Nous consentons donc à expier notre faute,en...effectuant les 25 ans de travaux forcés.

Ma gorge devint soudain de plus en plus sèche,et je balançais les pires insultes à ce chef stupide.Mon cerveau décida définitivement de répondre aux abonnés absents.Plus rien ne sert de rempart à la moindre de mes pensées.Mais c'est précisément quand je repense à cette scène que je me rends compte de la chance que j'ai eu.

Le long soupir qu'elle lâche donne la conclusion qu'on connaît déjà:Nous n'avons plus d'avenir.Les gens suffoquaient,définitivement achevés par cette nouvelle.Ma soeur se passe la main sur le visage avant de repousser en arrière ses cheveux blonds et humides.Un rapide calcul visant à me calmer s'impose à moi:

25 ans.Quand on nous libérerait,ma mère aurait donc 66 ans,Lavra 43,moi 40 et Gaëll 32.Toute ma jeunesse,et tout le début de mon âge adulte,je les passerai  à creuser des trous pour eux en me nourrissant uniquement de baguettes de pain. Ma vie ça va être voir mes os se tordre et mon estomac aussi à cause de la malnutrition, si possible ne jamais me marier et couper du bois pour la puissance occupante. Si on me demande je suis décédée à 15 ans d'une méningite foudroyante.

Quinze minutes plus tard,ceux qui s'étaient absentés refirent leur apparition,en se demandant sûrement si c'était bon,si on savait déjà.Sans un mot,ils déposèrent sur le bureau la tenue de travail que nous porterions tous,une pile de vêtements pour hommes rayés et trop grands.Un t-shirt bleu délavé à rayures jaunes et aux épaules trop larges,et un pantalon de pyjama en coton élimé,sûrement infesté de poux,qu'il me sera facile de retrousser pour ne pas tomber dessus,sous peine de voir ma ration de pain réduite.La tenue sexy par excellence,idéale pour faire tomber n'importe quel homme sans même un battement de cil.Mais je ne veux pas n'importe quelle homme.Je veux Lasse.Lasse,où est-il?

-C'est un peu beaucoup,non?ne put s'empêcher de railler Markas avec sarcasme?

Les jours qui suivirent cette annonce,la couche de nuage gris était tellement épaisse et tellement opaque que pas un rayon de soleil ne réussit à filtrer,pendant que dans les esprits la panique s'infiltraient.Il faisait tellement sombre qu'il était difficile de le voir quand il était seulement 17H,heure à laquelle notre tâche s'achevait.Et pourtant les gardes portaient des lunettes et une casquette,vraiment.

Ma mère essaya de se rendre dans la ville la plus proche,mais n'étant pas signataire on le lui interdit.Sinon,il se pourrait bien que malencontreusement,on trouverait son cadavre énuclé par les corbeaux en plein milieu du passage.Par un sursaut d'orgueil nationalo-capitaliste,elle refusa pourtant de signer.

-Alors?je demandais d'une voix tremblante.

-Cet homme n'hésiterait pas à le faire,Lana,comprends-le,répondit-elle,désenchantée.Il connait dans les moindres détails ce qui se cachait autrefois sous ces vêtements...Ma réputation fera le reste.

Elle articulait bien chaque mot,l'air menaçant.Ma mère était,à une exception notable dont je parlerais plus tard,l'une des personnes les plus haïes par les ennemis,pourtant,c'est sûrement parmi toutes les mères du monde,la plus tendre,la plus formidable,la plus pure.

Ce jour-là,je vis qu' Annicka fut affectée aux cuisines,j'ai cru que c'était ce qu'il avait empêché de mourir de faim.

-Mais qu'est-ce qui t'es arrivée?s'est-elle exclamé en me voyant,me dévisageant de haut en bas alors que j'entrais dans la cuisine,et voir tous ces gens squelettiques manipuler de la nourriture était toujours une prise de vue incroyable.Tu ressembles à un...A un..

-Un  rat mouillé.Je sais,la coupai-je,exténuée,tout en traînant la patte vers le comptoir de la cuisine.

Annicka était douée pour le mensonge.Mais là,elle ne me détrompa point.Elle essaya de glisser en cachette ses mains dans la confiture chocolatée.

Un autre détail à ce propos,qui aurait dû me mettre encore un peu plus la puce à l'oreille:elle nous a toujours dit que pour un mensonge réussi,il fallait un peu le méler à la réalité pour rendre la chose plus réaliste.

J'appris néanmoins qu'ils continuèrent de partager leur hutte avec  un couple de déportés.

Mais comme moi,ils ont eu beaucoup de chance.Oui,de la chance personnellement j'estime en avoir.Sur les 25 années de travaux forcés auxquelles on était tous destinés,on en a eu cinq.Donc dans l'ensemble,ça va.

Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Where stories live. Discover now