Chapitre 34A:Gerusha.

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17 Novembre 1942

Depuis deux jours Waldek avait 17 ans.Et pourtant,c'est comme si il avait commencé seulement à se comporter comme un homme.A réellement prendre son destin en main.Il est allé voir Halina,il s'est planté devant elle,a ordonné à ses deux enfants adoptifs de les suivre dans la salle de bain,et il a fermé la porte.

Lorsqu'ils sortirent,un silence pesant suivit ces aveux.Le 12 décembre 1942,Aniela et Félix sortiront,et le 7 janvier,nous suivront.Halina se râcla bruyamment une gorge remplie de sanglots contenus et rétorqua qu'un refus serait déplacé de sa part.

-Je ne sais pas ce qui m'a pris de te dire ça maintenant mais...

-Ne t'excuse pas,ne t'excuse pas...

Puis tout d'un cou sa voix ne se fit plus entendre alors qu'elle était partie pour répéter inlassablement les même phrases.Elle avait vu par la fenêtre quelque chose qui la troubla assez pour qu'elle ne pense plus à la possiblité d'un avenir pour les enfants de son amie.

Comme assiégée par le froid et la maladie,une femme très brune et très maigre frappait désespérément à notre porte.Si elle se faisait surprendre dans cette posture,l'ennemi ne manquerait pas de marquer d'une trace sanglante la porte de cet immeuble.Bien qu'évidemment,ce ne soit pas la raison pour laquelle Halina vola à son secours.

Je la suivis.Depuis que ma famille a été emportée,je ne voulais plus voir personne se faire exécuter.Je ne voulais plus voir d'autres morts troubler ce deuil impossible,car ce qui était si particulier était que cette mort était la même que celle de centaines de milliers d'autres individus.

La jeune femme s'appelait Gerusha Chinkovitch.Elle avait un teint à la fois blanc et mat,entouré d'une chevelure noire entourant son corps maigre,me rappelant celle de ma mère....A ceci près que ma mère avait la peau blanche,et la chevelure plus volumineuse encore.

Cett femme incarnait à la perfection la beauté juive,ayant le visage d'une de ces belles hébreues de jadis,comme si elle venait directement de Palestine.Ce visage était posé sur une silhouette qui semblait infinie par sa maigreur,et elle avait un air si maternant que je pense qu'elle doit avoir au moins un enfant.

Ce pourquoi je lui demandais:

-Vous avez des enfants?

-J'ai une petite fille de huit ans.Misha.Elle doit bien avoir dix ans maintenant,avec pour unique idée de draguer,j'espère...

Elle souhaitait signifier qu'elle espérait que sa fille ait une destinée normale.

Ne parlant pas russe,et ne sachant pas si elle parlait polonais,je lui parlai Yiddish.

Elle venait de Belgique,oui,elle venait d'un pays francophone.Elle fut arrêtée en 1941,après avoir réussi à sauver sa fille,et elle fut enfermée à Sonnenburg avec son mari.Elle fut amenée ici le 4 Novembre,alors qu'elle était déjà malade,alors que le ghetto était déjà vide,laissant là-bas son mari,juif allemand qui avait le même âge qu'elle,30 ans.

Nous n'avions qu'à lui offrir que de la nourriture infectée et disponible uniquement par bouchée,etun bâtiment délabré sans eau courante où les cafards sont chez eux.Car eux sont acceptés,pas nous.

Mais j'étais tellement heureuse de l'accueillir.Ce toit la sauverait,d'autant qu'elle nous apportait beaucoup d'explications sur ce qui se passait dans la rue.Les nazis se bagarraient même entre eux,alors quand il s'agit de tuer ce qui ne sont pas déjà mort...

Elle me rappelait la femme de mon grand-oncle,un homme d'affaire spécialisé dans la production de glaçons.Vous voyez de qui il s'agit,ce qui suivent Ania?Celle qui est morte avant ma naissance et que je n'ai vu qu'en photos.

Je me suis approchée d'elle,alors,et j'ai essayé de la coucher dans notre lit.Nous ne risquions paradoxalement rien à l'accueillir,bien moins qu'un polonais.J'aurais bien aimé qu'elle prenne notre lit,et qu'elle joue avec les enfants de Soshele,même si,si j'en crois l'état dans lequel elle était,les enfants de Soshele gagneraient les doigts dans le nez.Le duo entier contre elle.

Sa  présence ici avait des allures de fin de calvaire.Pour moi,elle était toujours apparentée aux derniers mois que j'avais passé ici.Un personnage providentiel à la souffrance muette,malade,et qui se savait condamnée.Elle parlait peu,comme si elle avait encore eu des bons souvenirs avant,qu'on avait brisé.Comme moi.

Elle est pourtant restée longtemps ici.En fait,elle n'est jamais repartie.Vraiment jamais.J'étais en train de la veiller,c'était mon tour,quand j'entendis les armes exploser dehors,sans doute pour séparer un groupe de résistance.Un prénom me vint en tête.C'est pour quoi j'ai rejoint la pièce principale,dans laquelle nous étions réfugiés.

-Waldek!

-Il se leva du sol où lui,sa soeur,et les deux enfants étaient assis,Ania en train de distraire les enfants,Waldek essayant de tromper mon absence,en train de réfléchir à un bon nombre de choses dont "je n'avais pas idée".

-Sara?Qu'est-ce qui se passe?Son état a empiré?

-Où est Halina?

-Halina?Oh,merde!

Comme tous les autres,je sortis en courant de l'appartement,laissant à ma grande honte notre amie russe,seule.J'aurais pu lui dire que mon arrière-grand-mère venait de Russie,d'ailleurs.

Je galopai dans les escaliers,cheveux au vent,pieds nues dans la neige,comme une pauvre orpheline,sans ressentir le grand froid.Une fumée continuait de s'échapper au loin,et une cendre sale se mélangeait à la neige sur le sol,épaississant un ciel couvert de nuage bourré de pluie.

Je ne pouvais imaginer que la dernière adulte,la dernière adulte en bonne santé.Mais ce que j'avais le plus de mal à imaginer,c'était la mort brutale d'une amie,d'une femme,qui fut comme une mère pour nous alors qu'elle n'avait que cinq ans de plus que nous,cette femme si courageuse qui nous avait accueillie,avec sa meilleure amie,cette femme qui luttait,contrairement à nous qui n'en avions pas le courage ou la vocation,pour la liberté de centaines de milliers de personnes qui partageaient notre destin.Elle souhaitait passer à l'acte,et si par chance,elle survivait,elle changerait d'échelle.Elle défendrait sa nation.En espérant que des juifs l'aiderait.

Et soudain,cette superbe femme surgit du brouillard enflammé,silhouette en haillon qui arrivait au milieu d'une rue blanche piquetée d'oeillets noirs et rouges,noir révolte et rouge répression.

La petite fille de cinq ans,la petite fille enveloppée dans des couvertures,la petite fille du ghetto,qui nargue les nazis jusqu'à sa blondeur,jusqu'à son innocence,jusqu'à la résistance exceptionnelle dont elle fait preuve malgré son jeune âge,patinait vers sa mère de substitution,qui avait un sourire dément de fierté,avant de prendre dans ses bras la fille de son amie.

Mais les retrouvailles déjà la dépassaient,car ce n'est pas qu'elle était malheureuse de nous voir,mais qu'il fallait fuir.Nous ne sommes en sécurité nul part.

-Rentrons chez nous,vite!

Cette phrase était assez révélatrice de la situation.C'était chez nous ici en ce moment.A la fois nous y étions enchaînés,rattachés,de l'autre,nous n'avions pas vraiment de chez nous.Nous nous rattachions à ce qui était le meilleur endroit pour nous.

Une parcelle de ciel bleu sur un mur gris.Car c'était là que vivaient ce que j'aimais et qui pouvaient être encore dans la même dimension que moi.Waldek,y était.Et peu importe où il est,il peut être sûr que,même si c'est un peu pompeux de le dire dans de telles circonstances alors que mes parents étaient morts,je serais là.


Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Where stories live. Discover now