Le roman de Wladislaw Szpilman,Le pianiste,fut censuré à sa sortie car il montrait la collaboration de juifs,de polonais,de russes,d'ukrainiens et de lituaniens à l'horreur nazie.
Thug life. Tandis que si je le case ici c'est juste du putain de bon sens en histoire.
J'ai su toute seule ce que cette révolte voulait dire.Je n'avais besoin de personne pour me l'expliquer,je devais me débrouiller seule,pour comprendre,comme j'ai compris seule comment on désignait en yiddish et en polonais l'animal poilu à quatres pattes qui court après les chats.Comme j'ai compris toute seule qui nous voulait vraiment du mal dans cette histoire.
D'autant que ça ne devait pas être vraiment difficile.Mais c'est ma spécificité,je suis lâche.Je ne veux pas prendre part à la révolte,juste sauver ma peau.
Les choses devinrent encore pires avec l'arrivée de nouvelles nationalités dans le ghetto,mais cette fois-ci,afin de grossir les rangs ennemis.Je l'ai su alors que j'accompagnais,pour la première fois,mon père à une réunion nocturne de la résistance.J'étais avec mes parents,Wladislaw,Halina et Waldek,tous proches,en cercle,la lumière jaune d'une bougie éclairant la pièce noire.Ils parlaient à voix basse de la mort d'un garçon dont le nom m'évoquait celui d'un ancien camarade de classe.
C'est là que Waldek se leva et pris la parole avec une maturité étonnante,et bien entendu,je ne me lassai pas de détailler les traits de son visage. En vrai je l'ai toujours trouvé beau.
-Ces gens sont encore pires que les allemands.
Des murmures stupéfaits,emplis d'un doute certain à l'égard de l'espèce humaine,se faufilèrent dans la pièce.Ils arrivèrent à la conclusion que décidément,l'humanité touchait le fond,qu'il n'y avait vraiment rien à tirer d'un européen.
-Ils aiment tuer,oui.Ils aiment voir souffrir,en plus de cela.Je l'ai vu,cet homme que je prenais pour un allemand,tuer cet ancien camarade de classe que j'étais surpris de voir encore vivant malgré tout.Il était avec sa mère,avançant malgré tout seule au milieu de la rue blanchie,et ils le tuèrent devant elle,rien que pour avoir le plaisir de voir la haine se lire sur son visage.
Je relève la tête pour le voir,et je me demandais pourquoi il ne me l'avait pas raconté,peut-être était-ce pour me protéger?Quand j'en arrivai à cette conclusion,il poursuivit:
-Je n'avais qu'une seule envie à ce moment là,c'était de fuir.Mais je ne voulais pas exposer le plaisir de ma lâcheté à d'autres.Mais mon instinct me commendait de fuir,grimper derrière les murs de mon immeuble,et retourner chez moi pour m'étouffer sous ma couette,avec l'espoir non dissimulé d'en mourir.Si je ne m'asphyxiais pas par manque d'air,ce soldat aurait fait le travail.Mais me voilà.
-De quels pays viennent-ils?demanda une voix.
Cette voix était celle de la personne qui s'était enfuie de Treblinka et s'était malgré tout encore retrouvé ici.Il avait quand même beaucoup de chance d'être encore envie.Cet homme avait vu les étagères allemandes,avec rangés dans les coins plusieurs petites ménorah,et...certaines choses dorées avec diverses formes...Vous savez bien de quoi il s'agit.Il nous racontait aussi ces grands bacs où les SS plongeaient leurs mains,ces baignoires d'anneaux gris...
Il s'agissait d'un des anciens profs de français du lycée où j'étais.La veille,nous nous étions introduits chez lui,quelques mètres carrés où il était encore possible de noter la présence de livres de Voltaire,Hugo,Proust.Un érudit rebelle jusqu'au dernier souffle,en somme.Il était vraiment très cultivé,et si il n'avait pas été exécuté sommairement au beau milieu de la rue avec ses deux parents,il aurait très bien pu avoir des récompenses en tant qu'acteur de théâtre.Mais nous ne pouvons pas nous permettre de redessiner la vie tel qu'elle aurait pu être sans les allemands,c'est impossible.
-Il s'agit de lettons,Sara,répond enfin Waldek,posant donc un mot sur cette nouvelle nationalité ennemie.Et d'ukrainiens.Et de lituaniens.
-Toute ces insécurités,tout ce qui se passe à la surface ne donne pas envie de remonter,commente une petite vieille qui avait choisi la révolte malgré son grand âge.
-C'est ce qu'il cherche,madame,répond Halina avec une douceur très compréhensive dans la voix.A nous paralyser.Moi,je suis si embarassée que j'ai l'impression de retourner à mes années collèges,juste avant de rentrer enfin chez moi,en Pologne.La Lituanie n'était pas vraiment mon pays...
Mon père,quant à lui,baissa la tête afin de bien chercher ce qu'il allait dire:
-Mon beau-frère est originaire d'Ukraine.
-Je suis désolé.
Moi,je continue d'être cuite par le souvenir de cette conversation...Les lettons...Lana est lettone.Quand j'y pense,je suis incapable de bouger,et je n'ose pas reprendre mon souffle de peur d'exacerber ma peine.J'ai trop peur que l'un d'entre eux soit lié à ma nouvelle amie.
-Eh bien,c'est embarassant,se mit à couiner quelqu'un que nous allions bien connaître,et qui entraîna mon père ainsi que Wladislaw afin de venir discuter chez lui plus tard.Il est juif?
-Oui.Mais il est en Sibérie.
-Les communistes le protègent donc,alors.
Mon père allait répondre que c'était pas ça du tout,mais il n'en avait pas la force.Il commençait à désespérer,à se sentir oppressé par tout ces ennemis autour de nous.
La discussion suivante éclata donc chez nous,plus tard dans la soirée:
-C'est de la folie,Yankel,tu vois bien qu'on est pas près,faire une action trop rapide alors qu'on est pas près,ce serait du suicide!Ce serait comme allumer un feu dans sa cellule!
Il se retourna vers Waldek,cherchant un appui chez lui:
-Enfin,tu es d'accord avec moi,personne au ghetto ne serait près à sacrifier sa famille au nom d'une liberté plus ou moins collective...
-Je ne sais pas,Zygmunt.Je sais surtout que nous avons de la chance comparé aux autres.Je sais que nous avons un peignoire propre,ici.Je sais qu'on a des serviettes et des gants de toilettes dans ce meuble,là,bref,tout ce dont nous avons besoin.Je sais très bien que nous ne sommes pas les plus à plaindre,et c'est précisément pour cela que nous devons appuyer cette révolte.Faut-il attendre?Je ne sais pas!
Je suis chacune des phrases de cette conversation.Je hoche parfois la tête pour leur faire comprendre que je suis assez grande pour voir exactement de quoi ils veulent parler.Yankel ne dit rien pendant quelque chose comme dix secondes et m'observe de la tête au pied avant de revenir à la charge:
-Attends,je n'ai pas bien compris.Tous les juifs sont prédéstinés à être liquidés,et toi tu veux attendre?Tu veux attendre qu'on extermine les juifs de Varsovie,Cracovie,Katowice,Lublin,Lodz?
-Mais pour qui tu me prends?Il faut quand même être suffisamment armés pour agir!
C'est là que Yankel s'adressa à moi,et s'adressa à Waldek:-
-J'ai surpris votre petit manège,à vous deux.Je t'ai vu rentrer les cheveux maculés de boules marrons et ton maquillage merveilleusement coulé.Je sais que tu est parfaitement capable de te déplacer derrière le mur...
-Ne touchez pas à ma fille!cria mon père à celui qu'il jugeait si irresponsable.
Le tableau que nous offrions était parfaitement lamentable.Nous avions l'air d'une bande de cro-magnons faméliques et j'exagère à peine.J'étais très gênée.Surtout quand on attaquait les deux pères par les sentiments.
-Vous allez m'expliquer quelque chose vous deux.Toi,Zygmunt,le juif qui se dit polonais,et toi,Wladislaw,qui a du sang polonais dans les veines,vous allez m'expliquer pourquoi ces rats refusent de nous aider?
-Parce que toi t'as pas de sang polonais?répond Wladislaw d'un ton moqueur.
-Je vais te répondre,Yankel,je ne sais pas.Je ne comprends pas comment les gens sont faits,pourquoi il y a des méchants juifs et des méchants..."polonais".Et tu devrais être satisfait que je ne comprenne pas.
Yankel baissa les yeux,et leur dit,à contrecoeur,qu'il était quand même heureux de compter les deux hommes,ainsi qu'Halina,dans les groupes de l'Hashomer.
J'ai pris une douche immédiatement après,avec les rares filets qu'on remontait du puit dans un seau en fer.Des filets d'eau très fins tombaient sur mon corps maigre.Je regardais mes pieds et l'eau qui glissait de mon corps était boueuse.La baignoire n'avait de toute façon plus était nettoyée.Ici,le plafond pourrait s'écrouler,personne ne s'en occupe.
Le seul et unique avantage de notre rencontre avec Yankel Jakubowiczski,c'était que nous allions reprendre forme humaine beaucoup plus vite que prévu.J'ai eu également l'occasion de voir ce mec que je pensais complètement stoïque être éstomaqué de douleur.Un jour où il s'était introduit chez nous afin de profiter de la douche,une brise glaciale caressa l'avant de son corps,et c'est alors que le peignoir glissa de son corps squelettique.Un bien gros moment de fou rire dans la vie d'un homme qui finira sodomisé une pomme dans la bouche.