Pour la première fois de ma vie,je reçus un cadeau de noël.De la part de Jablonski,notre bienfaiteur chrétien,qui fit passer par l'un des pores du mur un filet de carpes,plein de citron,d'huile et de graisses.
-C'est ce qu'on fait chez nous,ce soir là,m'expliqua-t-il.
Pour la seule fois de ma vie,ce fut valable chez nous aussi.Trois semaines après une fête des lumières où les nazis raflèrent le fils du rabbin qui avait enterré Bronka sur son lieu de travail,je célébrais une fête chrétienne.Wladislaw y tenait,poussé par la nostalgie d'un père qui avait passé son enfance à l'église,et dont le fils termine dans un ghetto,symbole ancestral de la misère des juifs d'Europe.Une fenêtre allumée,brillant comme une ampoule moribonde derrière le patchwork,avant de rejoindre les autres dans la lumière totale.Une fête visant à nous donner espor,un avantage certain sur l'esprits des autres gens pour qui ce jour était un jour comme les autres,voir pour certaines individus comme Soshele le signe de leur persécution.Moi,je remerciais Wladislaw,et sa double culture,c'était vraiment un homme bon.
Cette nuit là fut aussi une nuit phare,et vectrice d'espoir.Dans l'emballage de Jablonski(c'est pas Jablonski qui était emballé,vous aurez compris),je m'aperçus que l'on s'était trompé de direction,qu'on était à l'est au lieu de l'ouest.C'est là que j'aperçus un de ses enfants gonflés et squelettiques à la fois,sur lequel tombait une neige qu'il n'avait plus la force d'enlever,près de ces caves où mon père était avec ma mère,sans doute préparaient-ils la résistance.C'est là que la charité prit le dessus,et que je l'aidais.
-Ok,on est pas sur la bonne route,fit Ania,et le couvre-feu c'est dans une heure et demi.
Se rendre dans la rue après le couvre-feu relevait du suicide.
Cette nuit là,pourtant,nous n'en avions même plus cure.Jablonski,proposait au sept enfants de partir.
-Si vous faîtes du mal à ces enfants de quelque manière que ce soit,je vous prendrais chaque souffle que votre corps prendra,menaça Waldek.
-Si je voulais vous tuer,je l'aurais déjà fait,et croyez-moi mais même en Pologne je connais des gens qui seraient prêts à le faire.
Bien étrange bonhomme.Je lève ma tête vers le gars avec qui il se tenait,qu'on verra encore deux fois.
-Savez-vous où est-il à présent,Panne?
Elle leva la main en guise de capitulation.
-Est-ce vous,Panne,qui avez envoyé cet homme?Savez-vous où se trouve la famille Milesko?
Jablonski nous proposa de changer de nom.Continuer à m'appeler Sara Isenberg serait inadmissible pour notre fuite.Je le regardai d'un air ahuri et continuait à m'appeler Sara.Il voulait me donner le nom de jeune fille de son épouse polonaise,qui me faisait l'effet d'acide dans les oreilles.
Si nous avions pu manger le 24 au soir,d'autres n'en avaient pas eu la chance.
On nous avait pourtant mis au courant d'une arrivée de viande exceptionelle.
-Elles sont là depuis environ 15 minutes,je ne sais pas d'où elles viennent par contre?m'avertit ma petite soeur de presque 8 ans.
C'est là que ma mère revint,totalement paniquée,ses cheveux noirs se collant à ce qu'il restait de peau tirée sur son visage,et je lui demandai ce qu'il se passait,pensant que l'occasion de manger au moins aujourd'hui était perdue:
-Que s'est-il produit?Conte-moi l'histoire au complet?
La voix de ma mère est paniquée alors que Zygmunt la prend dans ses bras pour ne pas que les nazis voient qu'elle est hystérique et la tire comme un pigeon.
-Celui qui a commercialisé cette viande...Il a glissé quelque chose dans le verre de son ancien collocataire,et l'a ramené ici.
-Et il est où l'ancien colloc?
-Là.Chaque jour qui passe fortifie les gens dans l'idée qu'il est acceptable de consommer de la viande humaine.
Du moment où je repère la forme sur le petit étalage en brique,je vomis quasiment,étrange quand j'ai l'impression d'avoir vomis une aiguille à coudre et que je mastique sans m'en rendre compte.
-Elles ne resteront pas là très longtemps,fit Halina.Je travaillais à 15 km,et la police qui est chargée de cette surveillance avançaient.Et je marche lentement,pour ne pas trébucher...et qu'on me voit.
-Il vaudrait mieux,ajouta papa.Il ne faudrait pas bloquer la rue quand ils viendront tirer ici.
-J'espère que tu pourras m'entendre,ajouta Maman,car je suis vraiment vraiment désolée pour tout ceci,désolée de vous avoir créé de faux espoirs.A quoi je pensais?Comment j'ai pu être aussi naïve?!
Ses mots étaient précipités.Car nous avions compris dés lors que notre vie n'en était pas une.
Dans quel monde vit-on,si des enfants de cinq ans peuvent mendier sans que personne ne caresse leur joue si douce au toucher?Pourtant,cette vie était la mienne.C'est d'autant parce que j'étais fière de moi,fière d'avoir tenu,que je n'ai pas tué cet allemand qu'au lieu de ça,j'ai...Non,je ne peux pas en parler maintenant,s'il vous plaît,plus tard.
Je m'en suis rendue compte peu après les 8 ans de Gosia,un soir de janvier 1942,par les yeux d'un homme de l'extérieur.Un homme qui semblait prêt à tourner de l'oeil en nous voyant,sûrement que cela était pire que tout ce qu'il avait pu imaginer.
Jablonski m'avait déjà vue en vrai plusieurs fois.Il m'avait vue porter trois couches de pulls troués, pu voir mes pieds sortir de mes chaussures alors qu'à Varsovie l'hiver il ne fait pas chaud,il avait vu mes cheveux noirs sales et ébouriffés,qui sont encore pire quand on veut les lisser.
Il est arrivé avec mon père,qui avait dit que nous recevrons de la visite de l'extérieur.
Cet homme,Jablonski le connaissait.Un membre de l'Armia Karjowa,un peu avant la formation de Zegota.Les plus jeunes enfants avaient l'air si maigres et si fragiles,qu'il les prenait avec des pincettes pour leur mettre lui-même des vêtements chauds.Aniela grognait des remerciements tandis que les doigts s'agitaient autour d'elle.
Apparemment,il n'a rien à voir avec sa relation,il le connaît à peine.Les derniers souvenirs que je garde de lui montre à quel point il y a méconnaissance à son égard.
La dernière fois,c'était en février '45,je garde vraiment un souvenir cuisant de cette rencontre.Ma mère,mon père et Wladislaw voulaient organiser une liaison entre les différents mouvements de résistances à une échelle nationale,histoire que nous entrions à notre tour dans la résistance nationale.L'Union faisait la force.
-Dans un premier temps,l'ensemble du ghetto se révolteront.L'étape suivante,ce sera l'ensemble des polonais.
Pendant que mon père écoutait le résistant,son visage se vidait de ses couleurs,sa mâchoire se crispait violemment.
-Et pourquoi à toi,spécialement on te ferait une faveur?
-J'ai connu plusieurs socialistes chrétiens,mon cher ami,et nous avions deux points communs,au moins.La nationalité,et nous étions tous les deux membres du parti socialiste.Je me souviens de lui,et de son ami,Bolek Pietrowki,il faut absolument que tu les contactes.Mais pour le protéger,ne lui dis pas que je suis ici,précisément.S'il ne s'en souvient pas,ne le lui rappelles pas.
-Lolek Kowalski?rajouta Wladislaw avec des yeux menaçant d'éclater d'optimisme.
Moi,je me rappellerais toujours de ce qui s'est passé ce soir.
-Seigneur,prononça le résistant,sonnant profond dans nos esprits pétris de naïveté.
Vous ne l'êtes plus.Ni Piotrek,Mietek,ni Olek,ne comptez pas sur eux!
-Merde,fit Grazena,dis moi que ce n'est pas eux.
-Fuck,Wladislaw,je suis désolé,ce n'est pas votre faute.Mais il faut que vous les juifs,vous vous mettiez ça dans la tête.Les polonais ne vous aideront pas!Ils ont bien trop peurs d'être pris pour des communistes s'ils vous aidaient.Quant aux polonais socialistes...ce sont d'abord des polonais.
L'humiliation rejoignait les ficelles de la trahison,et ma mère le regardait d'un air tellement dur que j'ai cru qu'elle allait le jeter par la fenêtre.
Il a remis son manteau,petite pointe de rouge dans la pièce obscure,et il a prononcé ces mots que je ne pourrais jamais oublier,jamais:
-Vos anciens amis ne prendront pas les armes avec vous,et ils refuseront de vous cacher si jamais tu as la chance de t'échapper.Vous êtes seuls!
A chaque fois que je croyais qu'il y aurait une pause dans la bataille constante qu'est devenue ma vie,une chose comme celle-ci se produit.
-Ok,fit mon père,la tête basse,comme s'il se retenait de pleurer.
-Oh,fit Wladislaw,et comment est-ce que tu les connais?Comment est-ce que vous arrivez dehors à trouver de quoi vous habillez?
-Ils font partie de la même organisation que moi.Mais ils ne vous aideront pas!Aucune association ici en Pologne ne se ralliera avec vous.Je suis désolé,mais c'est les polonais...
-Pour un polonais,vous manquez sérieusement d'orgueil national,fit ma mère.
-Ne revenez pas,ajouta Wladislaw.Je m'appelle Wladislaw Brzejnakowski,et je ne suis même pas polonais à vos yeux.Sortez.
Il lança un regard désapprobateur vers ma silhouette filiforme et il quitta l'appartement.
-Est-ce que ça va?me demanda le père de Waldek.
Ses bras surprenamment forts se tiennent autour de moi,et me tiennent.
-Oui,je suis juste...Non,ça ne va pas.
Je n'osais pas lui parler de Jablonski.J'aurais tout de même dû le faire.Cela aurait pu sauver tellement de vie...
-Si tu pouvais tout recommencer,me demanda Panne,que changerais-tu?
-La manière dont j'ai abordé toutes ces choses.Je n'ai pensé qu'à sauver ma peau.Je n'ai même pas réussi à sauver ceux que je connaissais depuis le début de ma vie,même si vous savez qu'au final je n'ai sauvé personne.C'était terrible pour moi.