"Un Russe arrive au goulag.
Il est accueilli par le gardien avec un grand sourire :
- Camarade, ce n'est pas la fête ici, et d'après ton dossier, tu es là pour 50 ans. Qu'as-tu donc fait ?
- Ben, camarade gardien, j'ai dit que Staline était un abruti.
- Et c'est pour cela que tu as eu 50 ans ?
-
Ben oui... 10 ans pour insulte envers le Kremlin, 10 ans pour insulte
envers la Mère Patrie, 15 ans pour insulte envers Staline, et 15 ans
pour avoir divulgué un secret d'État."
Blague soviétique.
Je voulais emporter le plus de souvenirs de mes amies,pour qu'elles m'accompagnent en prison.En prison. Mais moi aller en prison sérieusement est-ce que quelqu'un voit la blague là-dedans?
-Mais on ne peut pas aller en prison!criait ma petite soeur.Quel mal avons nous fait?
Maman lui répétait que nous n'étions pas des criminels,et qu'elle n'avait rien à se reprocher.Quand je suis sortie de ma chambre,déjà prête,Gaëll me fixait comme si j'étais responsable,habillée en petite fille modèle avec une grosse valise rouge vernie qui la faisait ployer vers la gauche.Elle avait parfaitement peigné ses cheveux,comme si elle voulait donner l'image d'une fille modèle victime d'une terrible injustice.Un ange brun sibérien.
Maman était dans la salle de bain,toutes lumières allumées,je la voyais par l'entrebâillement de la porte en train d'aider Lavra à fermer une robe beaucoup trop serrée,épousant sa magnifique silhouette ,une robe en tissu rêche bleu parsemé de petites fleurs blanches.Maman bougeait beaucoup pour fermer cette fermeture éclair,ce qui faisait tinter les bijoux cachés dans sa poche.
-On peut descendre?
-Attendez-moi,je ne veux pas vous laisser seules avec...eux.De toute façon je pense qu'on a largement le temps.
C'est à cela qu'on reconnaît des spécimens féminins.Capables de se changer très rapidement.Je n'aurais jamais cru qu'un jour cette caractéristique puisse nous sauver la vie.D'ailleurs,je ne croyais rien.Je n'avais pas d'autres objectifs que de sauver ce qui pouvait être sauvé,m'attendant à ce que pour un peu ils fassent flamber mon armoire.
Quand on est arrivée en bas,enfin prêtes,un changement de décor attira notre attention.La carte de la Lettonie,accrochée au mur par un clou et une ficelle,était arrachée pendant notre absence.
-La carte!cria Gaëll en essayant de la reprendre,ce qui lui valut d'être violemment tirée en arrière,au point de la faire tomber sur mes pieds.
Très symbolique comme acte.Pas très fin de leur part si ils voulaient cacher leurs véritables motivations,car j'ai vu clair dans leur petit jeu.Maman était déjà au courant de tout,Laura aussi.C'est donc en sortant de la maison,après avoir jeté un dernier regard en arrière,sur cette petite maisonnette en bois où j'étais censée passer un superbe samedi,que tout s'est assemblé dans mon esprit.
Il y a un an jour pour jour,oui le jour de mes 14 ans,un autre très joli cadeau,les soviétiques ont annexé notre beau pays.Je m'en étais plainte sans retenue,(je m'en mords les lèvres à présent):
-Ils n'auraient pas pu trouvé une meilleure date les salauds!
Mes parents m'ont fait un sermon mémorable,qui m'avait laissée tremblante sur ma chaise sous le coup de la surprise,m'enjoignant à ne plus tenir le moindre propos injurieux à propos des soviétiques.
Apparemment,mon obéissance à cet ordre clair ne m'a pas sauvé...