D'abord une dispute avec mon camarade de chambre dans la matinée.Ensuite les avertissements des gardiens plus sévères à mon égard qu'à l'égard des autres,ce qui ne laissait présager rien de bon quant à la solidité de ma couverture.Suivi des réprimandes du chef de section,qui aurait pu me tuer tout simplement.Et enfin la déception de ne plus avoir de nourriture pour me remplir dans la soirée,puisqu'ils avaient pris soin de passer dans nos cellules et de tout jeter.Des milliers de calories foutues en l'air,et une vie toujours aussi difficile.Je n'avais pas pu m'évader comme je prévoyais de le faire en utilisant mes pouvoirs et l'alcool ne m'aidait pas à affronter ce que était devenu notre vie.
Enfin,le clou:nous avions dû assister,en plein cagnard,à la scène où un criminel de guerre est venu expliciter son projet devant ce qui allait sûrement devenir ses prochaines victimes.Sincèrement,j'aurais pu trouver qu'il était un génie du mal si je n'étais pas l'une de ses principales victimes,ce qui montre bien l'hypocrisie toute humaine dont je fais preuve.Il avait un sourire calme et content!Un air nais sur le visage et une voix ridicule,pour expliquer quel courage il lui faut pour affamer les gens!
Il était plus jeune que moi,ce radical d'extrême-gauche.Il avait 15 ans.C'était terriblement humiliant d'être la victime d'un garçon plus jeune que soit.
-Je sais,je sais,a fait Ponno,compréhensive,en baissant les yeux.
Bon,je vous donne le droit d'écrire à présent sur ma feuille,si il vous semble trop pénible de parler à voix haute.
-Je vous remercie,ai-je répondu simplement.
Elle fit voler jusqu'à moi,qui ondulait comme un tapis d'Arabie terrestre,et il s'agissait de papier écolier,aussi jaune que moi,et aussi fanée.J'ai cru un instant qu'elle l'avait fait exprès,et elle était couverte d'une écriture de paillettes noires.Très personnel de sa part,n'ai-je pu m'empêcher de souligner.J'allais à présent raconter une scène de dortoir,après un blocus très avancé d'un camp où je ne comprenais même pas qu'on nous nourrissait autant.
Une fille se promenait dans la chambre avec une sacoche en papier contenant la forme ronde d'un fruit.Son amie,que je croyais pendant longtemps être sa jumelle,s'est mise à l'enlacer en lui disant qu'elle pourrait toujours compter sur elle.
-Et inversement,a fait l'autre.
On s'est dit que c'était une jolie scène pour un couple de copine,avec un sourire amusé à l'idée qu'ils n'auraient pas détruit notre humanité.La jeune fille à la pomme la serra de nouveau contre elle et l'autre s'éloigna,avec le fruit dans la main.A peine eût-elle croqué dans le fruit défendu que l'autre le lui arracha de la bouche à lui en péter les dents.Pour une fois,j'acceptai,entre guillemets,de me mettre à la curée.J'ai eu cette réaction à la con Ponno parce que j'en pouvais plus.Malgré l'obscurité totale qui régnait à ce moment là parce que quelqu'un avait pété la lampe,mes mains fines et froides semblaient trouver sans peine la nourriture qu'elles cherchaient,comme si elles avaient des narines de renifleurs canis.Mes mains s'enveloppèrent naturellement autour du quignon que je portais derrière mes lèvres.Inutile de dire que la pièce n'avait jamais semblé aussi pleine.Tout aussi inutile de dire que je n'avais jamais connu de plats aussi bruyants et indigeste,même pendant les banquets.Depuis que l'ado affameur était arrivé,je n'avais jamais vu de gens manger tous en même temps.Ou alors ils râclaient de leurs dents plates de doltik,des gros animaux herbivores,des carcasses qui nourriraient des dinosaures.Exceptionnellement ce jour là,ils annoncèrent pourtant un déjeuner le lendemain midi.C'était une journée très chaude.
Bien évidemment,je ne suis pas inconsciente et je savais exactement à quoi m'attendre.Je n'avais pas envie de finir ma vie ici,et surtout,je n'avais pas envie que ce soit eux qui puissent se vanter d'avoir achever la mienne.Je me mérite,je suis une princesse,me suis-je dit.Mais quand ses mots parvinrent sur l'écran plat de mes pensées,il n'y avait aucune fierté,juste une tristesse endeuillée.Mon choix de fuite était à nouveau pris,mais il ne sera pas aussi simple cette fois.
-Elle est d'accord pour y aller!annonça mon gardien de cellule,dont la voix était fatiguée à l'avance à l'idée de transporter des cadavres à la main.
Heureusement qu'il n'en a pas plus dit.J'étais d'accord pour le suivre et expérimenter en mode survival mes pouvoirs crachotants.Mais si j'étais d'accord pour attendre qu'on se fasse submerger par la champ de force tueur,ce n'est pas la peine que je réponde.De l'autre côté de ma chambre,les gens se relevaient de leurs chaises en entendant ces mots.Les yeux des autres s'illuminèrent lorsqu'ils se rendirent compte qu'on était déjà le 21 Plucho,fête des embrassades et des banquets.Une tradition de banquet sombralien ne pouvait se permettre d'être une boucherie,avaient-ils pensé.
Mais moi je ne pouvais me permettre de suivre ce raisonnement.
Ils essayaient de ralentir le rythme de la marche,pour que tout le monde suive.Hmm,bizarre...Je savais que c'était nous,ou du moins moi,qui n'étaient pas à la hauteur,ou plutôt à la bonne vitesse.Heureusement d'ailleurs,ça me laissait le temps de fuir par les escaliers de sécurité en improvisant de la façon la plus superbement individualiste possible un camouflage parfait.J'ai pensé à leur adresser mon auriculaire en un signe de superbe mépris bien vulgaire et populo,mais je me suis contenté de rire sous cape,alors que j'avais envie de pleurer en pensant que je m'évaderais pas avec ma compagne de cellule trop cool.Voyez-vous,dans les grands romans d'évasions que je lisais au chaud dans mon canapé quand j'étais plus petite,ils étaient tous ensemble,avec leurs rêves orgueilleux et leur courage solidaire,à fuir un point précis.Moi j'ai abandonné le navire parce que j'étais lucide.Je profitais d'une minute de répit,car ils s'étaient arrêtés,sûrement le temps d'achever cette jeune brune qui avait besoin de se reposer.L'idée d'être vue m'inquiétait pourtant avant tout.Et ceci n'était que le plus minime de mes problèmes.Il fallait que j'envoie une illusion chez quelques détenus.J'espérais que si je ne réussissais pas,ils comprendraient...Même s'ils ne connaîtraient jamais toute l'histoire que je vous ai racontée,Ponno,que j'intitulerais "Raisons de mon egoïsme surdimensionné".
Je me suis aperçue que je ne voyais plus mes pieds en atteignant la forêt déboisée.Je marchais à grands pas n'osant m'envoler,lançant comme une danseuse traditionnelle mes jambes loin devant,comme une chavotte,une biche aux longs cils maquillés.J'étais sérieusement déterminée à libérer quelques enfants que je ne pourrais pas nourrir vivante.Mes cheveux ne dépassaient plus mes épaules,cachant à peine leurs meurtrissures,mais ils rebondissaient à chaque mouvement.
Et lorsque j'ai envoyé valser la porte lourde qui me sortait de cet endroit,je n'eus aucun sentiment,aucune expression.Comme une mauvaise actrice.J'avais atteint en une heure la sortie du complexe.A présent ils devaient déjà tous être décédés.Je n'étais qu'une bonne à rien.Les hommes âgés me semblaient pourtant plus des proches que des compagnons de cellules.Les gérants des cellules eux avaient le statut d'ennemis intimes.Mais j'étais la fille du roi,je devais faire attention à moi.Princesse,c'est un métier difficile.
Je n'ai toujours pas répondu à la question que vous devez vous posez:Qu'est-ce qui valait le coup qu'au lieu de vous parler en face je vous embête à vous faire attendre que j'ai fini d'écrire?
Hé bien j'avais été lâche pour rien.Je vais pas vous faire un débat philosophique pour savoir si oui ou non on peut être lâche pour quelque chose,car là j'ai vraiment été lâche pour rien.
-Yeah,a fait un des habitants du village d'à côté.
C'était une métisse,qui leur racontait qu'elle connaissait un genre d'endroit épatant pour...que ceux récemment libérés du camp pourront fréquenter après une réception uniquement donné par les gens de l'armée pour eux et pour eux seuls.Et rien ne prouveraient que moi aussi j'avais survécu au camp.
Après que les autorités alliés à nous,comme je ne peux que les appeler pour l'instant,aient libéré les plus jeunes pour les ramener chez eux,les anciens détenus déambulaient dans la ville voisine comme des silhouettes de cendre.La majorité des détenus étaient plutôt jeunes,ce qui rendait la population active,pour ce qui était de l'aide humanitaire.Quant à moi...Moi je devais me cacher,je ne voulais pas qu'ils me voient et qu'ils me narguent,car leur seul mérite avait été d'être plus courageux que moi.Ou moins pessimiste,moins lâche?
Toujours est-il que les lieux totalement déserts étaient assez rares,il faut croire.J'aurais aimé sentir une main épaisse se poser sur mon épaule et exercer une pression amicale qui me ferait vraiment du bien malgré tout.Qu'on se penche vers moi et qu'on m'enlève loin d'ici,dans un lieu secret.Mais nous sommes déjà censé être dans un lieu idéal.Rappelle-toi Tir Na Nog,ce qu'idéalisaient les irlandais.Rapellez vous les extraterrestres descendus sur Terre,en Egypte.Je me suis levée,et j'ai disparu dans un forêt,j'étais ce qu'on pouvait appeler une noble des bois ,;dans une forêt obscure où le silence s'installait.J'aurais sûrement des trucs à faire de ma vie après,donc j'y vais.
Ponno semblait interpellée par ces mots.Elle finit alors par m'avouer qui elle était engagée à rattraper dans la couloir l'autre jour.Je vous le donne en mille,le père de Yoshi.Encore heureux que ses sales actions ne soient pas soutenues par sa fille.J'eus du mal à respirer en l'apprenant,comme si j'avais couru,et pas que lentement,pendant deux heures.Ponno parût réaliser le poids de sa phrase uniquement lorsque mes yeux écarquillés se posèrent sur moi.S'en suivit un petit sourire adorable,tout juste pendus au coin des lèvres.D'autant plus qu'elle devait penser à la vision de ce petit japonais,que j'eus l'occasion de croiser moi aussi dans les couloirs sans me rendre compte de qui il était réellement,venir d'un pas colérique,pas anxieux.Les salauds ne ressentent pas la peur,ai-je toujours pensé pour me dédouaner.Avant même que Ponno n'ouvre la bouche,je savais que les mots n'allaient pas me plaire,mais qu'elle aurait raison et que je ne pourrais rien y faire pour changer le passé.Et la réaction attendue s'en alla.
Hors de moi.J'étais consciente de tout cela pour tant,mais me le faire entendre comme ça avec une méthode médicale me laissait penser que j'étais dans un petit jeu,hors de moi.C'était justement tout le contraire que ce qu'elle s'était promis de faire.Se montrer le plus compréhensible possible.Une main tremblante vient effleurer ma joue,toujours aussi cassante,en pensant au malheur de ces gens qui étaient de mon sang,métaphore que je n'aime pas d'ailleurs.
Pourtant,malgré tout,sortit hors de moi un murmure,que Ponno perçut dans le calme matinal qui régnait sur le complexe:
-je n'ai plus envie de continuer la thérapie.
Ces mots eurent l'effet d'une énorme claque qui fit sortir toute la colère de Ponno hors d'elle.
-Si seulement tu n'avais pas été aussi lente à venir aussi!Si seulement tu avais utilisé tes pouvoirs plus efficacement,tu ne serais pas là!Car oui tu les a grand,Loony!
Alors que je bouillonnais d'indignation,me sentant totalement incomprise,je finis par partager un sourire bête avec elle.Ma réflexion grimpait deux à deux les étages de mon cerveau,ne sachant définitivement pas quoi penser d'elle,ni quoi penser de toute cette misérable vie d'ailleurs.
-J'ai envie de revoir Yoshi.
-Oui,eh ben tu iras la voir plus tard.
Je ne pensais pas que je m'attacherais autant à elle.Elle a raison,peu importe que son père ait tué mes oncles tantes grands-parents et cousins.On est loin d'être toujours en accord avec ses parents,même s'il est vrai que j'aurais tout donner pour les valoir.Je n'ai pas pu mettre mon Royaume de nouveau sur ses pieds,j'avais juste eu comme objectif,survivre,et embrasser Luke.Toutes mes émotions s'éveillèrent en même temps et je tournai la tête vers Ponno.Tout ce qu'elle trouva à faire fut de pouffer de rire,avec un mépris assez laid à voir.Elle laissa échapper un rire léger,presque contre sa volonté,en s'approchant de moi,en se courbant,ce qui me fit me tasser au fond de ma chaise.Je ne saurais expliquer pourquoi je me sentais aussi intimidée face à elle soudain alors que j'avais été si à l'aise pour lui parler avant.Là,c'était bien impossible de lui dire quoi que ce soit...