Novembre 1941.
Je me trouvais encore dans ce bureau quand je l'ai appris.A jouer pour eux.Une partition de Beethoven s'était retrouvée rapidement entre mes mains,car c'était jouer du piano qu'ils exigeaient de moi maintenant,et il était hors de question de leur préciser que je préférais de loin chanter.Mais même la tentation de laisser cette mélodie se faire entendre fut trop forte,et sans me vanter ils ont pris un plaisir que je n'aurais pas aimé qu'ils prennent.
C'était,c'était toujours cette même mélodie qui revenait,toujours cette même mélodie qu'ils voulaient que je joue.Il m'était impossible de comprendre pourquoi,et la vision de mon ancienne prof de maths paniquée,ses pieds nus patinant sur la glace alors qu'elle essayait d'accéder au bureau pour me prévenir d'un évènement grave,m'empêcha de jouer.
Ils ont fini par flancher,ils ont fini par laisser entrer Petys,et je ne pus m'empêcher d'admirer le changement que la déportation avait opéré sur elle.Elle s'était investie,certes pas autant que ma propre mère,d'une mission d'éclaireuse.Un flambeau humain entre les différentes strates de brouillard,dont la mission est d'éclairer les autres brebis égarées.Je lui fus reconnaissante de m'annoncer elle-même la mauvaise nouvelle:
-Lana!C'est ta petite soeur!
Je commençai à esquisser les premiers gestes d'un retour vers ma hutte,mais l'on m'en empêchée.Aucune dérogtion n'était possible,c'était ainsi que les choses fonctionnaient.
Petys m'a attendue pendant tout ce temps là.C'était une force de la nature,je m'en rends compte seulement maintenant,et cela explique peut-être pourquoi elle était tellement crainte.Elle avait la peau qui bronzait tout l'été,de longs cheveux noirs,des muscles dessinés,et elle mesurait 1M84,taille que peu d'hommes lettons atteignaient.Les premiers jours elle a toujours du succès auprès des garçons,avant de retourner dans le vrai monde.
Ma mère m'attendait depuis longtemps au chevet de Gaëll,toujours aussi gracieuse dans sa fragilité naine,malgré toute la chair qu'elle avait perdu,sacrifiée à un régime qui ne voulait pas d'elle.Mais ce qui me pétrifiait aujourd'hui,c'était ces marques sur le splendide visage de Gaëll.
-Tu sais ce qu'elle a?je demande.
-Honnêtement,non.Ce que je craignais le plus est sans doute arrivé,elle a dû attraper une infection.La pauvre petite est complètement épuisée.
-Tu ne t'en es pas rendue compte?me reprocha Lavra.
-Je sais pas comment j'ai pu ne rien remarqué avant,je réponds d'un air coupable.Qu'est-ce qu'on va faire?
-Je ne sais pas,Lana,fit maman,Lavra et moi allons rester auprès d'elle,toi,essaie de trouver Madame Sessimis.Nous allons devoir compter uniquement sur nous-même.
Depuis qu'elle est née,le 12 avril 1934,elle ne cessait de répéter qu'elle n'était qu'un poids dans la vie de la famille,simplement parce qu'elle entendait dans les livres que le dernier bébé était le plus mal perçu,le plus victime de jalousie.Ma pauvre enfant.Tu ne pèses pas bien lourd mais dans nos coeurs tu ne laisseras que du vide après toi.
J'ai essayé de demander quatres rations de pain,pour chaque femme de la famille,mais vous savez comment sont les soviétiques.On ne peut absolument rien leur demander.Une petite dispute avec eux pourrait nous entraîner dans nos pires cauchemars.
Sous un vent violent charriant les neiges du Nord,j'ai essayé de les convaincre de m'en donner une quatrième,pour ma petite soeur.Elle n'avait pas le droit à la nourriture,s'étant évanouie,littéralement tuée à la tâche qu'il lui avait confiée.Je leur ai précisé qu'elle était malade,qu'elle était petite et donc plus sensible,mais rien n'y a fait.Gaëll devait mourir,et ils n'allaient pas arrêter le processus en si bon chemin.
Je pris dans mes bras les trois rations,et je me dirigeais vers la hutte où avait élu domicile Sessimis,contre son gré.Elle n'était pas médecin.Petys était un tout autre genre de scientifique.Je passai la main dans mes cheveux bruns,un geste que je faisais lorsque j'étais soumise à un stress important.
-Est-ce qu'elle est contagieuse?demanda Jona.
Il y avait déjà 40 cas de personnes malades dans la camp cet hiver,principalement des adolescents de 14 à 17 ans,sûrement est-ce dû au fait qu'il se permettait plus de les faire travailler.
Comme personne ne lui répondit,elle se mit à hurler:
-Hé bien si c'est le cas,déposez là hors de chez moi.
-C'est plutôt à vous de partir,si vous ne voulez pas être infectée je ne vous oblige pas à rester,répondit ma mère d'un ton qui aurait pu également signifer"c'est pas ma faute,j'suis énervée".
-Bien sûr!se mit à crier Lavra,comme si elle avait eu une révélation.Je sais ce qu'elle a.
Elle prit sa valise et ouvrit un livre de médecine,tournant avec frénésie les pages.Elle cherchait un mot précis.
-Elle est atteinte du scorbut,j'en suis presque sûre.Ce n'est pas une maladie courageuse,mais elle en est à un stade avancée,regardez sa dentition.Par contre,il faut absolument que Lasse nous aide,Lana.Qu'il trouve une alimentation riche en vitamines,avant qu'elle y passe.Elle est dans un état de dénutrition avancée.
Ses yeux se gonflèrent et elle lâcha le livre des mains.Ma mère est sortie,nous demandant avec l'énergie du désespoir dans la voix de veiller sur notre petite soeur.Lavra caressait de ses mains glacées les adorables joues brûlantes et piquetées de Gaëll,espérant que ça l'aiderait à aller mieux.
-Chante,Lana,murmura la petite voix épuisée.
C'est ce que je fis.Ces chansons que nous apprenions quand nous passâmes chacune notre tour par la case maternelle,elles sont passées par ma voix,tandis que Lavra passait de nouveau ses mains sur le papier saint et fin de la bible,espérant que ça l'aiderait.
-J'ai si froid...
-Non...Ne fais pas celle qui me dis adieu...Tu vas vivre,tu es si jeune....Tu dois vivre.
Soudain,on frappa à la porte,et je me levai si subitement que j'en eu mal aux genoux,dont l'os saillant était depuis longtemps sur le sol.C'était Lasse.Maman avait dû avoir couru dans le froid pour le chercher.
-Depuis combien de temps elle est dans cet état là?
-Quelques heures,répondit Lavra.
-Gaëll,ça va aller,t'en fais pas,c'est Lasse.Tu vois,le garçon qui vient de Suède et qui a toujours un tas de bonnes choses à manger...
Gaëll gisait sans mouvement,comme si elle était endormie.Trop endormie.Elle m'inquiétait,de plus elle penchait dangereusement sur la gauche.
-Il faut que j'essaie de trouver Viktor,fit Lavra,c'est la seule solution.Lasse,pendant ce temps,tu pars chercher de la nourriture,et toi Lana tu gardes ta soeur.
Je me retrouvais donc seule avec ma petite soeur,et j'approchai de plus en plus mon visage du sien,comme une vraie grande soeur.J'attendais son retour,,laissant échapper une berceuse de ma voix.J'avais fait le tour des chansons lettonnes,je me suis donc penchée sur une berceuse bretonne,culture que mes parents adoraient.Ils adoraient cette région située tout à l'autre bout de l'Europe.Cette région était censée être notre canot de sauvetage,pendant un temps.Nous aurions pu nous y abriter,avec la famille de Zita et celle de Joan,laissant notre pays se faire lentement charcuter.
Lasse revint soudainement,me faisant sursauter de bonheur.Il avait un sachet de concentré de sauces tomates dans une de ses poches,et il me suppliai de le faire avaler à ma petite soeur.Avant de glisser le sachet ouvert aux cisailles entre les lèvres de ma soeur,il fit un léger commentaires sur cette pièces aux murs d'un bois blanchis à la farine,ce qui gelait cette pièce dépourvue de meubles.Il pressait entre ces pouces ce médicament alimentaires,poussant encore un peu plus la solution sur la langue de ma soeur.J'étais envahie d'un sentiment de gratitude ascendante pour ce garçon,et pour sa mère aux cheveux châtains.
Après avoir avalé le sachet entier,elle eut un étrange bruit de gorge.Je la caressai afin de la calmer,et commençai à lui raconter,plutôt à lui réciter pour être honnête,une légende celtique très belle que mon père avait ressorti de ces passions d'enfance.
Maman est enfin rentrée,avec une des compagnes sibériennes de travail de ma soeur,venue elle-même prendre des nouvelles de ma soeur.Elle est venue lui donner une paire de bottes à lacets en cuir noir,s'approchant d'elle avant de prendre son bras sur l'épaule,lui parlant sans cesse.Viktor et Lavra sont arrivés par la suite,et Viktor s'est précipité en pleurant vers son amie.
-Maman,j'ai commencé,Lasse est passé offrir du jus de tomate à Gaëll,et je pense qu'elle se sentira mieux maintenant.
Ma mère regarda Lasse comme si elle s'était réveillée au beau milieu d'un cimetière et qu'elle arrivait dans un village grouillant de vie:
-Lasse!Oh Lasse,comment vous remerciez...
Sa voix était adoucie par la gratitude.Puis Lasse est parti,la nuit commençant à tomber,c'était l'heure pour lui de voler de ses propres ailes.Viktor secoua légèrement sa copine,petite écolière endormie,écrasée de souffrance et de sommeil.Puis la Sibérienne s'adressa à ma mère,et l'emmenant d'un bras à la cueillette de plantes médicinales.
Lavra prit Viktor dans ses bras,afin de le ramener chez lui,malgré ses protestations.Et moi,je suis restée seule au chevet de Gaëll.