Chapitre 8 {II}

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 — Alors, t'as enfin fini Harry Potter ?
 — Nan, souffla Tachi. J'en suis au moment juste après où Rogue il crève.

 Angus posa brusquement la main sur son cœur comme si cette seule phrase équivalait à une flèche plantée en plein dans sa poitrine.

 — Ah, c'est la pire scène. Entre lui et Dobby, je m'en suis toujours pas remis.
 — Ah ouais ? Moi je suis plutôt content qu'il clampse enfin.
 — Quoi ? s'exclama Angus, choqué. Mais arrête, c'est le meilleur personnage !
 — Bof. Un mec amoureux d'une meuf mariée pendant aussi longtemps, et même... quoi... dix-sept ans après sa mort ? Alors qu'elle l'a jamais aimé ? C'est pathétique mon gars !
 — Mais tais-toi, tu connais rien à la romance, t'as un cœur de pierre. C'était évident qu'ils auraient dû finir ensemble.
 — N'importe quoi, répondit-il en lui soufflant la fumée d'une cigarette au visage, lui valant une réprimande au passage pour fumer à l'intérieur du bar. Ça va ça va, c'était ma deuxième taffe, je m'arrête là ! Et si c'est interdit de fumer, pourquoi t'as un cendrier, hein ?

 Tachi écrasa sa cigarette à peine entamée dans le fameux cendrier et laissa Angus l'engueuler une énième fois. Tachi faisait souvent cela : il commençait des cigarettes et les éteignait presque tout de suite, comme faisant exprès de les allumer à l'intérieur pour que le courroux d'Angus l'aide à ne pas aller au bout. Apparemment, le professeur était censé avoir arrêté de fumer depuis plusieurs années.
 Lysandre sourit, amusé par la conversation entre les deux hommes. Tachi était celui qui lui avait indiqué ce bon plan et Angus celui qui lui avait donné ce travail. Son nouveau patron était d'une carrure impressionnante, des muscles saillants ressortant même de sous son t-shirt. Sa peau était aussi pâle que ses cheveux étaient d'un blanc décoloré, contrastant avec la noirceur de ses iris. Si Angus l'avait impressionné la première fois par son apparence et son franc-parler, Lysandre s'était très vite senti à l'aise pour travailler à ses côtés.
 Tachi passait tous les jours saluer son ami avant de rentrer chez lui et restait parfois prendre quelques verres. Ce jour-là, à seize heures, en pleine semaine, le bar était presque désert et Angus laissait Lysandre s'échauffer sur le piano à côté d'eux. Celui-ci était magnifique piano droit, rutilant, comme s'il venait de sortir de l'atelier. Pourtant, malgré les dires d'Angus, il était déjà là lors de son rachat du bar sept ans auparavant.
 Ce piano ressemblait beaucoup à celui de chez ses parents. Le même qu'il n'avait presque pas touché pendant les trois dernières années, noyé par les responsabilités de la plantation agricole. Il ne manquait plus que les drapés fleuris et les photos de famille sur le dessus pour en devenir une copie parfaite. Néanmoins, là où les musiques qui sortaient du piano de ses parents étaient toujours mélancoliques, nostalgiques et empreintes de solitude, celles qui émanaient de celui-ci étaient joyeuses, lumineuses et dynamiques. Il suffisait à Lysandre de poser ses doigts sur les touches pour redécouvrir l'essence même de sa musique. Il n'avait pas eu de tel plaisir à jouer depuis qu'il avait pu emprunter le synthétiseur de l'école pour le concert improvisé avec Castiel et Nathaniel. Peut-être que la musique ne venait pas de l'instrument mais du musicien ; peut-être que la seule chose qui avait changé, entre toutes ces époques, c'était Lysandre.

 — Si tu veux fumer, va dehors ! s'énerva Angus, toujours positionné derrière le bar, à l'attente de clients.
 — Je sais je sais, se défendit Tachi. Tu fais le mec mais une fois sur deux, tu tires sur ma taffe.
 — Ça c'est juste pour avoir un baiser indirect avec toi, qu'est-ce que tu crois.
 — Ferme ta gueule avant que je te saute dessus, va.

 Lysandre avait longtemps cru qu'il y avait quelque chose entre le professeur de lycée et le patron de bar mais, lorsque l'occasion s'était enfin présentée de demander si c'était le cas, Angus l'avait nié tout de suite. « Tachi est canon mais on est trop différent, en couple on serait horrible ensemble » avait-il simplement expliqué. À entendre leurs disputes sur un peu tous les sujets, de la littérature en passant par la légalisation du cannabis, Lysandre ne doutait pas que leur relation serait effectivement trop explosive pour durer.

 — En tout cas dis-moi quand t'as fini Harry Potter, qu'on puisse discuter sérieusement.
 — Je comprends toujours pas pourquoi tu m'as forcé à lire ce truc. Déjà sept tomes que je me coltine et j'ai jamais autant eu l'impression de perdre mon temps.
 — Putain mais t'es vraiment le seul mec capable de s'enfourner des centaines de livres de philo ennuyeux pour pas apprécier un classique de la littérature jeunesse !
 — La philo ça parle de la vraie vie, je vois pas où est l'intérêt de lire des trucs sur des gens qui ont jamais existé ? se questionna Tachi à voix haute, tournant sur sa chaise de bar comme un enfant. Hey le pianiste, je te vois rire là ! Commence pas à t'y mettre toi aussi !

 Lysandre ne savait pas comment le professeur avait pu voir son sourire alors qu'il était presque de dos.
 Sans s'arrêter de jouer, il se tourna vers les deux hommes.

 — Je n'ai rien dit.
 — Ouais ouais, répondit Tachi en tapant sa main sa cuisse par pur dépit. Vous m'agacez les deux à vous foutre de ma gueule. Ton pianiste il prend ses aises, là.
 — On se fout pas de ta gueule, renchérit Angus. C'est pas de notre faute si t'as aucune culture et aucun goût.
 — Allez vas-y, la ferme ! Vous me soûlez, je me casse ! s'énerva Tachi en remettant sa veste sur le dos. Je m'en vais retourner discuter avec des gens qui m'apprécient à ma juste valeur.

 Angus rit de plus belle, l'envoyant bouler hors de son bar avec la délicatesse qui était sienne. Tachi s'en alla, non sans adresser un dernier doigt d'honneur au patron, et manquant presque de bousculer un client au passage.

 — Regarde devant toi, abruti ! cria Angus à Tachi alors que ce dernier continuait à lui faire des gestes obscènes de derrière la vitre. Excusez-le monsieur, c'est un rustre. Qu'est-ce que je vous sers ?
 — Une limonade.

 Lysandre reconnut cette voix ; il la reconnaîtrait entre mille. Toujours sans s'arrêter de balader ses mains sur le piano, improvisant une mélodie, il tourna la tête vers son ami.

 — Tu as pu te libérer ? l'interrogea Lysandre.
 — J'avais envie de passer voir comment c'était. Je m'attendais à plus miteux que ça.

 Le compositeur sourit. Il avait peut-être été un peu sévère en décrivant l'endroit la première fois à Castiel. Angus l'avait intimidé et, s'il s'était habillé aux lieux depuis, il fallait reconnaître que la première impression n'était pas forcément la bonne. Le bar « le Coquelicot » était correctement situé, près d'une rue plutôt marchande, et semblait exister depuis bien plus longtemps que le rachat d'Angus. Les tables comme les chaises étaient abîmées, certaines étant même réparées directement avec du rouleau adhésif. Le plexiglas du dessus des tables était brisé par endroit, comme le serait l'écran de smartphone d'un adolescent. La décoration composée de masques vénitiens et de fleurs en plastique poussiéreuses ajoutait un aspect vieillot aux lieux, contrastant avec le dynamisme d'Angus et des deux serveuses qui travaillaient les soirs et weekends.
 Lorsque Lysandre en avait parlé la première fois, il avait presque eu honte. Il n'était payé que trois à quatre heures par soir pour jouer du piano et il ne s'agissait pas du lieu le plus classe du monde. Ça n'avait certainement rien à voir avec le nombre de réceptions où Castiel avait dû être convié pour la promotion de son album qui commençait à décoller. Son ami était de moins en moins disponible, occupé par les soirées mondaines et les promotions sur les réseaux sociaux, et se faisait même reconnaître dans la rue à presque chaque sortie. Lysandre n'avait pas eu conscience du succès grandissant de Castiel avant de rentrer pour l'observer de ses propres yeux. D'après les dires de son ami, leur popularité avait commencé à exploser à la sortie de leur nouveau single, à peine quelques semaines auparavant, et tout semblait aller très vite – trop vite, peut-être.
 Quelques années en arrière, les deux amis composaient ensemble des chansons sur le même banc de lycée. Tout cela lui semblait si loin. La déception de Castiel de voir son ami finir dans un simple bar à jouer du piano ne serait-elle pas à la hauteur de la fierté que ressentait Lysandre envers lui ?

 — Alors, commença Castiel en prenant une chaise pour s'asseoir à côté de lui. Comment ça se passe ?

 Lysandre se décida à arrêter de jouer et la plainte déçue d'Angus se fit entendre jusqu'à lui. Ce dernier devait véritablement aimer le piano pour aller jusqu'à payer un pianiste dans un lieu où quatre-vingt pour-cents des clients n'y prêtaient aucune intention.

 — Très bien, répondit Lysandre dans un sourire.

 Angus tira une table pour y poser la limonade de Castiel et repartit aussitôt.

 — Pouvoir jouer du piano presque tous les jours, c'est tout ce que je pouvais espérer.
 — Tu n'aurais pas envie de pouvoir composer tous les jours ?

 Lysandre fronça les sourcils, loin d'être étranger de ce genre d'insinuations.

 — C'est déjà ce que je fais.
 — Tu vois très bien ce que je veux dire.
 — Oui, admit-il sans peine. Et ma réponse est toujours négative.

 Castiel soupira et s'appuya sur le dossier de sa chaise. Cette conversation tournait en boucle depuis des semaines. Lysandre avait peut-être hésité à accepter mais après sa discussion avec Maxence, son bassiste, il était désormais hors de question de rencontrer sa manager.

 — Tu penses vraiment pouvoir aller quelque part en continuant à jouer dans un vieux bar ?

 Angus claqua bruyamment sa langue depuis derrière le comptoir, ne cachant pas qu'il écoutait tout de leur conversation.

 — C'était vraiment ce que t'espérais faire en te libérant enfin de la ferme ? Alors que je t'offre une occasion de faire tes preuves face à de vrais professionnels ? Des professionnels qui ont déjà dit aimer ton travail ?

 Castiel devait certainement penser que Lysandre était seulement borné ; qu'il s'obstinait à vouloir réussir seul, alors qu'au lycée ils auraient tout fait pour conquérir le monde ensemble. Le leader de Crowstorm n'était pas du genre à faire de la charité alors que son ami s'entête à refuser de travailler avec lui devait profondément l'agacer.
 Lysandre baissa les yeux et, après un moment, se tourna de nouveau vers le piano pour entamer un autre morceau. Jouer avait le mérite de l'apaiser. Castiel soupira de nouveau face au mutisme de son ami. Il l'écouta jouer quelques minutes puis, les coudes sur le genoux et sans avoir encore touché à son verre, il demanda :

 — Tu vas te décider à me dire ce qu'il se passe ?

 Lysandre se stoppa net. Même s'y étant attendu, il se sentit brusqué par sa question. Ses mains quittèrent le clavier pour se poser sur ses genoux.

 — Ça a un lien avec Rosa ?
 — Il ne se passe rien entre elle et moi, répondit-il dans un sourire cynique. Je ne lui ai pas parlé depuis des mois.
 — OK, alors explique-moi, ordonna fermement Castiel.

 Ils avaient toujours été honnêtes l'un envers l'autre. Castiel plus que Lysandre.

 — Ça... commença le jeune pianiste.

 Pouvait-il vraiment se permettre de lui dire la vérité ? Lysandre observa son ami qui, impassible, attendait une explication quant à son attitude étrange des dernières semaines.

 — Je préfère ne pas me mêler de ton groupe.
 — Qu'est-ce que tu racontes ?
 — C'est ton groupe et ton label. Je n'y ai pas ma place.
 — Toi et ta foutu fierté, s'énerva Castiel. C'est quoi le rapport entre rencontrer mon manager et entrer dans mon groupe ? Pour rappel, si tu étais resté en ville avec moi comme je te l'ai proposé il y a trois ans on aurait pu le monter tous les deux.

 Lysandre ne put s'empêcher de le fusiller du regard, le cœur serré par ce qu'il venait de dire. Son ami savait parfaitement pourquoi il avait repris la ferme et combien le deuil des ses parents avait été difficile pour lui. Combien il aurait aimé être là pour continuer à jouer de la musique à ses côtés. Aussi bien à l'époque, Castiel n'avait ni compris ni accepté le choix de son meilleur ami de reprendre l'exploitation de ses parents, lui qui détestait l'environnement de la ferme depuis l'enfance. Il l'avait observé de loin se perdre, perdre sa musique, sa passion, et mourir à petit feu. Regretter ce choix et ne pas oser revenir en arrière. En vouloir à Leigh d'avoir tout ce que Lysandre ne pouvait même plus envisager construire. En somme, devenir une personne dont il n'était pas fier.
 Mais Castiel ne connaissait pas le deuil. Il ne pouvait pas comprendre cet aspect de sa vie, malgré tous ses efforts pour essayer. Même si ça avait été une erreur, c'était une étape nécessaire dans sa guérison, pour avancer.

 — On aurait pu mais ce n'est pas le cas, trancha-t-il sèchement. Tu as ton groupe maintenant et ce n'est pas le mien.
 — Je t'ai jamais demandé de le rejoindre, répondit-il sèchement. Tu aurais voulu que je le fasse, c'est ça ?
 — Non. Pourquoi voudrais-je ça si c'était pour refuser toutes tes propositions ?
Castiel ne trouva rien à répondre à cela. Lysandre soupira. Il était temps d'en parler.
 — Écoute... ça concerne Maxence.

 Son ami eut un mouvement de recul.

 — C'est quoi le rapport avec lui ?

 Le musicien décala sa jambe du siège pour pouvoir se mettre totalement face à Castiel. Il avait redouté de lui en parler depuis le début mais, si la situation avec Rosalya lui avait appris quelque chose, c'est que les secrets ne pouvaient pas rester cachés éternellement.

 — Maxence a voulu me faire croire que tu avais volé mes morceaux.

 Castiel ouvrit la bouche à plusieurs reprises avant de parvenir à répondre.

 — De quoi ? Tu te fous de moi, là ?
 — Lorsqu'ils sont venus répéter chez toi, le jour de la tempête, il m'a montré les partitions que je t'avais donné quant tu es sorti et mon nom n'y était plus inscrit.
 — Attends, tu penses que j'ai volé tes compos ?
 — Je ne l'ai pas cru une seule seconde.

 Après cette affirmation, les deux amis s'observèrent un instant, sans se parler. Puis Castiel eut un rire cynique et passa la main dans ses cheveux rouges.

 — J'ai peur de comprendre, là.
 — Je suis navré de ne pas t'en avoir parlé plus tôt, je ne voulais pas semer la zizanie entre vous.
 — Qu'est-ce que tu es en train d'inventer, Lys ?

 Le pianiste ne réagit pas de suite, lui nécessitant un temps interminable pour comprendre le sens des mots de son ami.

 — Tu... je n'invente rien, répondit-il seulement, ne sachant même pas quoi dire d'autre.
 — Si tu tiens tant que ça à rejoindre mon groupe tu n'as qu'à me le dire. Je sais que tu peux jouer de la basse et du synthé comme Maxence, et tes compos sont géniales, mais tu ne peux pas...
 — Je n'invente rien, répéta-t-il d'une voix plus forte, sentant son cœur s'affoler dans sa poitrine. Il m'a montré les partitions et mon nom n'y était pas inscrit.
 — J'ai retapé tes compos rien que ce matin et ton nom était écrit, Lys. Je ne comprends pas à quoi tu joues. Et de toute façon je les ai montrées à ma manager, évidemment qu'elle sait que c'est toi qui les as faites !

 Son nom était encore inscrit ? Non, c'était impossible. Lysandre l'avait vu de ses propres yeux. Certes, une seule fois et pendant une très courte seconde, mais il avait bien remarqué que son nom était effacé. Quant aux sous-entendus de Maxence, il ne les avait pas rêvés non plus. Se sentant céder à la panique, Lysandre ferma les yeux un instant.

 — Je te raconte les choses comme elles se sont passées. Je ne veux causer aucun problème.
 — Écoute, je vois bien que les gens changent de comportement autour de moi, révéla Castiel avec un certain dépit dans la voix. Depuis que le groupe a commencé à marcher, des personnes qui nous crachaient dessus au début nous acclament aujourd'hui. J'ai des messages de rapaces littéralement tous les jours.
 — Tu penses vraiment que je suis ce genre de personne ? demanda Lysandre, la voix s'étant brisée sur les derniers mois.
 — Je ne pense rien. Je me rends compte, c'est tout. J'ai vu ce que la jalousie pour ton frère t'a fait faire.

 Lysandre se leva soudainement, comme pour partir. Son cœur battait si fort et si vite qu'il le sentait presque jusque dans sa gorge.

 — Attends, excuse-moi, ajouta immédiatement Castiel en lui saisissant le poignet pour l'inviter à se rasseoir. J'aurais pas dû dire ça, désolé. Ça n'a rien à voir... mais la jalousie fait faire des choses qu'on regrette et tu le sais aussi bien que moi. Maxence ne dit que du bien de toi et il adore tes compos alors je comprends vraiment pas pourquoi tu inventes tout ça sur lui.

 Le pianiste finit par céder et se rassit, la gorge nouée, d'autant plus humilié qu'Angus n'était qu'à quelques pas d'eux. Ce n'était pas le genre de choses qu'il avait envie qu'on croit de lui. Lysandre n'était pas parfait mais il n'avait jamais fait de mal à son frère. Il n'était pas un menteur non plus.
 Il n'aurait jamais envisagé que la discussion avec Castiel prendrait cette tournure. L'idée que son ami puisse douter de lui, comme il se méfiait des vautours qui n'en voulaient à sa carrière, lui nouait le ventre.

 — Maxence est un mec un peu bizarre parfois alors vous vous êtes sûrement mal compris, et tu as dû mal voir ce qu'il te montrait, dit Castiel. Mais tu peux pas me balancer des trucs comme ça sans aucune preuve en faisant comme si tu te rendais pas compte que tes insinuations foutraient la merde entre nous. Me balancer une bombe pareille pour me dire que tu ne veux pas « semer la zizanie » ça n'a aucun sens, Lys.

 Lysandre, le regard rivé sur le sol, réagit à peine. Castiel lui posa les mains sur les épaules, comme pour le réveiller.

 — Plutôt que de parler de mon groupe tu ferais mieux de t'intéresser à la proposition que je te fais. Et cette proposition ne te concerne que toi et ta future carrière. On n'a pas pu monter de groupe ensemble mais ça ne veut pas dire qu'on peut pas progresser ensemble, Lys.

 Le pianiste se pinça les lèvres, muet, pensif.

 — Alors, tu vas enfin accepter de faire ce qui est le mieux pour toi ?

 Étrangement, il ne lui fallut que peu de temps pour répondre d'une voix assurée :

 — Oui, je sais exactement ce que je dois faire.



 Tachi croisa les bras et s'adossa au bord de sa porte, un sourire équivoque aux lèvres.

 — Alors celle-là... c'est vraiment la meilleure de l'année.
 — Angus m'a donné le code de la porte et... et le numéro de votre appartement.

 Tachi rit de plus belle et Lysandre déglutit, osant à peine relever les yeux vers le professeur.

 — Vous m'avez dit que vous cherchiez un nouveau colocataire.

 Tachi semblait bien trop amusé par la situation et, s'il n'avait pas été aussi désespéré, le compositeur aurait presque pu en être irrité. Néanmoins, ce dernier ne pouvait pas franchement se permettre de faire le difficile.

 — T'as pas d'autres affaires ? demanda Tachi en donnant un coup de menton vers le bagage à peine plus épais qu'un sac de sport qu'il avait avec lui.
 — Non.

 Face au long silence qui suivit, Lysandre continua :

 — Je payerai le loyer, peu importe le prix.
 — Angus te paye si bien que ça ?
 — Je trouverai un autre travail.

 Tachi sourit, visiblement amusé par l'embarras et la panique du jeune homme.

 — Qu'est-ce que je serais devenu si à ton âge on m'avait pas hébergé gratos, hein ? Allez, entre, tu me fais de la peine avec ton sac de miséreux, là.

 Interloqué par sa réponse, Lysandre osa enfin lever les yeux vers lui.

 — Vraiment ? C'est d'accord ?

 Tachi répondit en lui laissant la place pour entrer, le bras grand ouvert comme s'il lui présentait là un palace – un palace d'au moins deux chambres, ce qui suffisait largement.
 Lysandre était probablement en train de faire la chose la plus stupide de sa vie ; quitter l'appartement de son meilleur ami, refuser la possibilité d'entrer par la grande porte dans le milieu qui le faisait rêver, abandonner les repères qu'il avait mis trois ans à retrouver... tout cela pour emménager avec un parfait inconnu dans un appartement au dessus d'un bar, dans une ville de banlieue qu'il ne connaissait même pas. C'était typiquement le genre de décisions impulsives pour lesquelles Leigh comme Castiel le critiquaient.
 Ce fut ainsi pourquoi Lysandre pénétra dans son nouveau « chez lui » sans hésiter une seule seconde de plus.

Fallen {Amour Sucré Campus Life}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant