Chapitre 4 {II}

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 Entrer en plein milieu d'un concert avait été plus facile qu'il ne l'avait imaginé. Il n'y avait même pas de videur, c'était n'importe quoi. Avaient-ils seulement conscience des personnes qu'ils permettaient d'entrer avec leur négligence ? Des types comme lui, du genre qui n'attirait que des ennuis. S'il avait été quelques années auparavant, il n'aurait probablement pas manqué de foutre le bordel, juste pour s'amuser. D'autant plus s'il s'agissait du concert de Castiel. Certaines choses ne changeaient jamais vraiment. Mais pas cette fois, il n'était pas là pour ça, et la présence de ce concert stupide l'indifférait au plus haut point.
 Nathaniel aperçut la scène, au loin. Le Snake Room n'était pas particulièrement grand, et le public du concert remplissait l'espace à lui tout seul. Vu comment Ambre vantait sa popularité montante, il se serait attendu à beaucoup plus de monde. Décidément, sa sœur avait le chic pour exagérer ; peut-être même le faisait-elle exprès juste pour l'énerver. Pendant que toi tu fais n'importe quoi avec ta vie, lui il réussit la sienne. Malgré l'obscurité, à peine bousculée par quelques spots lumineux parcourant le public de temps à autre, Nathaniel parvint à repérer le bar, éclairé de quelques LED discrets de couleur violette. La barmaid qu'il connaissait bien discutait dans l'oreille de son collègue, probablement incapables de s'entendre autrement au milieu de la musique rock qui résonnait. Il n'y avait, à ce bar, qu'une seule personne qui attendait, elle aussi visiblement totalement étrangère à l'atmosphère fiévreuse du concert. Elle arborait au contraire une mine inquiète, repérable même dans le noir, comme émanant d'elle. La personne qu'il était venu voir. Ils s'étaient à peine parlés en trois ans.


 « Nathaniel, c'est Priya. Ambre ne va pas bien, il faut que tu viennes la chercher au Snake Room. »


 Quelles étaient les chances pour qu'en quatre ans, Nathaniel n'ait jamais changé de numéro, et que Priya ait conservé le sien ? Et même sans cela, quelques minutes plus tard il recevait un message du portable d'Ambre qui disait à peu près la même chose, prouvant que Priya était à ses côtés. Elle avait sûrement dû paniquer en réalisant que Nathaniel pouvait ne plus avoir le même numéro et ne jamais recevoir son message. Il avait répondu dans la seconde, sur le portable de Priya. « J'arrive. » Ils avaient ensuite décidé de s'attendre au bar. Pauline, la barmaid, le reconnut dès qu'il apparut. Ils avaient eu une relation ensemble, par le passé, sans lendemain. Ils étaient toujours en très bon termes depuis. Priya le remarqua à son tour mais le malaise entre eux était palpable, d'autant plus compte tenu de la situation. Nathaniel savait parfaitement pourquoi elle l'avait appelée, il n'avait pas besoin de lui demander.

 — Salut Pauline, salua-t-il naturellement la barmaid.

 La musique du concert était si forte qu'il n'entendit même pas les mots franchir sa propre bouche. La jeune femme eut une mine interdite et leur fit seulement signe de la suivre derrière le bar. Nathaniel ne se fit pas prier, ignorant Priya malgré lui. Lui faire face, comme ça, après tout ce temps, le gênait plus qu'il n'aurait jamais accepté l'admettre. Elle avait toujours été sympathique avec lui, l'une des seules à ne pas l'avoir jugé lorsqu'après sa rupture, ses échecs répétés à la fac, et le départ pour l'étranger d'Armin, son ami le plus proche à l'époque, il avait perdu le fil de sa vie et commencé à faire n'importe quoi. Ils auraient probablement pu devenir amis, finalement, à cette époque. Mais de sa main tendue, il n'en avait pas voulu, et c'était probablement trop tard désormais.
 La barmaid les fit passer par les cuisines pour rejoindre les loges, à l'arrière. Lorsqu'enfin, ils purent s'entendre, protégé de la musique par les différents couloirs qui les séparaient de la scène, la jeune femme expliqua, marchant un pas devant eux.

 — Priya est venue me voir pour me dire. On l'a installée dans la salle à l'arrière qui nous sert plus ou moins d'infirmerie. J'aimerais que vous la viriez d'ici sans faire de vague, mon patron commence à saturer des meufs dans son genre. Si vous étiez pas mes potes je l'aurais laissé crever sur le trottoir.

 Nathaniel qui, d'ordinaire, appréciait le mordant de Pauline serra les poings pour ne pas répondre, sentant la rage le gagner. Probablement en ayant deviné sa pensée, Priya posa une main sur son bras et, les sourcils froncés, lui fit un discret « Non » de la tête. Ce n'était pas le moment de s'énerver, pas dans cette situation. Pour Pauline qui virait déjà sans ménagement tous les fauteurs de trouble dans ce qui était devenu presque sa seconde maison, pas étonnant que dealer avec de tels problèmes l'insupportait. En fait, si ça n'avait pas été sa sœur, Nathaniel aurait sûrement approuvé sans réfléchir. Après tout, elle l'avait lui-même foutu dehors plus d'une fois, et alors ce qu'il considérait comme un jeu l'amusait.
 De toute évidence ça n'en était pas un pour elle. Au contraire, c'était très sérieux. Posée devant une porte sans aucune indication, elle mit la clé dans la serrure.

 — Je veux plus vous voir d'ici vingt minutes.

 Et Nathaniel entra sans la remercier.
 Ambre était prostrée dans un coin, serrant ses jambes dans ses bras. Ses chaussures à talons étaient posées juste à côté, et le contenu de son sac était éparpillé un peu partout. Il eut un soupire de soulagement, bientôt suivi par un claquement de langue agacé.

 — Ça y est tu redescends ? dit-il, comme un coup de poing porté avec les mots.

 A chaque Nathaniel avait peur que ce soit terminé. A chaque fois que Nathaniel recevait ce genre de message, de la part de sa sœur ou de personnes qui savaient que c'était lui qu'il fallait contacter dans des cas comme ça, il se disait que c'était fini. Qu'Ambre finirait dans un hôpital pour ne pas en ressortir. Qu'il finirait seul, encore une fois.
 Ce n'était que de l'inquiétude. De l'amour pour un frère qui n'avait plus que sa sœur au monde. Qui craignait plus que de tout de la perdre aussi.
 Pourtant, tout ce qu'il parvenait à exprimer, c'était sa colère.

 — Lève-toi, ordonna-t-il en s'approchant de sa sœur.

 Celle-ci ne releva pas la tête vers lui. Lorsqu'elle était encore sous les effets de la cocaïne, Ambre était incapable de tenir en place. Le simple fait qu'elle reste là, sans bouger, à peine quelques tremblements dans ses bras sous tension, était devenu un bon signe pour lui. Nathaniel donna un coup dans ses affaires, répandues sur le sol.

 —T'as voulu vérifier si t'en avais encore ?
 — C'est toi qui as tout pris c'est ça ?

 Une voix glaciale, méconnaissable, émanant du corps filiforme d'Ambre. Priya qui jusqu'alors était restée en retrait se mit à sa hauteur.

 — J'ai jeté cette merde, répondit-il, une once de défi incontrôlable dans la voix.

 C'était cette victoire d'en jeter, comme un moyen de la protéger, alors qu'il savait parfaitement qu'elle en pourrait en retrouver rien qu'en allant travailler. C'était une collègue mannequin, la première à lui en avoir donné. Un photographe, le deuxième.

 — T'es vraiment qu'un pauvre connard !

 Ambre avait hurlé de toutes ses forces, libérant enfin ses jambes, les joues baignées de larmes de rage, elle fusilla son frère du regard.

 — Tu sais combien ça m'avait coûté ? Toi qui es pas foutu de travailler plus de trois jours quelque part sans te faire virer tu crois que tu peux me rembourser ?!

 Malgré les cris, son discours était clair. Ça irait probablement pour ce soir, pensa-t-il. Mais Priya, qui n'avait certainement jamais assisté à ça, paraissait terriblement inquiète, une main posée amicalement sur le bras de son amie. Nathaniel fut surpris car, dans cet état, Ambre ne se laissait habituellement toucher par personne.

 — Rends-la moi ! hurla-t-elle, toujours plus fort.
 — Non.

 Sa réponse la fit rentrer dans une colère encore plus forte et elle tapa du poing sur le mur à côté d'elle. Priya eut un mouvement de recul mais elle resta à ses côtés. Agacé par ce spectacle qu'il subissait presque toutes les semaines depuis plus de deux ans, Nathaniel se mit à son niveau et lui prit les bras pour la relever sans lui demander son avis.

 —Lâche-moi ! Pourquoi t'es venu ? Je veux pas te voir ! Retourne faire ta merde là dans la rue avec de pauvres ratés comme toi !

 Nathaniel, qui savait que ce n'était pas vraiment elle qui parlait, ne s'en formalisa même pas. Mais, sans qu'il s'y attendre, Ambre déplia sa jambe et lui donna un violent coup de pied dans le ventre.

 — Dégage j'ai dit !

 Même habitué aux sports de combat, Nathaniel ne l'avait pas vu venir et se replia un instant sur lui-même sous la douleur.

 — Putain... lâcha-t-il.
 — Nath ça va ? s'inquiéta Priya.
 — Tu commences à me soûler, s'agaça le jeune homme en revenant vers sa sœur sans attendre que la douleur soit partie. Tu vas te lever maintenant où c'est moi qui le fais.

 Ambre essaya de lui donner un coup de poing mais, préparé cette fois-ci, Nathaniel lui bloqua les poignets. S'il préférait la récupérer en état de manque qu'au bord de l'overdose, car il interprétait cela naïvement comme un signe qu'elle allait « bien », il n'empêchait que ces situations étaient de loin les plus difficiles à gérer pour lui.
 Les bras bloquées, Ambre essaya de nouveau de le frapper avec ses jambes mais, manquant d'appui, ne parvenait pas à l'atteindre. Des larmes de rage coulèrent de ses yeux. Ce regard de haine qu'elle lui lançait lorsqu'il parvenait à mettre la main sur sa drogue, il le connaissait par cœur.

 — Cette fois ça suffit, Ambre ! hurla-t-il pour couvrir les propres cris de sa sœur. Que tu me foutes deux trois claques quand t'es un peu bourrée passe encore, mais ça commence à me gaver ton cinéma. C'est d'avoir vu ton père me frapper dessus pendant toutes ces années qui t'inspire ou quoi ?

 Il avait dit cela dans un sourire provocateur, sachant parfaitement sur quel chemin il se lançait. Ambre se stoppa presque immédiatement et, passée une seconde, hurla de nouveau.

 — Comment tu oses me dire ça ? Pour qui tu te prends ? Lâche-moi ! J'ai rien à te prouver ! T'oses me juger alors que c'est toi qui t'es barré ? Toi qui m'a laissée toute seule là-bas ? Vas te faire foutre !

 Nathaniel ne l'écouta et serra encore plus ses poignets tandis qu'elle se débattait de toutes ses forces. Même maigre, Ambre faisait tellement de sport désormais que tout son corps n'était que muscle, la rendant de plus en plus difficile calmer dans ces moments-là.

 — Lève-toi ! répéta-t-il.
 — Lâche-moi j'ai dit ! Tu me fais mal enfoiré !
 — Tu me soûles Ambre ! Lève-toi maintenant !
 — Tu me fais mal !
 — Lève-toi !!
 — Nathaniel arrête ça !!

 Priya avait crié à son tour et la surprise le fit desserrer son étreinte. La jeune femme le repoussa brusquement pour lui faire lâcher prise, tenant Ambre contre elle.

 — Tu vois pas que tu lui fais mal ? Tu maîtrises pas ta force ou quoi ?!

 Nathaniel l'observait, interdit. Il vit Priya prendre Ambre dans ses bras, cette dernière se détendant presque instantanément, comme si son calme avait un impact positif sur elle. Sur les poignets de sa sœur, il aperçut alors la marque rouge de ses propres doigts.
 Tu ne vois pas que tu lui fais mal?
 Non. Non, il ne l'avait pas vu. Même si elle lui avait dit, même si elle pleurait, même s'il était plus fort qu'elle physiquement. Il ne l'avait pas vu. Il accusait Ambre de se comporter comme leur père, mais à cet instant, c'était lui qui lui ressemblait. Des années qu'il traînait sa colère et qu'elle ne redescendait pas. Des années que lui et Ambre ne s'en sortaient pas. Il soupira.
 Ils devraient tous les deux avoir un discussion dès le lendemain, songea-t-il. Ils avaient des choses à se dire. Mais en attendant, la priorité restait de partir d'ici. Il lança un regard entendu à Priya et celle-ci essaya de pousser Ambre à se lever. Même difficilement, au bout de plusieurs minutes, la jeune femme finit par obtempérer. Nathaniel, en attendant, réunit ses affaires en silence et mit ses chaussures dans son sac.

 — Je vais la porter sur mon dos, dit-il simplement.
 — Je peux marcher, protesta Ambre.

 Nathaniel faillit répondre, agacé, mais se retint. La colère passée, sa sœur semblait totalement à bout de force, les jambes tremblantes et les yeux rouges. Ce ne serait pas très difficile de la convaincre, et de toute manière lui aussi était fatigué de se battre contre elle.

 — Ce sera plus simple, dit Priya. Ton frère va te ramener chez lui.

 Ambre semblait n'avoir aucune envie d'aller chez lui mais obtempéra, titubante. Nathaniel n'était pas sûre qu'elle se soit droguée lors de cette soirée mais il commençait à le penser. Probablement encore un de ces crétins fous d'elle qui espérait en tirer avantage. Il n'avait aucune idée de comment Priya s'était retrouvée mêlée à tout ça, mais c'était certainement elle qui avait empêché le pire pour cette fois, surtout si aucune autre de ses « amies » n'étaient là. Elles l'avaient probablement laissé tomber, comme d'habitude. Comme toutes ces fois où Ambre s'était retrouvée dans une position où elle ne pouvait plus dire non, à qui que ce soit, et à prétendre ensuite que ce n'était pas grave. Que « dans le métier » c'était comme ça.
 Des années que Nathaniel était le seul à s'inquiéter pour Ambre. Et en plus, il ne s'y prenait même pas correctement.

 — Priya ?

 La jeune femme, quelque peu surprise, tourna la tête vers lui.

 — Tu peux venir aussi ?

 Comme une supplice.

 — S'il-te-plaît. Je crois que ça aiderait si tu restais avec nous. Au moins pour cette fois.

 Alors que jusqu'à maintenant, il n'y avait qu'elle et lui.

 — Tu es sûr ?

 Priya sembla, hésiter, confuse. Il était surprenant que ce soit une demande comme celle-là qui la fasse perdre de son assurance, alors qu'elle était parvenue à calmer Ambre juste avant.

 — En ce moment c'est compliqué entre elle et moi. J'ai peur qu'elle ne veuille pas me voir au réveil, chuchota-t-elle, sans savoir si Ambre était encore réveillée et pouvait l'entendre.
 — Je crois que si. Et moi aussi, s'il-te-plaît.

 Pour cette seule fois, il demandait de l'aide, ressentant un calme étrange au fond de lui. Nathaniel avait perdu l'habitude de ne plus être en colère constamment. Si Priya avait réussi à les calmer tous les deux de cette manière, alors il avait encore besoin d'elle.
 Est-ce qu'il était jamais trop tard pour accepter une main tendue vers soi ?

 — C'est d'accord.

 Et Nathaniel sourit, soulagé, pour la première fois depuis longtemps, comme apercevant un rayon de soleil dans le ciel gris au dessus de sa sœur et lui. Comme la promesse d'un lendemain meilleur.
 Ambre à moitié endormie sur son dos et Priya à côté de lui, il quitta la boîte sans faire de vague.

Fallen {Amour Sucré Campus Life}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant