Chapitre 7 {I}

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 — C'est bien ici, le collège Rosa Parks ?

 Le jeune adolescent au bonnet enfoncé jusqu'aux oreilles et le nez plongé dans son portable ne prit pas la peine de relever les yeux vers Lysandre. La fille à son bras le força à ralentir le pas et répondit à sa place.

 — Oui c'est ici. Le lycée à gauche, le collège à droite, expliqua cette dernière en lança ses longs cheveux bruns derrière son épaule.

 Les deux lycéens pénétrèrent dans la cour tandis que Lysandre restait là, devant le portail. Dans la main, une photocopie de l'annonce qu'il avait trouvée sur internet à peine quelques heures auparavant. Il n'était même pas repassé par l'appartement de Castiel et avait pris le premier bus, quitte à aller dans la mauvaise direction.
 C'était probablement très impulsif, comme tout ce qu'il faisait depuis qu'il avait quitté la ferme.
 Lysandre entra dans le premier bâtiment sur la gauche, après avoir expliqué la raison de sa présence ici à un surveillant. Il était un peu plus de dix-sept heures passé, aussi tous les élèves semblaient être encore en cours. L'annonce donnait un numéro à contacter mais personne n'y répondait et il n'y avait pas de nom inscrit non plus. Pour un poste de professeur remplaçant dans un collège, ça ne paraissait pas très professionnel, mais Lysandre n'était pas le genre à faire attention à ce type de détail. Il déambula dans les couloirs vides, à se demander s'il ne trouverait personne pour le renseigner, désormais qu'il était définitivement perdu.
 Tandis que le jeune compositeur se retrouvait à nouveau dans un cul de sac, un professeur sortit seul d'une des salles.

 — Bonjour ? dit-il d'un ton perplexe.

 Ce dernier devait avoir une trentaine d'années, ou peut-être moins, et portait une chemise et un pantalon noir, en plus d'une cravate bordeaux et d'une doudoune grise. Son costume tranchait avec ses mèches blondes décolorées qui lui tombaient devant les yeux et tous les piercings qui pendaient à son oreille. Un peu plus et Lysandre aurait pu le prendre pour un autre membre du groupe de Castiel.

 — Je peux vous aider ? demanda-t-il en fermant la porte à clé derrière lui.
 — Je cherche le bureau du directeur.

 Le professeur rit et se tourna vers lui en rangeant les clés dans sa poche.

 — Rien que ça. Pourquoi ?
 — J'ai vu passer une annonce pour un poste de professeur de musique, expliqua Lysandre en lui tendant la photocopie qu'il avait toujours dans la main.

 L'homme à la chemise noire la prit en haussant un sourcil et parcourut rapidement le document des yeux.

 — Au collège ? l'interrogea-t-il. Bosquet est partie ?

 Quelques secondes passèrent pendant lequel son interlocuteur prit vraiment le temps de lire l'annonce. Finalement, un sourire taquin apparut sur ses lèvres et il lui retourna la feuille en lui indiquant le coin supérieur gauche.

 — Hey, genius, l'annonce date d'il y a plus de deux mois. Il faut se réveiller plus tôt le matin ! plaisanta-t-il. Si vous voulez bosser dans une école vous avez intérêt à être à jour sur les dates, a priori c'est la seule chose qu'on vous demandera... ça et d'arriver à l'heure, j'en sais quelque chose.

 Lysandre sentit de la chaleur envahir ses joues. Même s'il connaissait sa propension à commettre ce type d'erreur, ne pas l'avoir remarqué avant qu'un enseignant ne lui fasse la réflexion le fit se sentir totalement stupide. Un poste de professeur remplaçant, sans diplôme requis, même à temps partiel, c'était trop beau pour être vrai.
 Il essaya tant bien que mal de cacher son agacement en rangeant rapidement le papier dans sa poche, remerciant l'enseignant d'une petite voix.
 Le professeur tira sur le col de sa doudoune.

 — Je savais pas que ça recrutait les profs sur internet maintenant... si j'avais su. J'ai dû m'y reprendre à trois fois pour avoir mon concours.
 — Je sais que je n'ai pas de qualifications, contrairement à un vrai professeur, mais je-
 — Hey, t'inquiète, le coupa-t-il. Je disais pas ça contre toi. Ça te dérange si on se tutoie ? T'as quel âge ? T'es étudiant ?

 Lysandre s'accorda une seconde pour détailler son interlocuteur avant de répondre. L'homme avait un immense sourire sur les lèvres et dégageait une chaleur réconfortante, étrangement, même s'il s'agissait de la première fois qu'ils se rencontraient. Le compositeur ignorait pourquoi ce professeur prenait le temps de lui parler et pourquoi lui-même ressentait cette envie de poursuivre la conversation alors qu'il était d'ordinaire si réservé.

 — Je suis sans-emploi, répondit-il d'un ton égal, sans donner plus de détails.
 — J'ai connu ça, je suis désolé que t'en sois à vouloir bosser dans un collège. Tu dois être sacrément désespéré, rit-il. Je m'appelle Tachibana, au fait, tu peux m'appeler Tachi, même les élèves m'appellent comme ça. J'ai pas assez d'autorité pour les forcer à m'appeler « monsieur ».

 Lysandre sourit à sa réflexion tandis qu'ils marchaient côte à côte vers la sortie.

 — Moi je m'appelle Lysandre.

 Tachi lui serra la main.

 — Pourquoi prof de musique, au fait ? Tu t'y connais un peu au moins ?

 Lorsqu'ils entraient dans le hall, le regard de Lysandre se perdit sur les quelques élèves qui étaient dans la cour. Une fille s'amusait à voler le portable de son amie pour prendre des selfies, un couple de jeunes garçons gothiques étaient occupés à s'embrasser sur un banc avec autant de passion qu'un couple en boîte de nuit, et un autre groupe de lycéens était assis en rond en train de jouer aux cartes. Même si cet établissement ne ressemblait pas particulièrement à son ancien lycée, un profond sentiment de nostalgie l'envahit. Il se souvint de tous ces moments qu'il avait lui-même passé sur ces bancs, à composer des morceaux, à gratter la guitare de Castiel, à discuter avec Rosalya, Alexy ou même Olympe.
 Était-il si surprenant qu'il soit incapable d'avancer dans sa vie quand la simple visite d'un établissement scolaire le rendait si mélancolique ? Partir physiquement de la ferme était une étape ; il fallait commencer la seconde, et se détacher mentalement de tout ça.

 — Je joue de plusieurs instruments, répondit doucement Lysandre, le regard toujours suspendu aux fenêtres donnant sur la cour.

 Tachi, étranger aux tourments du jeune homme, enfouit les mains dans ses poches et poursuivit la conversation avec enthousiaste.

 — Tu jouerais pas du piano, par hasard ? demanda-t-il.
 — Si, dit Lysandre tandis que la sonnerie scolaire résonnait autour d'eux.
 — Tu cherches un job, pas vrai ? Ça t'intéresserait pas de jouer du piano dans un bar du coin ? T'habites près d'ici ?

 Lysandre déglutit et se tourna de nouveau vers son interlocuteur.

 — Vous connaissez quelqu'un qui cherche un pianiste ? demanda-t-il en le vouvoyant sans réfléchir, en raison de leur différence d'âge.

 Castiel habitait à plus de quarante-cinq minutes d'ici, avec un bus qui passait entre trente minutes en semaines et une heure le week-end, mais il préférait ne pas le préciser au cas où Tachi reprendrait sa proposition. Lysandre avait son permis mais pas de voiture ; quant à l'argent, il préférait ne pas y réfléchir. Dépenser la maigre somme qu'il avait gagné en vendant la ferme était inenvisageable – comme une ultime trahison envers ses parents, il la gardait sur un compte bancaire sans y toucher.
 Le professeur sourit et poursuivit son explication joyeusement.

 — Ouais, justement ! Je suis pote avec le gérant du bar le Coquelicot, juste à deux rues d'ici, dans l'immeuble où j'habite. Le patron me laisse faire mon rap et emmerder les clients environ un fois par semaine, plaisanta-t-il. Mais il préférait engager un vrai pianiste pour le weekend et quelques soirs en semaine, si j'ai bien compris. Faut pas t'attendre à un salaire mirobolant non plus, c'est plus un taff d'étudiant pour après les cours, mais si vraiment t'es en galère ça pourrait te dépanner.
 — Ce serait formidable.

 Lysandre avait du mal à croire qu'une telle opportunité puisse lui tomber dessus, surtout après avoir définitivement refusé la proposition de Castiel de rencontrer sa manager.

 — Cool, répondit Tachi en tendant la main pour la lui serrer de nouveau.

 Autour d'eux, le hall commença à se remplir de tous les lycéens qui sortaient de cours, sans prêter une seule seconde attention à l'homme aux cheveux noirs et d'argent qui se tenait là. Lysandre, lui, remarqua quelques élèves saluer Tachi en l'appelant « monsieur » malgré ce que ce dernier lui avait dit plus tôt.

 — Tiens, file-moi ton numéro et je t'enverrai l'adresse, t'auras qu'à y aller et dire que tu me connais, continua-t-il en sortant de sa poche un téléphone moyenâgeux. C'est Angus le gérant, un mec super cool tu verras.
 — Hey monsieur ! l'interpella un élève qui les dépassait d'une tête à tous les deux. Vous êtes redevenu blond ?
 — Ouais, ça me va bien, hein ?
 — Bof, vous êtes un peu vieux pour ça.
 — Tu peux parler, moi je vieillis plus depuis mes dix-huit ans, comme tous les asiat's, alors que toi regarde, t'as déjà l'air d'avoir quarante piges avec ta barbe là.

 L'élève protesta en riant, sans prêter attention à Lysandre.

 — Vous avez déjà corrigé les bacs blancs ? poursuivit-il.
 — T'es fou ! Vous l'avez fait hier, tu crois que j'ai pas de vie ou quoi ?
 — Mais monsieur, c'est le boulot des profs de corriger nos devoirs, sinon on peut pas progresser, se plaignit une autre élève de manière délibérément exagérée.

 Lysandre vit Tachi refermer le sac marron qu'il avait sous le bras d'un geste tout sauf discret.

 — Regardez, là, y'avait nos copies, je l'ai vu.
 — Hey, oh, t'as rien vu du tout. Puis vire moi cette casquette de là, on est à l'intérieur, sale gosse ! protesta Tachi en lui enlevant la casquette de sur sa tête pour la mettre sur la sienne.

 Lysandre ne put s'empêcher de sourire face au cirque que faisait Tachi avec ses élèves, s'amusant à leur faire croire qu'il ne savait pas où était passée la casquette, alors qu'elle était encore sur sa tête. Même si tous ces élèves devaient avoir au moins plus de dix-sept ans, ils rigolaient comme des enfants aux blagues de leur professeur. Ce dernier donnait d'ailleurs l'impression de n'avoir jamais quitté le lycée non plus.
 Après avoir rendu la casquette et menacé de leur faire passer un autre bac blanc s'ils ne déguerpissaient pas, Tachi et Lysandre franchirent les portes du hall tous les deux.

 — Qu'est-ce que vous enseignez, au fait ? questionna Lysandre, par pure curiosité.
 — La philosophie, répondit-il avant d'accrocher le regard perplexe de son interlocuteur. Quoi ? Pendant toutes mes années au chômedu j'ai eu le temps de lire beaucoup de livres.

 Tachi sortit de sa poche une cigarette et la mit dans sa bouche sans l'allumer.

 — Je suis jamais allé au lycée.

 Lysandre ne comprit pas tout de suite pourquoi il lui disait ça.

 — Pendant longtemps j'en ai eu honte, tu sais, d'avoir aucune qualification, d'être jamais allé au lycée ou à la fac, comme tout le monde. J'ai un peu galéré mais j'ai obtenu mon concours, comme les autres, je suis passé par d'autres chemins, alors tu vois... même si tu débarques de nulle part, tu as toujours moyen de faire quelque chose. Tu as toute la vie devant toi, gamin, conclut-il en lui donnant une tape sur l'épaule. J'espère que le courant passera avec Angus.

 Il sortit de sa poche son vieux Nokia comme pour sceller la promesse de le recontacter très vite puis entreprit de partir de son côté. Après à peine quelques pas, il s'arrêta et se tourna de nouveau vers Lysandre, sa cravate bleu marine tapant contre son épaule au gré du vent.

 — Tu rechercherais pas un appart aussi, par hasard ? demanda-t-il en élevant la voix pour se faire entendre.
 — Pas pour le moment, répondit Lysandre, les mains dans les poches de son manteau.
 — Tant pis ! Si tu connais quelqu'un que ça pourrait intéresser, dis-le moi, j'ai mon coloc qui vient de me lâcher sans préavis !

 Après avoir bruyamment manifesté son agacement vis-à-vis de cette situation, Tachi s'en alla pour de bon, aussi vite qu'il était arrivé. Lysandre le vit jeter sa cigarette dans la poubelle sans l'avoir fumée.
 Tandis que le jeune homme continuait d'essayer de se remettre les idées en place, son portable vibra. Il comprit bien vite qu'il s'agissait de la fameuse adresse que Tachi avait promis de lui envoyer. Lysandre se mordit la lèvre, se demandant si tout cela était bien raisonnable ou avait ne serait-ce que le moindre sens. Il ne connaissait même pas ce type, qui était littéralement sorti de nulle part pour lui proposer un boulot. Ce n'était pas un peu bizarre ?
 Est-ce que c'était ce que ça signifiait, de travailler en ville ? De rencontrer du monde ? Faire des rencontres absurdes mais providentielles ?
 Il ne lui fallut que quelques minutes pour se décider à se rendre au bar à pied, miraculeusement sans se perdre une seule fois, et obtenir le job en un serrage de main.

Fallen {Amour Sucré Campus Life}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant