Chapitre 5 {II}

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 A force de grignoter frénétiquement le bout de son stylo, Olympe y avait inscrit la marque de ses dents. C'était une mauvaise habitude dont elle n'arrivait pas à se défaire, lorsqu'elle était préoccupée par quelque chose. Elle était posée à la bibliothèque universitaire depuis neuf heures du matin et avait de plus en plus de mal à se concentrer. La jeune étudiante posa enfin son stylo sur la table, se donna deux gifles sur les joues – de quoi attirer les moqueries des deux garçons assis juste en face d'elle, qui devaient bien se demander ce qu'elle avait à se frapper toute seule – et rouvrit furieusement son ordinateur. Ce fichu mémoire n'allait pas s'écrire tout seul ! Même si elle n'était qu'en Master 1, elle devait encore faire ses preuves, surtout si elle envisageait elle-même de devenir professeur un jour. Rayan n'allait pas lui faire de cadeau sous prétexte qu'ils se connaissaient.
 Rayan... ils ne s'étaient pas revus depuis qu'elle avait fuit comme une lâche, sur le terrain d'athlétisme. Depuis une semaine elle se contentait même de faire du « jogging » dans le parc, de peur de le croiser. C'était vraiment ridicule. Rayan n'osait plus la regarder dans les yeux quand ils se croisaient et il avait annulé tous leurs rendez-vous d'avancée du mémoire, prétextant d'une manière très formelle que c'était plus « simple » pour lui de passer par les e-mails. Olympe s'en voulait terriblement, pas seulement parce que leurs moments de complicité lui manquaient, mais parce qu'à cause d'elle, il avait l'air de s'être persuadé qu'il avait franchis une limite. Qu'il puisse penser qu'il avait fait quelque chose de mal, c'était insupportable pour elle, mais il fallait croire qu'Olympe manquait cruellement de courage. A part mâchouiller son stylo sous l'anxiété, elle n'était capable de rien.
 Sans s'en rendre compte, elle avait ouvert une page internet au dessus de son traitement de texte et s'était connectée à sa boîte mail. Pas de nouveau message de « Pr. Zaidi ». Dans leurs échanges, ils se vouvoyaient toujours, comme un professeur et son étudiante. Rayan n'osait probablement pas prendre le risque qu'on remarque qu'il tutoyait une élève sans aucune raison et, quelque part, lorsqu'ils parlaient de son mémoire, Olympe « oubliait » que son professeur était aussi son ami du club. La jeune femme avait envie de lui envoyer un message, un qui ne serait pas professionnel, un qui serait différent des autres, pour briser la glace. Pour lui faire comprendre qu'elle avait envie de le revoir dans ce cadre qui n'appartenait qu'à eux, en dehors de la fac. Mais si elle l'envoyait de son adresse donnée par l'université, cela pourrait être dommageable pour elle comme pour lui si cela se savait.
 Olympe ouvrit une seconde page internet et fouilla dans ses anciennes adresses e-mail d'hébergeurs qu'elle n'utilisait plus depuis longtemps. La plupart contenait au moins son nom de famille, ce qu'elle préférait éviter. Finalement, elle se souvint de sa première adresse e-mail absolument ridicule, pleine de chiffres et de références à des dessins-animés des années 90 : ce serait parfait ! Elle se connecta à cette vieille adresse et, faisant de son mieux pour ne pas trop réfléchir à la bêtise de son action, tapa son message :

 « Salut. Je sais que ça fait longtemps. Je suis vraiment désolée pour la dernière fois, j'ai paniqué et j'ai fait n'importe quoi, mais j'aimerais me rattraper. Nos rencontres au club près du parc me manquent. Tu voudrais bien qu'on s'y retrouve aux horaires habituels ? Je t'y attendrai. A bientôt j'espère.
 O. »

 Si quelqu'un voyait ce message dans sa boîte mail, il n'aurait aucun mal à prétendre que ce n'était qu'une erreur – surtout compte tenu l'adresse avec laquelle elle l'avait envoyé. Il n'y avait pas non plus d'indications suffisamment précises sur elle ou sur leur lieu de rencontre, mais celles qui étaient écrites devraient lui suffire à faire le rapprochement. Du moins, elle l'espérait sincèrement, et de toute façon c'était décidé : elle retournerait au club d'athlétisme.
 Après avoir copié/collé l'adresse de Rayan, et sans prendre une seule seconde de plus pour réfléchir de peur de changer d'avis, Olympe appuya sur entrée. Au même moment, elle se dit que ses formulations étaient ringardes, que sa façon indirecte de l'inviter était stupide et que la simple vue de son adresse e-mail d'adolescente suffirait à le faire fuir. Foutus mails qu'on ne pouvait pas supprimer une fois qu'ils étaient envoyés ! Agacée contre elle-même, Olympe referma son ordinateur et se décida enfin à quitter la bibliothèque. Il était déjà douze heures trente passé et elle commençait à mourir de faim. Je pourrais aller me prendre un sandwich au réfectoire, comme d'habitude, songea-t-elle.
 Son ordinateur sous le bras, Olympe sortit du bâtiment, les yeux rivés vers le sol. Elle travaillait peut-être un petit peu trop en ce moment : entre son mémoire, le boulot au café et ses quelques séances d'entraînement, elle ne voyait plus le temps passer. Elle n'avait pas revue Rosalya depuis leur dispute au Snake Room, ni personne d'autre d'ailleurs. Même en s'étant promis de faire des efforts, il fallait bien l'admettre, elle les évitait.

Fallen {Amour Sucré Campus Life}Where stories live. Discover now