Chapitre 4 {I}

391 19 5
                                    

 L'odeur de la scène lui avait manqué. Cette odeur de bois, de matériel, de transpiration et de fumée. Comme si, même vide, il y avait tout un monde du spectacle qui s'agitait là. Lysandre se tenait au milieu, son badge autour du cou, les mains dans les poches. Quelques techniciens s'activaient autour de lui, commençant à installer les instruments et le matériel du concert qui aurait lieu dans la soirée. Ils n'avaient pas l'air très en avance mais ne poussaient pas Lysandre à sortir de la scène lorsqu'ils passaient, comme respectant sa présence. Peut-être le prenaient-ils pour un membre du groupe, avec son style vestimentaire décalé, bien qu'ayant gagné en sobriété depuis le lycée. Combien d'années n'était-il pas monté sur une scène ? Une éternité, cela lui semblait. Ses retrouvailles avec la scène prenaient du temps ; quelques longues minutes, à respirer cette odeur qui lui avaient manqué, à écouter le silence de la musique qu'on ne jouait pas encore. Les cris des techniciens, dans cet espace, il ne les entendait même pas.
 Il avait hâte que ça commence, même si cette fois-ci ce ne serait pas lui qui chanterait. Peu importait. La musique c'était tout ce qui comptait. Lysandre se passa la main dans les cheveux et soupira ; d'un soupir soulagé, apaisé. Il se baissa et ramassa le sac qu'il avait posé à ses pieds. A l'intérieur, tout ce qu'il avait conservé de la maison familiale en partant. Presque rien. De quoi écrire, quelques partitions, de l'argent et des vêtements, c'était tout ce dont il avait besoin dans l'immédiat. Le reste, il laisserait Leigh le déménager, s'il était d'accord.
 Lysandre observa un instant son badge qui indiquait sobrement « Crowstorm », sans aucune autre indication. Il l'avait reçu dans sa boîte aux lettres le jour-même ; ça ne pouvait être qu'un signe. Il avait pris le premier bus et quatre heures de route plus tard, il était là, à retrouver la scène et son effervescence, comme ne l'ayant jamais quittée. Et il avait plus que tout hâte de le revoir, lui.
 Quittant l'estrade, Lysandre rejoignit les coulisses dans l'indifférence générale des techniciens, toujours occupés à rattraper leur retard dans l'installation. Plusieurs serveurs commencèrent aussi à affluer derrière le bar tandis que le Snake Room devait ouvrir ses portes dans les heures qui suivaient. C'était le moment où jamais s'il voulait discuter tranquillement. Lysandre arpenta les couloirs à la recherche des loges, n'osant pas déranger qui que ce soit pour un renseignement. Il trouva d'abord une porte entrouverte où deux membres du groupe – qu'il reconnut sans mal, bien qu'ignorant leurs noms – grattaient les cordes d'une guitare. Le jeune chanteur continua à s'avancer et s'arrêta devant une porte qui indiquait « Loge n°2 ». Instinctivement, il activa la poignée sans frapper.

 — Hey ! s'agaça une voix juste derrière la porte. C'est une loge privée.

 Lysandre entra sans se faire inviter. Il l'avait reconnu tout de suite, même après presque quatre ans sans se voir, sans se parler en face à face, juste au son de sa voix. Alors qu'il refermait la porte derrière lui, Castiel, nonchalamment allongé sur le canapé, daigna enfin relever la tête vers lui, probablement agacé que l'intrus soit encore là.

 — Lys ?

 Ce dernier sourit, le cœur au bord des lèvres. Euphorique. Il n'aurait jamais cru que revenir ici lui ferait autant de bien. Castiel se leva du canapé d'un bond et prit son ami dans les bras, celui-ci lui rendant son étreinte.

 — J'en reviens pas. Tu as pu venir alors ?
 — J'avais déjà prévu de revenir, ton concert ici a seulement été l'occasion de me lancer.
 — Revenir ? questionna Castiel en proposant au passage quelque chose à boire. Tu vas rester un peu ici ?
 — Je ne repars pas, dit-il, assuré. J'ai vendu la ferme.

 Il montra le sac qu'il avait posé juste à côté de lui pour seule preuve. Castiel lui tendit une bière et en décapsula une lui-même. « Sans alcool » précisa-t-il, probablement pour ne pas altérer sa performance sur scène. Il s'adossa à la table derrière lui, un peu hésitant.

 — Je croyais que ton frère y était opposé.

 Même si lui et Lysandre ne s'étaient pas revus pendant toutes ces années, ils n'avaient jamais vraiment cessé de se parler. Ces derniers mois en particulier, alors que Lysandre préparait son départ en secret, il l'avait beaucoup contacté par mail pour lui parler. Peut-être qu'inconsciemment, il attendait que son meilleur ami soit de retour en ville pour y revenir, lui aussi.

 — Il m'a cédé ses parts.
 — C'était pas pour t'agrandir ?
 — He bien c'est mon futur ex-voisin qui a pu s'agrandir. Je lui ai vendu le terrain pour presque rien, il était ravi.

 Castiel eut un sourire qui en disait long et but une gorgée de bière.

 — Je n'ai pas fait ça contre Leigh, se défendit Lysandre, devinant à quoi son ami pensait. Mais il ne sait pas ce que c'est. Il n'a jamais travaillé là-bas, il ne venait jamais me voir parce qu'il était trop occupé ici. Ça l'arrangeait bien que je me charge de la ferme pendant qu'il faisait sa vie ici, en ayant un boulot de rêve et sa propre famille. Il ne sait pas ce que c'est que d'être constamment seul, sans personne à qui parler le soir. Je sais que c'est très égoïste de ma part, et qu'il y tenait beaucoup mais...

 Soupir. Il n'y avait bien qu'avec Castiel que Lysandre se montrait aussi direct. Il était si isolé, là-bas, avec tous ses anciens amis loin de lui et n'étant entourés que de personnes beaucoup plus âgées, ayant déjà des vies de famille.

 — Moi non plus je ne voulais pas vendre la ferme mais j'ai eu tout le temps d'y réfléchir. J'ai vraiment essayé. Je sais que mes parents n'auraient pas non plus voulu que je vende, mais ils ne sont plus là de toute façon. Ce n'est pas comme si je pouvais encore les décevoir.

 La mélancolie l'enlaça doucement, comme l'ayant accompagné jusque là. Ses parents l'avaient quitté à peine quatre ans auparavant, à très peu de mois d'intervalle l'un de l'autre, et la douleur était vive. Reprendre la ferme avait été sa façon de se racheter, sur le moment, de ces années lycée passées loin d'eux, à les éviter le plus possible car trop en décalage, trop différent d'eux. Mais après des années à essayer tant bien que mal à s'y faire, il avait dû admettre la vérité : sa place n'était pas là-bas. Elle ne l'avait jamais été.

 — Tu sais que tu ne les as jamais déçu, Lys. Ils ont toujours été fiers de toi et le seraient encore s'ils te voyaient aujourd'hui.
 — Je te remercie.

 Lysandre observait le fond de sa cannette de bière à peine entamée. Castiel vint vers lui et posa une main sur son épaule, le forçant à le regarder.

 — Tu as pris la bonne décision. Ne regrette rien. Maintenant tu es là c'est ce qui compte, conclut-il en lui donnant une légère tape sur l'épaule.

 Castiel se rassit sur le canapé et laissa sa tête partir en arrière.

 — Te voir ici me donne encore moins envie d'aller chanter moi-même !
 — Tu ne devrais pas dire ça.

 Lysandre sourit.

 — J'ai écouté votre album, il est excellent.
 — Tu me l'as déjà dit, mais peut-être parce que c'est toi j'ai du mal à le croire. J'ai l'impression que tout ce que je pourrai faire depuis qu'on a arrêté de composer ensemble ne pourrait être que moins bien, soupira-t-il, les yeux fermés.

 Son ami hésita mais s'assit finalement à ses côtés sur le canapé trop bas. Cette loge était minuscule, moins de sept mètres carré, et le plus gros était occupé par ce sofa – très certainement un clic-clac bas de gamme – recouvert d'un drap gris, une table pleine de nourritures et une chaise dissimulée sous une pile de vestes. Pourtant, le simple fait de bénéficier d'une loge était déjà quelque chose d'exceptionnel. La dernière fois que Lysandre avait vu Castiel en concert, à un moment où son groupe ne portait même pas son nom actuel, celui-ci devait se changer dans les toilettes et n'avait aucun endroit où entreposer son matériel, si bien qu'ils s'en étaient fait voler une partie après le concert.
 Quelque part, Lysandre aurait pu être envieux, mais il ne l'était pas du tout. Au contraire, il était sincèrement heureux pour lui. La réussite, c'était tout le mal qu'il lui souhaitait.

 — Tu crois... hésita-t-il. Tu crois que tu accepterais de prendre certaines de mes compos ?

 Castiel tourna la tête vers lui, les sourcils froncés et la mine sévère.

 — T'es sérieux ? Il est hors de question que je te pique tes compos. Elles sont à toi. Je refuse de les chanter sans toi.
 — Je pense pas pouvoir me lancer dans une carrière comme toi.
 — Et pourquoi pas ?

 Pourquoi pas?
 Il n'y avait jamais réfléchi, voilà pourquoi. La musique, chanter avec Castiel, c'était sa passion, mais ça appartenait au passé. Un peu comme sa vie à la ferme. Il devait aller de l'avant, désormais. Lysandre avait conscience qu'évoluer dans le même groupe que Castiel, désormais, c'était impossible. Il avait fait le deuil de ça aussi.

 — Si tu refuses de les prendre elles vont croupir quelque part, dit-il sans répondre à sa question. Puis ce n'est pas comme si tu n'allais pas me créditer. Si ton label me paye pour ça, je pourrai me faire un peu d'argent histoire d'avoir de quoi voir venir. Avec la vente de la ferme, je compte rien rembourser les parts de Leigh.

 Castiel soupira, agacé, mais ne protesta pas. Peut-être avait-il l'impression de lui devoir quelque chose, alors que ce n'était pas le cas.

Fallen {Amour Sucré Campus Life}Där berättelser lever. Upptäck nu