Chapitre 2 {III}

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 Olympe le croisa dans le dortoirs des filles.
 Apercevoir de nouveau sa silhouette au bout de seulement quelques jours, après des années sans aucune nouvelle de lui, lui faisait bizarre. La jeune femme se demanda l'espace d'un instant s'il la suivait ; mais ce n'était probablement qu'un hasard. Néanmoins, le fait qu'il soit adossé, là, à sa porte, comme si de rien n'était, avait quelque chose de louche. Impossible de l'éviter ou de faire semblant de ne pas l'avoir remarqué. Olympe était agacée, surtout après la scène de l'autre jour. Rosalya avait hurlé au téléphone en insultant le jeune homme de tous les noms en apprenant comment il lui avait parlé. « Nathaniel se comporte n'importe comment ces derniers temps. Tout le monde lui a déjà tourné le dos », lui avait-elle dit. Étrangement, même si elle n'en avait pas le droit, cette annonce lui avait fait de la peine.
 Tout le monde lui avait vraiment tourné le dos ? A l'époque, Olympe était probablement la personne dont il était le plus proche ; c'était son amoureuse, sa meilleure amie. Sa famille. La jeune femme était déjà inquiète quant au fait qu'il ait autant de mal à s'ouvrir aux autres et qu'il dépende à ce point d'elle. Y avait-elle seulement pensé en rompant aussi brutalement avec lui, quatre ans auparavant ? Est-ce que tout le monde ne lui avait pas tourné le dos simplement car Olympe était le seul lien entre lui et les autres ?
 Malgré l'amertume, la culpabilité lui nouait toujours le ventre. Et le voir sur le pas de sa porte n'aidait pas.

 — On me dit pas bonsoir ?

 Il souriait, contrairement à la dernière fois, mais cela la mit encore plus mal à l'aise.

 — Bonsoir, répondit-elle sèchement en arrivant à sa hauteur. Tu me laisses passer ?
 — Ah, c'est ta porte ?

 Olympe s'agaça.

 — Tu veux me faire croire que tu ne le sais pas ?
 — Pour qui tu me prends ? T'es pas le centre du monde tu sais. Me fais pas passer pour un stalker.
 — C'est pas ce que j'ai dit.

 Nathaniel soupira.

 — Qu'est-ce que tu fais là alors ? C'est le dortoir des filles.
 — Et alors ? C'est un pays libre, j'ai le droit d'aller où je veux.

 La jeune femme s'énerva et le força à se pousser.

 — OK très bien. Si c'est pour me parler comme ça alors casse-toi.

 Il mit un bras sur la porte pour l'empêcher d'y accéder.

 — Non ça va, ça va, c'est bon, j'arrête.

 Olympe leva les yeux vers son ex petit-ami. Un air de regret passait sur son visage ; ce visage marqué de cicatrices, visibles ou non.

 — J'aurais pas dû te parler comme ça l'autre jour. Je suis désolé. T'es contente ?

 Abruti, pensa-t-elle. Pourquoi même lorsqu'il formulait des excuses, il le faisait de manière aussi irrespectueuse ? Où était passé le Nathaniel qui se lovait dans ses bras pour dormir, qui caressait ses cheveux en lui disant qu'il l'aimait, qui lui promettait de toujours prendre soin d'elle ? Une rupture pouvait-elle expliquer un tel changement ? Pourquoi avait-elle si mal au cœur de le voir ici alors même que l'idée de se remettre avec lui était inenvisageable, après ce qu'il s'était passé ? Pourquoi son comportement l'atteignait autant ?

 — Tu ferais mieux de partir.
 — Je peux pas, j'attends quelqu'un.

 L’étudiante se mordit la lèvre. Il attendait quelqu'un dans le dortoir des filles ? Elle n'était pas stupide. Elle comprenait très bien où il voulait en venir.

 — Je sais pas qui tu attends mais elle est pas ici, OK ? Alors va attendre ailleurs.

 Son ex petit-ami eut un rire mauvais. Il rapprocha son visage du sien, le sourire aux lèvres.

 — Bah alors, t'es jalouse ? Tu sais que tu me fais craquer quand t'es comme ça, murmura-t-il en remettant une mèche de cheveux derrière son oreille.

 Olympe gifla sa main si fort que le bruit résonna dans tout le couloir. Elle recula et le dévisagea.

 — À quoi tu joues ?
 — Fais pas comme si tu n'avais pas compris.

 Nathaniel se redressa, toujours souriant. Il appuya son épaule sur le mur à côté de lui, comme se délectant du trouble d'Olympe.

 — On est à trois mètres de ton lit, t'es toute rouge et tu trembles dès que je t'effleure.
 — Et tu t'es pas dit que je tremblais parce que je bous de colère rien que de voir ta tête ?

 La jeune femme avait presque crié, ne pouvant se retenir. Malgré tout ce qu'elle avait fait, il n'avait pas le droit de la traiter comme ça. Il avait vraiment compté pour elle ; c'était son premier amour. Rompre ne voulait pas dire qu'elle ne l'avait jamais aimé.

 — Allez... susurra-t-il d'une voix suave en caressant sa joue. Je suis plus en colère contre toi... je m'en veux de t'avoir mal parlé l'autre soir... tu peux pas me pardonner ? À l'époque on faisait ça, déjà, les réconciliations sur l'oreiller.
 — Arrête ça tout de suite, articula-t-elle, les dents serrées et les larmes aux yeux.
 — Je te dégoûte ou quoi ? Franchement, me fais pas croire que t'as pas ouvert les jambes pour qui que ce soit en quatre ans. Alors pourquoi pas m-

 Une main l'avait giflé, avant qu'Olympe ait eu le temps de le faire. La jeune femme observa, sans y croire, Ambre lever la main sur son frère une seconde fois. Les deux gifles laissèrent sur sa joue une marque rouge vif.
 Nathaniel, les yeux grands ouverts, ne semblait pas comprendre ce qu'il se passait.

 — Je te demande de venir me chercher et tu trouves rien de mieux à faire que de harceler ton ex copine jusque devant sa porte ? T'es vraiment pire que ce que je croyais !

 Nathaniel prit son visage dans ses mains, comme pour apaiser la douleur.

 — Et d'où tu critiques la vie sexuelle de qui que ce soit alors que tu te tapes la moitié du campus ?
 — T'es sérieuse là ? s'énerva Nathaniel, les yeux écarquillés. D'où tu me gifles ?
 — C'était que le début ! Si je te surprends encore en train de ne serait-ce que respirer le même air qu'elle je te dénonce à l'administration de la fac.
 — Tu parles que je m'en fous, marmonna-t-il.
 — Tu feras moins le fier quand tu seras chez les flics pour harcèlement. Maintenant, si c'est pas pour t'excuser, t'avises plus de l'emmerder.

 Olympe n'en revenait pas de la scène qui se déroulait sous ses yeux. Au lycée, c'était Nathaniel qui remettait tout le temps – ou plutôt essayait de remettre – Ambre dans le droit chemin. Le jeune homme, même agacé, paraissait tout petit à côté de sa sœur, comme un enfant pris la main dans le sac. Cela aida la jeune femme à se détendre et sa peur disparut.

 — Ça va ! Vous me saoulez toutes les deux. Je me tire d'ici. Et toi si tu veux que je te ramène t'as qu'à me suivre, sinon je te laisse là.

 Ambre pesta mais le laissa prendre de l'avance. Les bras croisés, elle se tourna vers Olympe.

 — Je suis désolée.
 — C’est pas grave, répondit-elle simplement.

 Olympe aussi était désolée. Elle se sentait responsable, d'une certaine manière, mais ça ne justifiait en rien son comportement.

 — Je vais lui parler, ajouta Ambre.
 — Pas la peine.

 La jeune femme lui sourit faiblement et posa sa main sur la poignée.

 — Je crois que lui et moi, on s'est déjà tout dit.

 Olympe claqua la porte derrière elle et, sans prendre la peine d'allumer la lumière, recommença à sangloter. Comme la dernière fois. Pourquoi finissait-elle en larmes dès qu'elle le croisait ? Pourquoi est-ce que leur rupture devait se passer si mal ? C'était comme si ces quatre années de silence avaient à ce point gangrené leur relation qu'ils en étaient devenus incapables de se parler normalement. Si Olympe lui avait accordé ça, si elle lui avait seulement donné une bribe d'explication, est-ce que cela aurait-il empiré à ce point-là ?
 La jeune femme ne pouvait pas revenir en arrière. Avec le recul, rompre avec lui restait ce qu'il y avait eu de mieux à faire. C'était même quelque chose qu'elle devait faire, pour pouvoir se reconstruire. Seule. Mais malgré tout, une pointe de regret était toujours là, dans son cœur. Une pointe de douleur qui n'arrivait pas à disparaître.
 Et si, et si... Et si je lui avais tout dit, est-ce qu'il l'aurait compris ?


 Ambre s'était sentie particulièrement coupable en voyant la silhouette d'Olympe disparaître derrière la porte. Cette dernière avait l'air bouleversée. Même si elle ne l'avait jamais vraiment acceptée, et qu'une rancœur certaine lui restait de la façon dont elle avait brisé le cœur de son frère, elle n'était plus la même petite fille capricieuse de l'époque du lycée. Elle était désormais capable de mettre de côté ses propres griefs pour voir quand son frère dépassait la ligne.
 La jeune mannequin, hors d'elle, poursuivit Nathaniel dans les couloirs et le tira par la capuche pour essayer de l'arrêter.

 — On a pas fini toi et moi ! hurla-t-elle.
 — Hey ! Arrête là, calme-toi. Arrête de boire, les fêtes d'étudiants attardés ça te réussit vraiment pas.
 — Change pas de sujet !

 Voir son frère se comporter aussi mal l'avait aussitôt fait désaouler.

 — Je peux savoir ce que tu faisais, là, avec elle ? questionna Ambre au dos de son frère, qui refusait catégoriquement de se retourner et continuait à marcher.
 — Qu'est-ce que ça peut te faire ? Je croyais que tu la détestais. T'es la première à m'avoir dit tout le mal que tu pensais d'elle quand elle m'a largué.

 Le ton de Nathaniel était dur, sec. Comme ces réminiscences d'un passé qui revenait constamment le hanter.

 — Je vois pas en quoi ça justifie ce que je viens de voir.
 — Ça va ! Arrête de te prendre pour une sauveuse, là ! s'agaça le jeune homme en se tournant enfin vers elle. C'est mes affaires, pas les tiennes, alors oublie ! Mêle-toi de ce qui te regarde.
 — C'est toi qui dis ça ?

 Le frère et la sœur s'observèrent, longuement, la mine sévère. Ils savaient très bien l'un comme l'autre ce que cela signifiait. Combien d'années qu'ils sombraient, tous les deux ? Combien d'années qu'ils s'observaient se noyer, essayant désespérément de sauver l'autre, mais incapable de se sauver eux-mêmes ? Ils étaient seuls au monde. À croire qu'ils n'avaient besoin de personne, qu'ils ne pouvaient compter que sur l'autre, qu'ils étaient les seuls à se comprendre.
 Alors pourquoi leurs échanges étaient-ils toujours aussi difficiles ? Toutes leurs discussions finissaient dans les cris et les larmes.

 — J'ai pas envie que mon frère devienne comme mon taré d'ex copain.
 — Pourquoi tu me compares à ce type ? Si je lui avais pas fait sa fête il serait encore en train de faire le guet devant ta porte. Tu devrais être reconnaissante au lieu de m'accuser comme tu le fais.
 — Alors pourquoi avec Olympe tu te comportes comme lui ? Tu te serais écouté tout à l'heure... ça te ressemblait pas. C'était carrément flippant.

 Nathaniel pesta et recommença à marcher.

 — Pourquoi tu lui dis pas simplement honnêtement ce que tu ressens ? Au lieu de te comporter comme un crétin, là.

 Son frère l'ignora et accéléra le pas.

 — Je te connais assez pour savoir que t'as regretté ce que tu lui as dit à la seconde où tu l'as sorti, mais t'as juste trop de fierté pour l'admettre.
 — Tais-toi. Tu me gonfles, Ambre.

 Les mains dans les poches, il lui lança un regard glacial.

 — Me parle plus jamais d'elle. Elle existe plus pour moi.

 Et, à la seconde où il avait prononcé ces mots, il les regretta aussi.
 
 Je veux une explication.
 Je veux comprendre pourquoi tu m'as abandonné.
 Je veux savoir si tu regrettes le mal que tu m'as fait.
 Je veux que tu me dises que notre histoire a compté pour toi.
 Tu m'as fait tant de mal, que je veux t'en faire aussi. C'est pour ça que je me comporte ainsi avec toi. Et c'est pour ça que j'en souffre à chaque fois.
 
 Mais ça, il ne pouvait pas le dire. Non, pas encore. Pas maintenant. Il devait encore agir, et regretter ensuite. Il devait faire cette erreur jusqu'au bout, comme Olympe avait fait la sienne.

Fallen {Amour Sucré Campus Life}Where stories live. Discover now