Chapitre 1 {III} (V2)

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 — Tu es encore en train de rêvasser.
 — N'importe quoi, répondit Olympe, le sourire jusqu'aux oreilles.

 La jeune femme se sentait sur un petit nuage depuis qu'elle avait accepté le rendez-vous avec Rayan. Comme la jeune femme travaillait, ils s'étaient mis d'accord pour aller boire un café le dimanche de la semaine suivante, puisqu'ils étaient tous les deux occupés cette semaine-là. Une semaine et demi à attendre, ça lui paraissait insurmontable. L'excitation à l'idée de cette rencontre en dehors du cadre du club était rapidement devenue incontrôlable. Hyun, son nouveau collègue qui n'avait pas manqué de remarquer sa bonne humeur, ne cessait de passer derrière elle pour corriger toutes ses erreurs.

 — Heureusement que Clémence n'est pas là aujourd'hui, se réjouit-elle, admettant au passage son manque d’assiduité.
 — En parlant de ça...

 Avant qu'elle eut le temps de se retourner, Hyun avait déjà enfoncé la casquette sur sa tête.

 — Ce n'est pas parce qu'elle n'est pas là qu'il ne faut pas mettre l'uniforme.
 — Mais euh ! J'aime pas les chapeaux... quelle idée de nous faire porter une casquette franchement.
 — Moi je trouve que ça te va bien.

 Olympe leva les yeux vers le jeune homme, interrogatrice.

 — Enfin, je veux dire, une casquette... ça va à tout le monde, tu vois. C’est pas… toi en particulier… enfin...

 Olympe rit et lui tapota le bras. Hyun était mignon dans son genre. Il s'embourbait tout seul dans des commentaires ambigus et involontaires, ce qui ne manquait jamais d'amuser la jeune femme. Bien qu’ayant cru à des tentatives de drague de sa part au début, elle s'était rapidement rendue à l'évidence que, même si c'était son intention, il en était bien incapable de toute façon. En vérité, elle ne croyait pas lui plaire en particulier, compte tenu de la façon dont il pouvait aussi perdre ses moyens parfois face à certains clients et clientes. Il essayait probablement d'être gentil avec elle mais ne savait pas comment s'y prendre. Elle devait admettre qu'il était très attachant, en plus d'être un collègue sympathique et efficace.

 — Ça va aller pour cet après-midi ? s’inquiéta Hyun alors qu'il récupérait les sucrières presque vides pour les remplir derrière le comptoir. Je suis désolé de déjà te demander d’échanger nos shifts alors que ça ne fait même pas une semaine que tu travailles ici.
 — Mais non ne t'inquiète pas, le rassura Olympe en vidant la machine à café. Ça m’arrange de ne pas avoir à faire la fermeture… et de toute façon les cours n’ont pas encore repris. D’ailleurs qu’est-ce que tu fais encore là ? Il est quatorze heures passé, tu peux y aller ! Je croyais que tu avais un rendez-vous chez le médecin bientôt ?
 — Oui, oui, mais ça va, je suis pas si pressé. Je me sens mal-à-l’aise de te laisser toute seule en plein service.
 — Ça va, je survivrai sans toi.

 Hyun lui lança un regard gêné.

 — Tu dois me trouver super lourd.
 — Non ! Non c'est pas ça, mais...
 — Je suis désolé.

 Olympe n'osa pas lui répondre mais Hyun ne semblait pas vexé. Une fois sa dernière table débarrassée, le jeune homme s'excusa et accepta enfin d’abandonner son uniforme derrière le comptoir.

 — Encore merci ! Je t'ai écrit quoi faire sur la table de travail derrière, en cas de besoin tu as mon numéro, normalement je serai joignable. Je reviens vers dix-huit heures, plus tôt si je peux.
 — À tout à l'heure, Hyun, le salua Olympe avec un sourire en coin.

 Hyun eut un sourire gêné et, après l'avoir de nouveau remerciée, quitta le café. Olympe, qui travaillait au café depuis déjà quelques jours, commençait à être habituée. La jeune femme avait encore quelques doutes sur la carte ou l’emplacement de certains produits, provoquant de longs silences hésitants face aux clients, mais le reste de l’après-midi se déroula sans accroc. Hyun revint dès dix-sept heures et se montra si insistant à la remplacer avant la fin de son shift qu’Olympe finit par abdiquer. S’il tenait tant à lui rendre service, autant le lui accorder et rentrer plus tôt. La jeune femme ne dirait pas non à un peu de repos.
 Il faisait particulièrement froid cette fin d’après-midi là. Olympe, qui n'avait avec elle que sa petite veste en cuir et une écharpe en coton, pressa le pas pour rentrer le plus rapidement chez elle. À cet instant, tout ce dont elle avait envie c'était de prendre une bonne douche et de passer un coup de fil à ses parents, à qui elle n'avait pas parlé depuis deux semaines.
 Elle voulait seulement rentrer chez elle.

 — Alors c'est vraiment toi.

 Olympe s'arrêta, n'étant pas sûre que c'était à elle qu'on s'était adressé. Légèrement apeurée par le ton abrupt de l’homme, elle sentit l'adrénaline parcourir son corps.

 — J'ai cru halluciner quand je t'ai vue, l'autre jour... Depuis quand tu es rentrée ?

 La jeune femme reconnut enfin sa voix, n’ayant pas besoin de se retourner pour savoir de qui il s’agissait. La même personne qu’elle évitait comme cherchait du regard à chaque recoin de la fac. Désespérément muette, elle envisagea même de continuer sa route sans lui répondre. Olympe serra plus fort les bras sur sa poitrine.

 — Tu crois pas que tu vas pas un peu loin dans le petit jeu qui vise à m’ignorer ?

 La jeune femme déglutit et baissa la tête, honteuse. Lentement, elle se retourna vers lui, la moindre parcelle de sa peau contractée par le froid. Quand, enfin, son regard osa rencontrer le sien, son cœur manqua un battement.

 — Ça fait longtemps, soupira-t-il, un dépit profond sur le visage.

 Si sa voix n’était pas restée la même, Olympe aurait eu le plus grand à le reconnaître. Nathaniel.
 Ses yeux étaient durs, froids, comme ayant rencontré la guerre. Ses cheveux étaient un peu plus longs et ébouriffés. Quant à sa lèvre supérieure, celle-ci arborait une cicatrice qu’elle ne lui connaissait pas. Son style vestimentaire avait également échangé. Nathaniel, les mains fermement foncées dans les poches d’une doudoune, avait troqué ses chemises et pantalons serrés pour un look de punk. La jeune femme ne l’aurait jamais imaginé comme cela ; c’était comme s’il était une personne totalement différente.
 Elle aussi avait énormément changé.
 Son premier amour n’eut rien besoin de dire pour qu’elle se sente envahir par la honte. Même si elle ne regrettait aucunement son choix de rompre avec lui, elle s’en voulait toujours de la façon dont elle s’y était prise. La jeune femme n'avait envoyé qu'un seul message et n'avait répondu à aucun des siens après ça, bloquant tous ses appels. Heureusement, n'étant pas restée inconsciente trop longtemps, ses parents n'avaient pas pris l'initiative de contacter ses amis et son petit-ami pour les prévenir de l'accident. Jamais ils ne devraient savoir ce qu'il s'était passé.
 Malgré la colère froide dans ses yeux, Nathaniel était calme. C'est pire, pensa-t-elle. Quelque part, elle aurait préféré qu’il lui hurle dessus, qu’il l’insulte de tous les noms. Alors, cela lui aurait donné une bonne raison de partir sans avoir à lui parler.

 — Tu avais vraiment aucune intention de me recontacter pour me dire que tu revenais ?
 — Je... je suis désolée, réussit-elle difficilement à articuler.

 Elle ne s’excusait pas pour cela et Nathaniel sembla bien l’avoir compris. Il eut un rictus agacé et se passa la main dans les cheveux, les accrochant au passage dans son poing serré.

 — Tu peux te les garder tes excuses, j'en veux pas, cracha-t-il dans un rire cynique.

 Olympe déglutit, le cœur battant et les yeux humides. Voilà pourquoi elle ne voulait pas le revoir. Quatre ans. Quatre ans pour affronter ce qu’elle avait fuit avec tant d’acharnement. C’était une longue période de temps et, pourtant, la jeune femme n’était pas encore prête. Elle était déjà incapable de tenir son regard, de voir toute cette déception dans ses yeux.

 — Qu'est-ce que tu veux, alors ? osa-t-elle, la tête baissée.

 Olympe sentit les larmes lui monter aux yeux. Le soleil commençait à se coucher, l’ombre des bâtiments tombant sur eux comme une gueule prête à les dévorer. Le manque de lumière ne manquerait pas à se faire sentir dans les prochaines minutes, lorsque le jour se serait définitivement éteint.
 Nathaniel remit ses mains dans les poches, exaspéré.

 — Pourquoi t'es rentrée ? demanda-t-il sèchement.
 — J'ai trouvé un directeur de recherches ici, dans ma spécialité.
 — C'est tout ?

 Nathaniel eut un rire sans joie.

 — Et t’avais prévu de m’éviter jusqu’au bout ?
 — C’est pas...

 Olympe avait du mal à la poitrine. Se retenir de pleurer lui demandait un effort considérable ; bien plus grand que tous les sprints et tous les marathons.

 — C’est pas facile, hein, dit-il de ce même ton froid mais mesuré.

 La jeune femme se frotta distraitement la paupière, sans comprendre ce qu’il voulait dire.

 — C’est pas facile de me regarder dans les yeux.

 Olympe releva brusquement la tête vers lui.
 Cette phrase lui fit l’effet d’un coup de poing dans le ventre. Sa colère n’aurait pas pu l’atteindre de manière plus frontale que par cette simple affirmation. Olympe ne pouvait pas le regarder dans les yeux, pas pour y voir le reflet de la personne qui lui avait brisé le cœur. À peine son regard croisa le sien qu’elle le détourna de nouveau, se mordant l’intérieur de la joue jusqu’au sang.
 C’était trop difficile. Elle ne pouvait pas lui parler, pas ici, pas maintenant.

 — Je ne te reconnais plus, laissa-t-elle échapper.
 — C’est à moi que tu dis ça ? cracha-t-il sans la lâcher des yeux. C’est l’hôpital qui se fout de la charité.

 Olympe ne répondit rien, le ventre noué. Savoir que l'on avait fait du mal à quelqu'un, c'était tout autre chose que de le voir en face. La jeune femme n'avait pas voulu y penser, elle n'avait pas assumé de lui faire autant de mal. Cependant, il était trop tard pour rattraper ce qu'elle avait fait. Ce choix, elle devait l'assumer désormais.
 Nathaniel fit un pas dans sa direction et la jeune femme recula, la tête rentrée dans les épaules, comme par réflexe.

 — Tu as peur de moi ? s’étonna-t-il. J’ai pas l’intention de te taper dessus, hein.

 Comment pouvait-il dire cela avec une telle nonchalance, lui qui avait connu le pire avec son père. Cherchait-il à la provoquer ?
 Olympe déglutit, mettant ses mains en avant.

 — Écoute… je vais rentrer maintenant...
 — Est-ce que tu m’as trompé ?

 L’étudiante en art prit un instant à assimiler sa question. Plus froidement qu’elle ne l’aurait souhaité, elle répondit :

 — De quoi est-ce que tu parles ?
 — Je connais pas beaucoup d’autres raisons pour jeter aux ordures la personne avec qui tu étais depuis un an sans lui donner la moindre explication.

 Sa colère devenait de plus en plus palpable. Il était semblable à une bombe à retardement, prêt à exploser à tout moment. Olympe, les mains toujours en avant, prit une profonde inspiration.

 — Nathaniel... je m'en veux vraiment de la façon dont je m'y suis prise... si je pouvais retourner en arrière, je te jure que je m'y prendrais autrement... mais je t’ai jamais trompé. Je voulais rompre, c’est tout.

 Le jeune homme ne réagit pas tout de suite, les mains toujours dans les poches. La plaie semblait encore trop vive, bien trop douloureuse pour qu’un simple « je ne t’ai jamais trompé » puissent apaiser quoi que ce soit. Même en sachant qu’elle ne mentait pas, Olympe se sentait honteuse, comme si l’avoir trompé aurait été une meilleure explication.

 — En fait t'as vraiment aucune idée...

 Aucune idée d'à quel point tu m'as brisé le cœur.

 — Laisse tomber, Olly. T'as raison, ce qui est fait est fait. Ce sera beaucoup plus simple d'avancer maintenant que je sais que tu t'es foutu de moi jusqu’au bout.
 — Nathaniel...
 — De toute façon, va pas croire que je t'ai attendue. Je... rah, laisse tomber.

 Olympe s'essuya les yeux, les mains légèrement tremblantes. Elle ne devait surtout pas pleurer, surtout pas devant lui.
 Il avait l'air tellement différent. Tout le monde avait changé, en quatre ans, mais chez lui le changement était spectaculaire. Même si Nathaniel avait toujours su être cynique, c'était quelque chose d'encore plus violent qui émanait de lui, désormais. Une colère froide, cinglante ; un ressentiment réel. Et ce n'était pas dirigé qu'envers elle, c'était autre chose encore, elle en était certaine.
 Olympe pensait que personne n'avait voulu parler de lui par respect pour elle, mais elle se demanda si Nathaniel avait gardé contact avec tout le monde de toute façon. Est-ce qu'il était encore seulement ami avec eux ?

 — En fait, j'ai pas envie de te parler non plus donc, tu vois, on est raccord. Tu peux continuer à m'éviter et retrouver tous tes anciens copains qui ont dû beaucoup te manquer. Ils ont sûrement plein de choses à te raconter sur moi, d'ailleurs, railla-t-il en faisant demi-tour. Allez, salut.
 — N-Nath… attends.

 Elle l’avait interpellé sans réfléchir, agrippant sa veste d’une main hésitante, troublée. Osant enfin lever les yeux vers son expression de surprise, ils s’observèrent un instant. Olympe pouvait comprendre qu’il lui en veuille encore pour ce qu’elle avait fait, mais cela faisait quatre ans… il y avait autre chose.
 D’un geste si brusque qu’elle en manqua de perdre l’équilibre, il dégagea son bras.

 — Disparais, lâcha-t-il, comme s’il espérait là qu’il s’agissait de la dernière chose qu’il n’aurait jamais à lui dire.

 Disparais.
 Et il s'en alla, sans un regard en arrière. Olympe resta prostrée en silence et, lorsque la silhouette de son ex petit-ami disparut dans la nuit qui s’était installée, les larmes perlèrent unes à unes, silencieusement, sur ses joues frappées par le froid. Ses larmes coulèrent avec quatre ans de retard. Toutes ces années où elle s'était forcée à ne pas y penser, à ne pas regretter. Toutes ces années à se persuader qu'elle avait pris la bonne décision en rompant avec lui.
 Toute cette douleur, tous ces secrets, tous ces non-dits et ses regrets inavouables roulèrent sur ses joues les uns après les autres. En silence, Olympe s'accroupit, en plein milieu de cette rue où il n'y avait personne, et eut une longue respiration. La jeune femme prit du temps pour se calmer et se releva enfin pour reprendre le chemin de son dortoir. Elle ne pouvait pas dire qu'elle se sentait plus légère car, au contraire, tous ses membres semblaient peser une tonne. Lasse, elle recommença à marcher, le cœur au bord des lèvres et les jambes tremblantes.

Fallen {Amour Sucré Campus Life}Where stories live. Discover now