Chapitre 10 {III}

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 Lorsque Mélody atteignit le parking presque entièrement vide de son ancien lycée, Tachi l'attendait déjà. Adossé à sa voiture, il regardait les étoiles, comme si ce scénario ne revêtait absolument rien d'exceptionnel pour lui. La jeune femme l'avait contacté à peine trente minutes auparavant, juste le temps qu'il lui fallait pour marcher jusqu'ici, et elle savait qu'il venait probablement directement du bar en bas de chez lui. Il avait dû sauter dans sa voiture à la seconde où elle l'avait appelé et cette pensée serra son cœur de culpabilité.

 Et dire qu'elle lui avait demandé de venir la chercher encore une fois, quatre ans plus tard, exactement au même endroit. C'était pathétique. Elle aurait dû le laisser profiter de sa soirée tranquille et rentrer par elle-même. Néanmoins, Mélody n'avait pas les moyens de payer un taxi et l'idée de monter dans un bus avec tous les regards inquisiteurs sur elle lui était tout bonnement insupportable. Elle avait été égoïste, comme à chaque fois.

 Il n'y avait rien qui distinguait les deux soirées qui avaient fini de la même façon, sur ce même parking, à l'exception de la météo. Mélody avait pleuré de tout son saoul pour Nathaniel, et voilà qu'elle pleurait encore comme un bébé pour Ra... Monsieur Zaidi. Et tout ça, à cause de la même fille !

 La simple évocation mentale de l'ironie cruelle de ce schéma qui se répétait provoqua de nouvelles larmes sur ses joues. Moins impressionnantes, cette fois-ci. Après avoir pleuré sur presque tout le chemin, même ses yeux étaient fatigués. Elle avait fait pire mais, si ses yeux ne criaient plus, sa poitrine se tordait de la même douleur. Tenant misérablement cette stupide robe trop longue de ses doigts gelés par le froid – elle était partie si vite qu'elle en avait laissé son manteau à la galerie – elle s'efforçait de faire les derniers mètres qui la séparaient de Tachi et la voiture providentielle qui la ramenerait dans un endroit où elle pourrait se changer. Son regard rasait le sol, trop honteux pour affronter celui de son ami, imaginant difficilement toute la pitié qu'elle devait l'inspirer à cet instant, pendant cette marche honteuse de fin de soirée catastrophique.

 Quatre ans. Quatre ans et encore une gamine. Vingt-deux ans et encore une « vierge frigide » qui n'avait jamais échangé de « vrai » baiser avec un garçon, refusant même de participer à ces stupides jeux de la bouteille et compagnie. Cette garce d'Olympe, qui sautait sur tous les garçons qui l'intéressaient... elle... elle avait dû le faire dès seize ans ! Même sûrement encore plus jeune ! Mélody, elle attendait le bon, c'était différent. Pas vrai ? Et Monsieur Zaidi, ça aurait dû être lui, le bon.

 La différence entre Mélody et les filles comme Olympe, c'était qu'au lieu de s'amuser et de profiter, comme les jeunes de son âge, elle allait encore rentrer bredouille, ses espoirs ruinés sous le bras, avec son auto-proclamé « frère de substitution ». C'était nul, décevant, pathétique. Tous ses espoirs pour cette soirée lui paraissaient lointains et ridicules, comme des rêves d'enfant détruits par la cruelle réalité d'adulte.

 Alors que Mélody n'osait toujours pas relever la tête, les chaussures de Tachi apparurent dans son champ de vision. Celui-ci se redressa pour se mettre face à elle et mit les mains dans les poches de son épais manteau, souriant.

 — Tu vois, ça, ce serait jamais arrivé si t'étais venue me voir raper au bar comme tu me promets que tu le feras un jour depuis deux ans, plaisanta-t-il.

 Malgré son ton accusateur, Mélody savait qu'il ne lui en voulait pas vraiment de ne jamais venir écouter son rap, et disait ça pour la faire rire. Cela fonctionna, légèrement, du moins suffisamment pour lui faire relever des yeux humides vers lui.

 De voir son ami, comme toujours si gentil avec elle alors qu'elle ne faisait jamais rien pour lui, ne fit que redoubler son sentiment de nullité profonde.

Fallen {Amour Sucré Campus Life}Where stories live. Discover now