Chapitre 8 {I}

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 Olympe n'aurait jamais cru que provoquer la surprise chez son collègue lui procurerait un tel plaisir, au point de sentir une chaleur presque douloureuse envahir son bas ventre. La jeune femme observa Hyun, d'abord pendant cette longue seconde qui lui fut nécessaire pour comprendre ce qu'elle venait de demander, puis pendant cette autre où son visage prit une toute autre teinte. Olympe se mordit la lèvre, savourant ce pouvoir qu'elle savait désormais avoir sur lui, découvrant comme il était jouissif d'avoir l'ascendant sur un garçon. Finie l'adolescente qui se laissait embrasser par Nathaniel pour la première fois à presque dix-huit ans dans une bibliothèque. Finie l'étudiante qui perdait ses moyens à la moindre conversation avec un homme plus âgé.
 Ici, plus de doutes, plus de questions, plus de peurs. Ses jambes n'avaient aucune importance, malgré leurs énièmes tentatives de se rappeler à sa conscience en lui envoyant des douleurs fantômes. Olympe lui plaisait, Hyun lui-même l'avait admis juste avant – d'une certaine façon. Avoir cette simple certitude la rassurait ; jamais elle ne se serait permise une telle chose avec quelqu'un d'autre.
 Peut-être que Rosalya avait eu raison. Peut-être qu'il fallait juste remettre la machine en marche. Juste de quoi regagner de l'assurance et réussir à regarder Rayan avec ces mêmes yeux, plein de confiance en eux. Ces mêmes yeux qui se délectaient de voir le désir dans ceux de Hyun, quelques instants auparavant.

 — Alors ? insista-t-elle, joueuse, toujours assise sur le bar.

 Le jeune homme, debout à côté d'elle, eut un franc rire.

 — J'ai... j'ai pas assez bu.

 Il pointa un doigt vers elle, le visage toujours cramoisie.

 — J'ai pas assez bu pour rêver ce que tu viens de demander.

 La jeune femme sourit à son tour, ne le lâchant plus des yeux. Or de question qu'elle le laisse s'en tirer aussi facilement !

 — C'est juste un gage ! C'est le jeu ! se défendit-elle, tout en sachant parfaitement qu'il s'agissait d'un mensonge éhonté.
 — J'aurais dû m'en douter, tu as changé depuis que tu m'as demandé de montrer mon caleçon. Ça t'a perverti je le sens. Tu n'étais pas comme ça avant.

 Olympe rit sincèrement, amusée par sa répartie, malgré la gêne décorant toujours ses joues de manière bien peu discrète. Il ne se laissait pas faire aussi facilement.

 — Ouais c'est ça, répondit-elle en se redressant, faussement piquée au vif. Je pense surtout que ça a commencé quand toi tu as sorti ton bouquin de ton fameux slip et que tu m'as demandé de lire des « oh, fais moi mal ! ».
 — C'est pas moi qui l'ai téléchargé ! se défendit-il en croisant les bras. Quitte à l'avoir sur mon téléphone, autant que ça serve.
 — Et tu penses que je vais te croire, monsieur « C'est mon meilleur ami qui a téléchargé un livre érotique sur mon portable sans me le dire », dit-elle en singeant sa manière de parler.

 Hyun rit mais ne renchérit pas, se contentant de se resservir à boire de mains bien moins habiles que précédemment. Leur petit différend amical avait peut-être repoussé le gage pour l'instant mais son souvenir chargeait toujours l'air d'électricité. Leurs regards s'évitèrent un moment et un silence gêné s'installa.
 Olympe n'avait pas envie de laisser passer cette occasion. Elle se sentait à l'aise, de bonne humeur et son corps commençait furieusement à bouillonner. Après tant d'années passées à refuser le moindre contact et la moindre relation, au point de ne plus en ressentir le besoin, c'était comme si ces émotions ressurgissaient brusquement pour l'engloutir toute entière. L'étudiante avait bien du mal à savoir ce dont elle avait envie exactement ; de contact, d'un baiser, de Rayan, de Hyun. Elle savait juste que cette envie faisait battre son cœur à toute vitesse.

 — Alors... qu'est-ce que tu en dis ? osa-t-elle tandis que Hyun continuait de fixer le fond de sa boisson.
 — Je... je sais pas, hésita-t-il, le visage ayant peu à peu retrouvé une couleur normale. Pourquoi tu me donnes ça, comme gage ?

 C'était une bonne question mais Olympe n'était pas sûre de la réponse.

 — Tu as dit que ta dernière relation datait d'il y a deux ans. Ça ne te manque pas ?

 La main de Hyun se serra sur son verre.

 — J'en sais rien, répliqua-t-il un peu sèchement.

 Indifférente à son malaise, Olympe poursuivit.

 — Après tout ce temps, il faut se remettre en scelle ! ajouta-t-elle avec enthousiasme, ne faisant que répéter ce que Rosalya lui avait dit. C'est juste un jeu, tu ne devrais pas te poser trop de question. On est amis, non ?
 — Oui, enfin... Je... je ne pense pas avoir besoin de me remettre en scelle.

 La jeune femme ne sut pas comment interpréter sa réponse. Allait-elle trop loin ? Si Hyun refusait, elle ne le forcerait pas. Mais si elle lui plaisait, comme il l'avait avoué plus tôt, pourquoi refuser ?

 — Cette personne comptait beaucoup pour moi, ajouta simplement Hyun avec une once de tristesse dans la voix qui ne lui échappa pas.

 Olympe comprenait cela. D'ordinaire, elle n'aurait probablement rien répondu ou se serait même excusé. Ce n'était qu'un jeu, un gage stupide. Ça n'aurait jamais dû aller plus loin que ce que c'était. Ça n'aurait pas dû avoir d'importance.

 — Est-ce que je compte pour toi, Hyun ?

 Les mots avaient franchi ses lèvres sans qu'elle n'ait pu les contrôler. La jeune femme ne se serait jamais imaginé lui demander une telle chose, après seulement quelques mois à avoir travaillé ensemble.

 — On... on ne se connaît pas depuis si longtemps... reconnut-il également, comme ayant lu ses pensées.
 — Tu m'as quand même fait jurer de ne pas démissionner dès les premiers jours.

 Son collègue, rit, un peu embarrassé.

 — Tu as quitté une piste de danse pour soigner mes pieds, continua-t-elle. Tu t'inquiètes toujours pour moi. Tu prends ma défense face aux clients désagréables et tu essaies aussi parfois de prendre ma défense face à Clémence... même sans y arriver.

 Hyun daigna enfin lui accorder un coup d'œil, un sourire timide suspendu aux lèvres.

 — Actuellement, tu es la seule personne sur qui je peux réellement compter.

 Ce constat lui perça le cœur. L'admettre à voix haute était plus difficile qu'elle ne l'aurait cru. Olympe n'aurait jamais imaginé être si seule en revenant dans la ville où elle croyait s'être forgée les meilleures relations de sa vie. Elle n'aurait jamais envisagé qu'entre tous ses anciens amis ou celui qu'elle avait un jour pris pour l'amour de sa vie, c'était un collègue qui demeurait à ses côtés dans les mauvais moments.
 Perdue dans ses pensées, Olympe ne sentit pas tout de suite la main de Hyun resserrer doucement la sienne. Sa peau était froide, comme à l'accoutumé. Il s'agissait de ce même froid qui avait caressé ses pieds pour y envelopper une tonne de bandage, le soir du concert. Cette sensation était l'une des plus apaisantes qu'elle connaissait. La pression de sa main était plus forte qu'elle ne l'aurait crû, comme s'il s'accrochait à elle, de peur de la voir partir.
 Il rapprocha son visage du sien, toujours sans lâcher sa main, et murmura, les yeux rivés sur ses lèvres.

 — Je vais me taire avant d'admettre quelque chose que je regretterai.

 Craignant de comprendre le sens de ces mots, Olympe resta interdite.

 — Mais en tout cas je te remercie de ne toujours pas avoir démissionné, ajouta-t-il.

 La jeune femme crut un instant qu'il était sérieux mais, à son sourire moqueur, saisit la plaisanterie.

 — Ah ah, rit-elle de manière ironique. C'est facile pour toi, Clémence t'adore !
 — Clémence n'adore personne. Elle n'aime qu'elle-même.
 — Tu parles ! T'es son chouchou. Moi elle me déteste depuis que j'ai mis les pieds ici et me le rappelle à chaque seconde de mon existence, même dans mes cauchemars.
 — Pourquoi crois-tu que je te remercie de ne pas avoir démissionné ? plaisanta-t-il.

 Olympe lui donna un coup vengeur sur l'épaule de son seul poing libre. Hyun, hilare, retira sa main et se déplaça pour se mettre face à la jeune femme. Bien que surprise, l'étudiante écarta d'instinct les cuisses pour lui laisser la place. Malgré la distance entre eux qui n'était plus très grande depuis de longues minutes, le fait d'avoir soudainement Hyun face à elle, la surplombant de toute sa hauteur, la désarma. Il posa les mains de part et d'autre de son corps et plongea son regard dans le sien. Les joues de son collègue rosirent à ce mouvement mais une certaine assurance l'habillait.
 Si Olympe s'était délectée de son pouvoir de séduction sur lui, elle avait presque oublié celui que son collègue avait sur elle. Ils passaient le plus clair de leur temps à travailler en se cachant derrière un uniforme hideux et le corps embaumé d'une odeur de café et de détergent ; rien de très sexy ou d'attirant. Encore plusieurs heures auparavant, l'étudiante n'aurait pas imaginée que sa soirée finirait comme ça.
 Olympe ne pouvait pas accepter que leur dynamique change maintenant, pas après toute cette confiance en elle retrouvée – même si ce n'était que pour une soirée. Alors, une once de défi dans la voix, elle demanda :

 — Tu as changé d'avis ?

 Hyun fit semblant d'hésiter.

 — Peut-être que j'ai juste envie de gagner.

 Olympe déglutit, sentant son souffle s'accélérer.

 — Tu m'as l'air bien sûr de toi, murmura-t-elle pour le pousser à s'approcher encore plus.
 — C'est toi qui parlais d'avoir besoin de te remettre en scelle, alors si c'est nul, je te dirai que c'est de ta faute.

 L'étudiante ne put s'empêcher de rire.

 — T'es pas sympa.

 Hyun rigola à son tour, son corps devenu si proche du sien qu'elle en sentait presque toutes les vibrations.

 — J'aurai quand même gagné, susurra-t-il dans son oreille comme seule conclusion.

 Il avait peut-être raison. C'était peut-être lui le vainqueur.
 La seule qui allait tout perdre, c'était Olympe. Mais à cet instant, à cet endroit, alors que son corps était enfin prêt à accueillir des sensations qu'elle n'avait autrefois partagé qu'avec une seule personne ; toutes les conséquences négatives de cet acte impulsif lui étaient égales.
 Ils étaient là, tous les deux, dans cette atmosphère détendue, parfumée de musique et protégée par la pénombre du café. C'était le moment idéal. Un instant parfait.
 Les doigts de Hyun glissèrent de son épaule dénudée jusqu'à son poignet, traçant un liseré curieusement chaud compte tenu la fraîcheur naturelle de sa peau. Ne s'agissait-il vraiment que d'un stupide gage ? Alors que son corps semblait autant attiré par le sien que l'inverse, que leurs regards se perdaient réciproquement sur leurs lèvres, que leurs souffles se saccadaient au rythme des contacts entre leurs peaux... Olympe n'avait laissé personne la toucher de cette façon depuis plus de quatre ans et Hyun semblait être resté seul plusieurs années également. Ils n'étaient peut-être que deux personnes très seules qui s'étaient trouvées par hasard.
 Ils n'étaient peut-être que des amis ; si c'était possible de le rester après cela.
 Hyun repoussa ses cheveux derrière son épaule et le souffle de ses lèvres contre sa nuque l'électrisa. Olympe se sentit étouffer dans ce jean et ce débardeur imbibés de sueur. La main de son collègue vint finalement caresser sa joue et sembla garder sa place sur son visage. Le froid de sa peau apaisa la chaleur qui gagnait la sienne. Le jeune homme semblait hésiter, ne cédant pas à ses lèvres le maigre espace qui les séparaient encore des siennes. Comme pour l'inviter à aller plus loin, Olympe alla chercher sa chemise des mains pour le rapprocher d'elle. L'envie de ce baiser la consumait et ces quelques centimètres la séparant de l'objet de ces désirs étaient insupportables, pourtant elle se refusait à réduire cet espace elle-même. Comme si, inconsciemment, ce roulement de tambour était aussi cruel que délectable.
 Comme entendant sa supplique, Hyun finit par poser les lèvres sur les siennes. Doucement mais non sans retenu, sans envie. Il se recula pourtant après un court instant pour l'observer. C'était comme s'il lui demandait l'autorisation d'aller plus point, d'aller plus fort. Olympe répondit en l'embrassant à son tour, n'attendant plus qu'il prenne l'initiative. La pression de la main de Hyun sur son visage se fit plus intense tandis que son autre main vint se poser sur ses hanches. La jeune femme tira sur sa chemise pour réduire la distance entre leurs deux corps au minimum. Elle n'embrassait pas qu'avec ses lèvres mais avec ses mains, sa poitrines, ses cuisses, son entre jambes. Tout son corps se languissait de ce baiser ; tout son corps voulait plus.
 Très vite, ce fut leurs langues qui se trouvèrent. Olympe avait oublié comme embrasser était agréable ; comme cela réveillait des sensations beaucoup plus fortes et intenses qu'elle n'en avait le souvenir. Pourquoi ne l'avaient-ils jamais fait jusque-là ? Pourquoi se l'était-elle refusé pendant ces quatre longues années ? C'était ses jambes qui étaient bloquées, pas ses lèvres, sa langue, ses mains, son cœur ou son envie. Son envie était là et plus avide que jamais. Pourquoi ne l'avait-elle jamais compris ?
 Hyun devait épouser la même envie aussi car son baiser se fut encore plus intense, plus pressé. La main d'Olympe glissa le long de son torse pour saisir la boucle de sa ceinture. Les doigts de Hyun, eux, caressèrent sa peau dans l'espace entre son haut et son pantalon jusqu'à finir naturellement sur sa cuisse. Alors que la situation aurait pu lui échapper, ce contact sur sa jambe lui fit le même effet qu'un seau d'eau froide en plein figure.

 — Non ! cria-t-elle brusquement en mettant fin au baiser.

 Elle avait saisit son poignet pour enlever sa main de sa cuisse avec force, le serrant comme s'il avait tenté de l'agresser. Pas ma jambe, pas mes jambes, ne les touche pas, ne les touche pas, ça me dégoûte.

 — Excuse-moi, dit-il en se reculant. Je... je suis allé trop loin, pardonne-moi.
 — Non, non, c'est pas toi, je...

 Lui, être allé trop loin ? Alors que quelques secondes auparavant elle jouait encore avec sa boucle de ceinture ? S'il savait. S'il savait comme une simple caresse sur sa cuisse lui faisait le même effet qu'une brûlure au troisième degré. Il ne comprendrait pas.
 Olympe prit ses deux mains dans les siennes et sourit pour dissiper le malaise, le corps légèrement tremblant et son cœur tambourinant dans sa poitrine.

 — C'était très bien. Tu as relevé le défi, on peut s'en tenir là, dit-elle en espérant que cela suffise.

 Hyun sembla s'en contenter et se recula encore plus du bar, comme par respect envers sa décision. Il sourit en retour.

 — Il faudra que tu nettoies ce bar.

 Olympe rougit et libéra ses mains pour le repousser amicalement.

 — Et toi alors, tu vas me laisser tout nettoyer toute seule peut-être ?
 — Pourquoi pas ? J'ai apporté le virgin morito et je paye les autres boissons.
 — Alors la femme nettoie et l'homme paie, c'est ça ? Je te croyais pas comme ça, le taquina-t-elle en le repoussant encore plus avec son pied.

 Son collègue rit et concéda bien vite à nettoyer lui aussi, visiblement embarrassé de ce que sa proposition avait laissé envisager. Hyun était loin d'être un macho et, à bien des aspects, il ressemblait plutôt à un prince de conte de fée. Le genre à aider une fille à descendre d'un bar alors qu'elle aurait pu le faire toute seule. Un prince qui embrassait très bien, en plus.
 Avant d'aller chercher de quoi nettoyer dans la cuisine, Olympe lui serra doucement la main. Ils se sourirent un instant puis commencèrent leur nettoyage dans une ambiance légèrement gênée mais toujours détendue. La jeune femme augmenta le son de la musique et commença le nettoyage du comptoir. Du coin de l'œil, elle vit Hyun s'activer dans la cuisine à l'éclairage éblouissant, tranchant avec l'absence totale de lumière du reste du café. Instinctivement, Olympe se pinça les lèvres pour goûter de nouveau au souvenir des siennes, dans la discrétion permise par l'obscurité.
 Se remettre en scelle, hein...
 C'était peut-être moins compliqué que ce qu'elle pensait.

Fallen {Amour Sucré Campus Life}Where stories live. Discover now