23 - La Dernière Bataille

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La reine Kira se tient devant l'entrée de sa demeure, là où à l'extérieur, le peuple d'Easianor l'attend pour qu'elle prenne la parole

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La reine Kira se tient devant l'entrée de sa demeure, là où à l'extérieur, le peuple d'Easianor l'attend pour qu'elle prenne la parole. Je pose ma main sur son épaule, elle sursaute légèrement puis se tourne vers moi.

— Que dois-je dire à un peuple qui a déjà tout perdu ? Dois-je leur dire que je pars à la guerre et que je ne reviendrai probablement pas ? Dois-je leur dire que je laisse le trône vacant, sans personne pour veiller sur eux ?

Elle secoue la tête puis baisse ses yeux bruns vers le sol.

— Toute ma vie je me suis efforcée d'être une bonne souveraine et à la toute fin... je doute de mes capacités à rassurer mon peuple.

— Vous agissez comme n'importe quel autre roi ou reine agirait. Vous défendez votre Royaume.

— Mais à la fois, j'abandonne indirectement mon peuple. Imagine que nous passions le portail qu'ouvriront les Mages vers Atya, imagine que nous ne trouvions là-bas, que les vestiges du Royaume, sans Emilius pour se battre contre nous. Imagine... qu'Emilius en profite pour détruire le dernier Royaume.  Ce pourrait être un piège.

— On peut imaginer tellement de choses sans jamais savoir si elles se réaliseront ou non. Il vaut mieux essayer, plutôt que perdre et le laisser venir à nous.

Elle hoche la tête, pose sa main sur la mienne, relève le menton puis prend une grande inspiration. Ensuite, elle passe les portes et affronte son peuple, affamé, fatigué, effrayé. Pour eux, il faut se battre et pour tous les autres, ceux qui ont disparu dans les Ténèbres, ceux qui vivent sous terre pour espérer revoir un jour la lumière du soleil.

Le silence monotone à l'extérieur est palpable, des toux, les pleurs des plus petits résonnent et le brise à moitié mais on peut sentir l'effroi et le désespoir d'Easianor.

— Peuple d'Easianor, je me montre enfin à vous, après tant de jours passés calfeutrée dans mon palais, pendant que vous... vous vous démeniez pour reconstruire ce qui vous a été arraché. J'ai failli à ma tâche de reine et protectrice une fois, quand l'ennemi nous envahissait. Aujourd'hui, je tenais à m'exprimer devant vous, afin de vous livrer mes plus sincères excuses et vous informer que je partirai, d'ici quelques minutes, loin d'Easianor.

Quelques murmures retentissent.

— Je sais qu'il n'est pas digne d'une souveraine que de vous laisser en pâtir, vous laisser à l'abandon mais je compte surtout sauver cette Couronne qui jusqu'alors, n'a pas failli aux attaques des Ténèbres. Je me battrai pour vous, dans l'espoir de vous octroyer la liberté et la sécurité que vous méritez. Il était de mon devoir que de faire un choix, choisir de rester auprès de vous et de le laisser envahir Easianor, ou partir à sa rencontre pour l'empêcher de fouler ces terres une nouvelle fois. Mon choix est fait. Votre liberté prochaine vous sera offerte par le sacrifice de multiples soldats qui, j'espère, verront leur âme honorée des siècles durant.

Après ces quelques mots, Kira souhaite tourner le dos à son peuple quand elle se fige. C'est comme si elle était soudainement incapable de bouger, de dire un mot de plus, de respirer même. Je peux voir, malgré le fait qu'elle ne me fasse pas face, ses bras trembler, ses doigts se rétracter. Le silence qui pèse sur l'assemblée est brutal, inquiétant avant que le grondement de l'orage ne vienne bouleverser l'espoir d'Easianor.

— Non... Kira !

Je souhaite m'avancer, m'interposer, lui venir en aide lorsqu'on saisit brusquement ma tresse. Je suis tirée en arrière, je pousse un cri de surprise qui bientôt, est camouflé par les hurlements terrifiants d'Easianor. Mon cœur palpite, l'arrière de mon crâne heurte le mur, fait siffler mes oreilles. Je grimace, me mords la langue puis fait face à Ronan qui me sourit de toutes ses dents, ses yeux gris grands ouverts, prouvant sa folie.

— Lâche-moi ! grondé-je.

Je tente d'attraper le manche de mon épée rangée soigneusement dans son fourreau mais Ronan, de sa main, me l'arrache des hanches, avec l'aide de sa magie. Le fourreau glisse sur la pierre et sa main appuie contre ma trachée. Il approche son visage du mien, alors que l'agonie fait rage à l'extérieur. La clarté du soleil disparaît, je peux voir les ombres sombres venir dépeindre la lumière du palais. Je suis désarmée, prise au dépourvu.

— Écoute, me souffle Ronan en essuyant de son autre main, la larme qui roule sur ma joue. Écoute la chant de ton échec.

Je secoue la tête, le souffle coupée, le cœur palpitant contre ma poitrine. Gabriel, où est Gabriel ? Et tous les autres ? J'espère qu'ils ont eu le temps de riposter. Je serre les mâchoires, balance mon genou contre ses parties intimes, Ronan me lâche, pousse un juron et recule d'un pas. Je lève mon pied pour l'abattre contre son visage puis me précipite vers le chandelier posé sur le meuble en bois sculpté. Je me retourne et frappe son bras avec avant qu'il n'ait le temps d'user de sa magie contre moi. L'un de ses doigts craquent, ce qui lui arrache un grognement de douleur, son nez saigne, ses cheveux ne sont plus plaqués en arrière et le voilà qui me fixe comme un loup fixe sa proie.

Je respire fort, désemparée. Le stress, l'anxiété, la tristesse, la colère... je suis envahie par un flot d'émotions mais je ne dois pas me laisser guider par celles-ci. Je cours en direction de mon épée, me jette sur le sol pour la rattraper alors que Ronan balance son bras pour la faire glisser plus loin dans la pièce. Fort heureusement, j'attrape de justesse la sangle du fourreau puis m'empare du manche. Avec la force de la magie de Ronan, le fourreau part, mais l'épée reste dans ma main. Je me redresse bien rapidement, sous l'effet de l'adrénaline et tente de lui asséner un coup d'épée qu'il esquive parfaitement. Enfin, ma lame vient déchirer son manteau de cuir au niveau de son torse. Il baisse la tête pour observer les dégâts, du sang s'en échappe. Il lui suffit de relever la tête pour que je sois expulsée quelques mètres plus loin. Mon dos cogne contre le mur et je m'affale sur le sol, la respiration coupée une fraction de seconde.

Malgré tout, j'essaie de récupérer mon arme mais un amas de Ténèbres, noir et visqueux plaque mon bras en arrière, contre le mur et déboite mon épaule. Je jette ma tête en arrière tout en poussant un hurlement de douleur. Je sens ensuite les ténèbres grignoter mes chairs, tenter de se frayer un passage dans mon corps pour m'empoisonner.

Lorsque je redresse la tête, j'aperçois Joris rejoindre Ronan. Des veines noires recouvrent partiellement son visage et les deux hommes se donnent un baiser avant de s'avancer vers moi.

— J-Joris... balbutié-je torturée par la douleur de mon épaule. Joris, nous sommes amis.

— J'ai enfin un autre rôle que celui du Non-Mage faible et invisible. Ma soeur m'a toujours surprotégé, jusqu'à m'empêcher de rencontrer l'homme avec qui j'échangeais des lettres.

Je regarde Ronan, puis  Joris. Je comprends alors toute l'histoire. Joris m'en avait parlé, lors de notre rencontre, de cette personne avec qui il correspondait. Cette personne qui l'avait poussé à quitter la vallée des Non-Mages avant qu'il ne se retrouve prisonnier du père de son correspondant. Leur histoire est vouée à l'échec, Ronan est aveuglé par le pouvoir et Joris est tout simplement manipulé.

— Pitié, Joris, tu me fais mal ! m'exclamé-je.

La douleur que me procure les ténèbres est insoutenable, sans compter que mon épaule n'est plus dans son axe et que mon bras reste cloué au mur, dévoré par un sombre pouvoir offert à un Non-Mage qui n'a pas idée du mal qu'il est en train de causer.

Je le vois qui semble soudainement hésiter, sa main est tendue vers moi, son pouvoir me consume. Mais il n'est pas comme Ronan, il n'est pas mauvais, il est simplement perdu.

— Joris, tu ne peux pas te battre avec eux, reprends-je, Emilius a tué ta sœur !

Son visage se décompose instantanément et il laisse retomber son bras le long de son corps. Aussitôt, la pression des ténèbres disparaît, je soutiens mon épaule en me mordant la lèvre. J'ai mal, je penche plus à gauche qu'à droite et garde mon bras plié contre ma poitrine. Malgré la douleur, je me relève difficilement, pour leur faire face. Joris secoue la tête, les larmes au bord des yeux.

— Non... non... c'est impossible, c'est...

— Aïda est morte, ça c'est une réalité. Mais tout ce qu'ils t'ont promis, eux, c'était faux. Je t'en prie...

— Ca suffit, tais-toi ! gronde Ronan.

Il balance son bras, alors je suis poussée contre le mur sur ma gauche, là où mon épaule frappe contre à nouveau. Je crie de douleur, me penche en avant alors que Ronan tente de raisonner Joris et récupère le poignard que je gardais dans ma botte. Fébrile, branlante, je tente de viser puis le lance en direction du Mage.

— Joris, il ne faut pas que tu écoutes cette traitresse, après tout ce qu'on s'est dit, tu sais très bien que je ferai tout pour toi, et...

Il sent mon attaque, se tait, se redresse puis d'un geste de la main, dévie le poignard avant qu'il ne l'atteigne. Malheureusement pour lui, et dans la précipitation, il le dirige sur Joris et la lame argentée vient se loger dans son cou. Ce dernier recule de quelques pas, la bouche entrouverte, du sang coule de son nez et tâche ses lèvres d'un rouge pourpre. Ronan ouvre de grands yeux, le rattrape avant qu'il ne tombe à terre puis pose ses deux genoux au sol.

— Par tous les Dieux... Joris... marmonne Ronan.

Je ne peux empêcher ce lourd sentiment de culpabilité de prendre place au creux de mon estomac. Je souhaite m'avancer mais Ronan me fusille du regard alors que Joris rend son dernier souffle dans ses bras.

— N'approche pas ! hurle-t-il. Tu l'as tué !

Les murs tremblent sous sa colère, de la poussière tombe du plafond, là où le lustre se balance.

— Je suis désolée... soufflé-je.

Je recule puis leur tourne le dos pour sortir, là où se trouvait Kira. Les éclairs fendent le ciel, les nuages sombres cachent la lumière. Il fait noir, froid, et le chaos s'est installé. En contrebas, il est possible de voir des Wealers se battre pour dévorer les membres arrachés de pauvres innocents, des chaumières brûlent, les dalles sont recouvertes de sang, des restes humains gisent ici et là et Kira, la reine de ce Royaume en décomposition, est affalée sur le sol, inerte.

Je détourne mon regard du chaos pour m'agenouiller près d'elle. Je prends sur moi, ignore la douleur et la retourne sur le dos. Ses yeux sont fixes, un voile grisâtre sur ses pupilles autrefois vives.

— Réveillez-vous ! Easianor a besoin de sa reine !

J'approche mon oreille de ses lèvres entrouverte, je sens un souffle, son cœur bat toujours mais elle est accablée par les ténèbres, prisonnière d'Emilius. Je saisis sa main dans la mienne, ferme les yeux, me concentre sur elle, sur la personne qu'elle est, sur ses ambitions, sa bonté, sa persévérance.

Lorsque je rouvre les yeux, je suis dans le vide, et Kira est là elle aussi, dans la brume épaisse des Ténèbres. Elle se tient dos à moi, passe ses doigts dans ses cheveux bruns et épais. Je m'avance doucement, le sol semble inexistant, comme si je flottais, avec elle, dans le néant d'Emilius.

— Kira ? appelé-je.

Ma voix résonne en de milliers d'échos.

— Vas-t-en Selene, répond-elle sans daigner se retourner. Vas-t-en, ou tu resteras coincée ici, toi aussi. Tu seras empoisonnée par les Ténèbres, prisonnière de leur force, de leur rage...

— Il faut que je vous ramène.

— Il faut qu'Emilius meurt...

Je pose ma main sur son épaule, ici, je n'ai plus mal nulle part, comme si mes blessures n'avaient jamais existé. Elle se retourne brusquement vers moi, ses pupilles vides, ses iris grisées.

— Sauve-les... sauve-les tous ! Pars ! Pars ! Vas-t-en ! Sauve-les ! Pitié... pitié...

Il suffit que je cligne des paupières, pour revenir à moi, sur le champ de bataille, la main froide de la reine dans la mienne et son visage inerte devant moi.

— J'essaierai... marmonné-je.

Aujourd'hui, nous n'avons plus aucune échappatoire.
Aujourd'hui, nous livrerons notre dernière bataille.

TENEBRIS LUMINA : L'Arbre de Vie [INTÉGRALE]Where stories live. Discover now