TENEBRIS LUMINA : L'Arbre de Vie [INTÉGRALE]

20 - Choisir ses alliés

Je laisse glisser mes doigts sur les draps de soie du lit que la reine d'Easianor m'a gentiment fait préparer. Je prends l'une des roses du vase posé sur le confiturier et la renifle longuement, en découle un large sourire qui étire mes lèvres. Toutes ces odeurs, toutes ces sensations oubliées en trois cents ans... Voilà qu'aujourd'hui, je vois, je touche et je sens tout ce pour quoi je vivais auparavant. Les fleurs, d'autant plus, moi qui adorait m'occuper des jardins du palais d'Atya, j'en savoure chaque senteur.

Mes yeux se posent un instant sur l'extérieur éclairé par les bougies du peuple. En pleine nuit, le Royaume semble moins encombré par les débris que lorsque le soleil nous montre l'horreur des actes d'Emilius.

— Votre Grâce, votre bain est prêt, déclare une servante qui a passé le seuil de la porte ouverte.

Je lui jette un regard et lui adresse un sourire courtois.

— Milles mercis, gente dame.

Ses joues d'empourprent, elle me salue comme on salue un roi puis quitte la chambre. J'inspire profondément, observe un instant les pantalons que je porte, si anciens, si vieux... ils sont encore tâchés du sang de mon peuple, comme si je m'étais figé dans un souvenir.

Je suis un fantôme évadé de ma prison, pour peu de temps, je le crains.

Je traverse le corridor décoré avec goût, des fleurs séchées ici et là, des peintures choisies avec parcimonie, une tapisserie posée avec soins. J'aime ce que cette reine a fait de sa demeure et je ne doute pas une seule seconde qu'elle aime son peuple autant que j'ai aimé le mien. Elle me ressemble, dans sa détermination et son goût pour la victoire et la reconnaissance.

Je pousse la porte donnant sur la salle consacrée aux bains, une étuve semblant profonde est approvisionnée en eau, celle-ci me semble tiède et quelques pétales de fleurs flottent à sa surface. Je me dévêtis sans attendre, avec hâte de sentir après autant de temps, l'eau sur ma peau, et cette sensation de propreté et de soin que j'aimais tant.

J'entre sans une once d'hésitation dans le bain, y plonge mon corps et ferme les yeux un instant, reniflant les vapeurs fleuries qui en émanent. Je retiens mon souffle, me laisse couler, puis remonte à la surface aussitôt tout en plaquant mes cheveux en arrière. Je souris légèrement lorsque l'une mes oreilles se bouche, à cause de l'eau qui y reste incrustée. Enfin, je prends appui sur le rebord, mon dos contre celui-ci et mes bras de part et d'autres pour me tenir. Je laisse tomber ma tête en arrière, ferme les yeux, profite de chaque seconde.

Je n'ai que très peu de temps à vivre, il me faut en profiter le plus possible. 

Je rouvre un œil quand j'entends la porte grincer sur ses gonds. L'endroit est plutôt vide à cette heure-ci et décoré de plantes vertes parfaitement entretenues. Un jeune homme s'avance et me remarquant, semble aussitôt gêné.