1 - Gabriel

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Je me souviens encore du petit garçon que j'étais, recroquevillé sous la voiture tirée par deux chevaux morts, le ventre qui trempait dans la boue de ce chemin terreux et creusé par le passage. Mes mains enfoncées dans cette même boue à laquelle se mêlait du sang. Leur sang.

Je me souviens encore des larmes qui ruisselaient sur mes petites joues innocentes, de ce sentiment angoissant, celui d'être trouvé et finir comme mon père et ma mère. De ma place, aussi silencieux qu'une petite souris, je pouvais apercevoir leurs bottes trempées et encrassées s'agiter autour de la voiture, j'entendais leurs voix nasillardes, leurs grossièretés, leur empathie inexistante.

— Capitaine ! J'en tiens une belle prise !

Après cette exclamation, j'ai le souvenir de deux grosses mains rugueuses qui saisirent mes chevilles pour m'extirper de ma cachette. Dans cette boue, impossible de s'accrocher à quoi que ce soit. Je pleurais, me débattais, criais, gesticulais, alors que la brute au dessus de moi agitait son poignard pour me transpercer la poitrine.

— Angus, arrêtes ! avait ordonné une lourde voix.

Cet homme que je voyais grand, sombre et terrifiant avait saisi le col de ma veste crasseuse pour me redresser. Sur la pointe des pieds, une chaussure en moins, j'affrontais le regard perçant de cet individu sans cœur. Une grosse barbe recouvrait son visage parsemé de cicatrice, ses lèvres fines en étaient presque invisibles. Une cicatrice traversait son œil, un œil blanc comme neige et son crâne était rasé d'un côté, pour qu'un large tatouage au fer rouge y soit visible. Il avait posé sa sale main sur mon petit visage, m'avait pincé les joues puis penché la tête d'un côté puis de l'autre pour m'observer.

— Celui-ci est différent, avait-il maugréé dans sa barbe. On le garde.

Il m'avait empoigné comme un sac à patates, sur son épaule, alors que je criais, pleurais et appelais mes parents déjà morts.

— Allez, on décampe !


•••



— Gabriel, ouvres cette porte ! crie quelqu'un.

J'ouvre les yeux, j'entends marteler à la porte. On frappe, encore et encore et moi, trop enivré par l'alcool que j'ai bu hier soir, je n'ai rien entendu jusqu'à maintenant. La tête enfoncée dans mon coussin, je remarque que du côté gauche du lit se trouve une sublime jeune femme, entièrement nue, endormie paisiblement. Ses petites oreilles pointues ne sont pas sans rappeler sa nature magique. Et seuls les Dieux savent à quel point j'aime les femmes magiques, car au lit, elles le sont encore plus.

— Gabriel ! Nom d'un Gobelin Égaré, ouvres cette porte, on a du travail !

Je m'assois aussitôt sur le lit. Du travail ? Intéressant. Je me disais bien que ma besace commençait à être vide. J'enfile aussitôt mes pantalons restés sur le sol, mes chaussettes en laines trouées, mes bottes. Je sens une douce main fraîche effleurer mon dos.

— Mmmh... Martin ? marmonne la jeune femme.

Je lui jette un regard par dessus mon épaule alors qu'elle n'ouvre qu'un oeil à la pupille violacée par son authenticité.

— En réalité, je ne m'appelle pas Martin, déclaré-je tout en me levant.

J'enfile mon pull, cherche mon manteau dans cette toute petite chambre d'auberge. On en a mis un boucan, dans une si petite pièce. Je plains les voisins et leur sommeil.

— Où vas-tu ?

Elle s'assoit sur le lit, les draps tirés pour cacher la magnifique sculpture qu'est son corps.

TENEBRIS LUMINA : L'Arbre de Vie [INTÉGRALE]Where stories live. Discover now