22 - Humanité éteinte

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Il n'y a rien de meilleur que de ressentir la pleine puissance, absolue, indestructible

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Il n'y a rien de meilleur que de ressentir la pleine puissance, absolue, indestructible. Tous ces éclairs qui transpercent mon corps, tous ces Ténèbres qui s'en libèrent, toute cette rage qui se déverse. J'en oublie le reste, le monde, les gens, les innocents, les animaux et toute la soi-disant beauté qu'il renferme. Je me fiche de tout cela. Je me fiche du monde tel qu'il est aujourd'hui ou tel qu'il était hier. Ce qui m'importe, c'est demain.

Je suis libéré d'une prison de torture, j'ai été entrelacé dans des racines et des ronces durant trois cents longues années, puis enfermé dans l'esprit tourmenté d'un Criminel pendant trop longtemps. Dorénavant, je suis libre de faire ce que bon me chante et terminer ce que j'avais commencé avec qu'Adriel ne m'arrête.

Le sol tremble sous mes pieds alors que mes bras sont de parts et d'autres de mon corps, la terre se fissure, une branche de l'Arbre craque puis tombe au sol, de la brume épaisse et sombre s'échappe des crevasses qui se forment dans la terre et enfin, les Wealers en sont libérés, le soleil disparaît, la lumière est enveloppée de Ténèbres, d'obscurité, de désespoir.

— Emilius ! entends-je dans mon dos.

Je viens de chasser un Mage, et voilà qu'on me dérange à nouveau. Je baisse les bras et me retourne. Les créatures qui sont sortis de Terre restent immobiles si je ne leur ordonne pas d'attaquer, de dévorer et détruire tout ce qui les entoure. Une Elfe brune se tient devant moi, je penche la tête sur le côté, plisse les paupières. A travers la brume se dessine son visage parfaitement symétrique, ses yeux gris et ses oreilles en pointe sous l'épaisseur de sa chevelure ébène.

— Te voilà enfin face à moi... Toi qui a tant aidé notre peuple à survivre...

Notre ? répété-je.

— Emilius, tu ne me reconnais pas ?

— Je n'ai pas envie de vous reconnaître.

Elle pose sa main sur sa poitrine.

— C'est moi, ta mère.

— Je me fiche bien d'avoir une famille. Allez vous en.

Je commence à lui tourner le dos, prêt à alimenter de Ténèbres mes monstres quand elle saisit mon bras. Je me retourne, prêt à riposter mais mon bras demeure immobile sous la magie du Mage Noir qui se tient quelques mètres plus loin. Ses cheveux blancs virevoltent sous le vent et ses yeux me toisent avec défi. Emilia reste accrochée à mon bras, les yeux grands ouverts, le souffle coupé.

— Ne persécutez pas vos alliés, grogne le Mage.

— Faites cesser votre magie ou je vous réduis en cendres.

— Je viens de vous défendre de mon propre père ! Je vous ai prouvé ma bonne foi, alors laisser Emilia sauve.

Je croise le regard de ma mère, le Mage relâche sa magie et enfin, je la laisse s'écarter de moi, visiblement choquée par mon comportement. Mais comment dois-je réagir face à la femme qui m'a abandonné à un père tyrannique ? Je la vois qui joint ses mains l'une à l'autre, puis se laisse tomber à genoux devant moi.

— Je t'en conjure, mon fils, pardonne mes erreurs... Je ne voyais pas ta valeur, ni ta force mais tu es le seul espoir de liberté pour les Elfes. Cette guerre a trop duré et les Ténèbres nous reviennent. Tu seras notre guide, notre sauveur à tous, l'espoir unique de notre peuple.

— Tu as eu peur de moi quand je n'étais qu'un enfant et aujourd'hui, tu ploies le genou devant moi ? Allons... où est passé la grâce des Elfes ? Où est passé leur persévérance, leur gloire au combat ? Ai-je réellement laissé Eyos sombré dans la faiblesse ?

— Nous avons tout fait pour vous ramener, intervient le Mage Noir.

Je me tourne vers lui et relève le menton.

— J'ai usé de magie noire pour vous libérer, pour que les Ténèbres tracent leur chemin dans la Lumière. Les Elfes ont toujours la rage de vaincre, et vous, vous serez leur source d'espoir.

— Ronan... fais attention, intervient un Non-Mage derrière lui.

Je tends la main mais ledit Ronan se place devant lui, les bras écartés.

— Non ! m'interrompt-il aussitôt. Il est de notre côté.

— C'est un Non-Mage, il ne sert à rien.

— C'est un allié.

— Dans son état actuel, c'est un boulet dont je vais me débarrasser.

Les Ténèbres forment un cylindre au creux de ma paume.

— Non, Emilius ! Il faut que vous appreniez à faire confiance à vos alliés.

— Je n'ai besoin de personne.

— Tu n'as aucune humanité à cause du sortilège que tu t'es infligé, déclare Emilia, mais je t'en prie, purge au plus profond de toi-même pour retrouver un semblant d'empathie, pour nous. Nous avons décimé un Ordre tout entier, nous avons libéré ta puissance sur les Trois Couronnes, le chemin est tout tracé et la victoire à portée de mains. Bientôt... ce que tu as toujours souhaité se réalisera : la Renaissance et l'éradication des Mages.

— Alors Ronan doit mourir, grogné-je.

— Je suis un Elfe autant qu'un Mage ! Comme vous, Emilius, se défend Ronan. Mais je hais leur espèce, autant que vous la haïssez.

Il fait un pas en avant, ne protège plus son Non-Mage inutile. Il n'y a que le vieil Elfe qui demeure en retrait, il est le seul qui me plaît, le seul qui ne s'oppose pas à moi et qui ne tente pas de me radoucir.

— Nous nous battrons à vos côtés et ce combat commencera d'ici peu. Mon père a traversé un Passage pour aller chercher du renfort. Il reviendra, avec Adriel De Vernillac, c'est une certitude.

— Et je l'attends de pieds fermes, rétorqué-je en serrant les poings.

Depuis trois cents ans, je n'attends plus qu'une chose : me venger pour ce qu'Adriel m'a fait subir. Son amour était impur et sa prison, une torture. Il paiera pour ce qu'il m'a fait.

— Très bien, reprends-je. Vous serez mes alliés et vous me défendrez jusqu'à ce que la dernière Couronne périsse sous les Ténèbres. Néanmoins, un Non-Mage est inefficace sans pouvoirs, je vais y remédier.

Je tends la main vers le Non-Mage, ce dernier se raidit et est attiré à moi, comme un aimant. Enfin, ma paume entre en contact avec son front, puis sa tête part en arrière, il est pris de soubresauts, les Ténèbres sortent du sol, s'enroulent autour de ses pieds, ses jambes, son torse, ses bras puis entre par ses narines, ses yeux, ses oreilles dans un sinistre gargouillis.

Lorsque je cesse, son corps retombe mollement sur le sol et Ronan se précipite vers lui, agenouillé dans l'herbe sèche. Je penche la tête sur le côté, tout en l'observant secouer son ami qui bientôt, reviendra à lui, en tant que Dévoreur et plus en tant que Non-Mage. Ils sont si faibles que je les écrase comme des mouches. 

Je vois, à leur regard, qu'il s'attendait à quelqu'un de plus ouvert et sensible. Je ne sais pas ce qu'ils espéraient de moi ou quelle image ils avaient de moi avant que je ne revienne, mais je ne suis certainement pas Emilius De Bellever, l'être que les légendes racontaient. Je doute que le monstre que je suis aujourd'hui, leur plaise autant. 

S'ils veulent se battre pour moi, qu'ils le fassent, mais jamais plus qu'ils tentent de me donner une raison de ressentir quoi que ce soit. J'ai fait le choix, il y a bien longtemps, d'éteindre mon humanité et rien ne la ramènera jamais. 

Pas même Adriel, ni ma mère. 

Je détruirai ce monde, comme ils m'ont tous détruit, alors que je ressentais encore la vie. 

TENEBRIS LUMINA : L'Arbre de Vie [INTÉGRALE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant