35 - Un douloureux réveil

680 97 21
                                    

Selene

°°°

— Tu vois, tu tiens bien les tétines et tu presses comme ça, sans trop appuyer pour ne pas faire mal à la vache et le lait sort tout seul.

Mon père me montrait comment traire une vache pour la première fois, j'étais âgée de neuf ans. Après l'avoir observé maintes et maintes fois, je voulais moi aussi, être utile à la ferme. Alors, assise sur mon petit tabouret, je pressais les tétines de notre vache pour en faire sortir du lait et remplir notre seau. Je savais que mon père faisait le meilleur lait et le meilleur fromage de toute la vallée. C'était sa plus grosse source d'argent et c'est pour cela aussi que notre seule et unique vache était si dorlotée. Nous ne voulions pas qu'elle tombe malade ou qu'elle ne produise plus suffisamment de lait. Elle avait donc droit à un grand enclos, une petite cabane pour s'abriter de la pluie ou du froid et une nourriture de qualité.

— C'est super, Selene, tu es née pour être fermière.

Je souriais avec mes dents de lait manquantes. J'étais heureuse de rendre mon père fier, c'était tout ce que je souhaitais. Alors qu'il était penché en avant, je remarquai ses mains tremblantes qu'il essayait de dissimuler. Son sourire disparut bien vite lorsqu'il se rendit compte que je ne trayais plus la vache mais que je le regardais lui, l'air inquiète.

Ici, dans la Vallée des Non-Mages, nous savions très bien ce que cela signifiait, même lorsque nous n'étions que des enfants. Les tremblements étaient les premiers symptômes de la maladie. Ce virus tueur qui infectait principalement les humains. Sans magie, il était presque impossible d'y survivre.

— Finis la traite, Selene, je vais me reposer.

J'avais simplement hoché la tête. A l'époque, j'étais incapable de me rebeller contre lui. Cependant au fil des années, mon père tomba gravement malade. Je l'ai vu chuter des centaines de fois, j'ai dû panser les blessures que cela causait, j'ai dû lui préparer à manger, le matin, le midi, le soir alors que j'avais pour projet de visiter Atya tout entier  mais au lieu de cela, j'ai fini à la ferme, à m'occuper de mon père malade et de tout le reste. Au fond, cette vie me convenait. Je n'avais jamais le temps de m'ennuyer mais je ne nouais pas de liens avec les autres.

Combien de fois mon père et moi nous sommes pris la tête parce qu'il refusait de prendre les médicaments que je me démenais à acheter pour ralentir la progression du virus ? Il voulait mourir. Il voulait m'abandonner.

Alors qu'il venait de frapper dans le plateau sur lequel étaient posés un verre d'eau et les médicaments qu'il lui fallait avaler, je fulminais tout en ramassant les débris sur le sol et en essuyant ses bêtises.

— Tu n'es qu'un lâche ! Je me bats pour toi, et toi... que fais-tu pour moi ?!

— Je suis fatigué, Selene... avait-il simplement soufflé.

Je m'étais relevée en jetant le chiffon sur mon épaule, les morceaux de verre dans la main.

— Moi aussi, je suis fatiguée ! Tout le monde est fatigué !

— Alors laisses-moi simplement partir...

— C'est égoïste ce que tu dis là ! Tu me laisserais seule ?

Tu es une jeune femme maintenant, tu t'occupes de la ferme comme personne ne l'a jamais fait, tu es une bonne marchande. Tu sais très bien te débrouiller seule.

Peut-être que je n'ai pas envie d'être seule. Mais ça, toi tu t'en fiches. Tu ne penses qu'à maman et tu es prêt à me laisser derrière toi.

TENEBRIS LUMINA : L'Arbre de Vie [INTÉGRALE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant