65 - Trio

5 0 0
                                    

Andromède

Et puis c'était tout. Rien n'avait changé après cela entre Ophélia et moi. C'était comme d'habitude, doux, drôle, exaltant, épanouissant, plaisant. On était toujours meilleures amies mais on s'aimait aussi. On s'autorisait parfois des baisers suivis de ricanements heureux. Elle me glissait des « je t'aime » et je la prenais dans mes bras. Rien n'était grave. Ophélia a le don de rendre toutes les choses légères, contrairement à moi. Et ça me faisait un bien fou. Tout cela était important, oui, mais pas grave. Elle comprenait en plus totalement mes silences, j'avais l'impression qu'elle était la seule à lire aussi bien mes yeux.

Le poids qui avait toujours pesé dans ma poitrine ne me semblait plus aussi lourd. Même seule avec moi-même, je ne me sentais plus si seule. Je me disais que j'en avais fait du chemin, et que quoiqu'il arrive je ne le rebrousserai pas. Je ne redeviendrai pas la Andromède que j'étais il y a de ça quelques mois.

On avait quand même du en discuter avec Ophélia, pour mettre les choses au clair. Le dirait-on à Icare et Tom ? Ils étaient déjà bien plus qu'au courant. À nos parents ? Aux autres ? Étions-nous ensemble ? Aurait-on le droit de nous tenir la main au parc ? Que ferait-elle de Sam ?

On avait rempli ça comme de la paperasse survolée par nos sourires amoureux. Bien sûr qu'on était ensemble, qu'on se tiendrait la main, et qu'on ne se cacherait à personne. Pour ce qui est de Sam, elle m'avait confiée que cela lui faisait un petit pincement au cœur, car il ne voudrait sûrement plus lui parler... Elle aurait voulu être amie avec lui, mais bon, tant pis. Elle l'aimait bien mais elle avait abandonné avec lui depuis qu'elle avait compris qu'il ne pourrait jamais être... moi. Penser ça me tourneboulait. Comment était-ce seulement possible qu'Ophélia ait des sentiments si forts à mon égard ? Ophélia, la belle Ophélia, que je regardais de loin sans penser à l'effleurer. Je ne comprenais pas comment on en était arrivé là, comment la vie avait pu me faire un si grand cadeau. Mais j'étais déterminée à le conserver et à y prendre soin le plus possible. Comme elle me l'avait conjuré, j'allais tout faire pour lui montrer que ce n'était pas si dur d'aimer. Je l'avais aimée dès qu'elle était entrée dans mon champ de vision, et jusqu'à maintenant. Tout présageait un grand soleil.

_____

Icare

J'avoue que j'ai eu du mal. J'étais heureux pour mes amies, mais quand même un peu triste pour moi. Le bonheur, l'amour, tout ça ne semblait arriver qu'aux autres. J'avais l'impression d'errer et de ne rien comprendre à la vie ni à ce que je fichais sur cette terre. Il m'a fallu un petit temps d'adaptation, pour accepter le fait qu'elles s'aimaient différemment. Que je devais leur donner du temps sans moi, de l'espace. C'était pas facile, mais je n'avais aucune envie de recommencer le schéma précédent qui nous avait tant éloignés il y avait de ça quelques semaines. Puis, j'ai fini par m'habituer. Par exploser de joie à chaque fois que je les voyais sourire, par trouver de nouvelles manières de les embêter. Crier « BEURK » à chaque fois qu'elles s'embrassaient pour se dire au revoir, me mettre entre elles deux lorsque l'on se baladait ensemble et faire mine de tenir leur main... Elles râlaient pour la forme mais ça les faisait rire autant que moi. Parce que j'avais fini par trouver ma place parmi elles. Il y avait leur amour certes, mais je m'étais vite rendu compte que ça n'enlevait pas notre amitié. Et j'en étais heureux. Je ne devais pas attendre les autres pour vivre.

Une après-midi, nous étions allés manger chez Ophélia un mercredi après les cours, comme nous le faisions parfois tous les trois. Une fois le repas terminé, notre hôte nous hurla dessus :

- STOP !

- J'ai rien fait Oph, je te jure, c'est pas moi qui ai bloqué la chasse d'eau des toilettes ! Paniquai-je alors qu'Ophélia nous regardait les yeux écarquillés.

- Je dis pas ça pour ça Ric, soupira-t-elle de désespoir. Je viens de me rendre compte de quelque chose... Regardez-vous.

- Euh... Ouais, c'est moi Icare, avec ta meuf dans une cuisine... T'es jalouse ?

- Toujours pas.

- C'est exactement comme la première fois, sourit Andromède après un moment. Nous trois dans ta cuisine.

Cette remarque me fit alors fondre. Nous nous regardions tous tour à tour avec un sourire que l'on ne pouvait réprimer. La première fois qu'on s'était retrouvés tous les trois, on avait directement su qu'il se passait quelque chose de spécial. Et des mois après, nous étions toujours là. Seulement il n'y avait pas une ribambelle de gens dans la pièce d'à côté. Nous étions juste nous.

- J'étais vraiment perdue avant de vous rencontrer, déclara Andromède.

- J'étais vraiment pas moi-même avant de vous rencontrer, rajouta Ophélia en un léger sourire.

- Moi avant de vous rencontrer, j'écoutais le Trio n°2 pour piano et cordes de Schubert en me disant que ma vie était nulle, terminai-je.

- Je ne connais pas, tu pourrais nous faire écouter ?

Touché par l'attention d'Ophélia envers mes paroles, je lançai la musique sur mon téléphone.

- C'est drôle, que ce soit un trio, comme nous.

- Vous seriez les cordes et moi le piano ?

- On pourrait voir ça comme ça. Mais j'espère que t'as pas vraiment bloqué ma chasse d'eau.

_____

Ophélia

Ce qui se passait était complètement dingue. Je sortais avec une fille dont j'étais amoureuse. Moi qui avais toujours eu si peur. De mon cœur baladeur, mes sentiments vagabonds. Cela n'effrayait pas Andromède. Elle se disait chanceuse, d'avoir pu me retenir. J'espérais qu'il n'y aurait pas de problèmes avec mon cœur d'artichaut, mais je me disais aussi que je ne pourrais pas aimer quelqu'un aussi fort qu'elle. Je me sentais mieux avec elle qu'avec quiconque. Alors on était à l'abri, et on profitait, simplement tant qu'on le pouvait. Dans le présent on s'aimait et c'est tout ce qui comptait. Le reste on verrait plus tard.

Icare m'avait enfin raconté d'où venait ses baragouinages sur Ophélia noyée, qu'il m'avait lancé en pleine face il y a quelques mois, qui semblaient des années.

« C'est dans Hamlet en fait. Le mec tue le daron de sa meuf quand même, c'est chaud. Et ouais sa meuf c'est Ophélia. Ils vont se marier ou un truc comme ça, et elle meurt de folie, noyée dans la rivière avec sa longue robe emmêlée de nénuphars. Elle s'est suicidée quoi. Désolé c'est vraiment pas gai. Mais toi t'es l'inverse, c'est toi la tueuse, et le seul moment où tu auras la tête sous l'eau ça sera dans ton bain ».

Il avait fait des gestes de ninjas, allez savoir pourquoi, et cette histoire m'avait fait marrer. Ce soir là quand ils étaient partis, j'avais pris un bain et m'étais sentie comme la reine du monde.

CollisionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant