60 - Montre-moi

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Ophélia


C'était vraiment pas facile à avouer. Quand Andromède m'avait révélé le sujet qu'elle voulait aborder, j'en avais d'abord voulu à sa mère. Ce n'était pas à moi de faire ça. Puis, après une courte réflexion, je me suis dit que peut-être que la mère d'Andromède avait eu besoin de se confier, qu'elle n'avait pu le dire à personne pendant de si longues années, et qu'elle avait vu en moi la personne adéquate. Autour d'un thé qu'elle m'avait offert et une discussion qui avait très vite dérapé sur une vie passée. Elle n'avait jamais pu le révéler à sa fille car ça leur aurait fait à toutes les deux trop de mal, et Andromède n'avait vraiment pas besoin de ça. Je crois aussi que sa mère sentait que j'avais un lien particulier avec Andromède.

J'avais donc réussi à réunir tout mon courage devant Andromède. Mais je n'arrivais plus du tout à lire dans ses yeux, alors qu'ils semblaient eux tout savoir de mon âme et de mes pensées. Je me retins de frissonner. J'avais peur d'abîmer cet être merveilleux qui semblait flotter devant moi. J'avais peur d'éteindre une des petites étoiles qui logeaient dans ses yeux. Personne ne verrait la différence puisqu'il devait y en avoir des milliards. Personne, mais moi si. Chacune de ses étincelles valaient le monde entier pour moi et jamais je ne me remettrai du moindre vide noir se créant.

Pendant toutes mes réflexions, elle n'avait pas bougé d'un poil. La seule différence était le creux de ses joues qui s'était approfondi. J'en devinais sa mâchoire serrant l'intérieur de ses joues.

Je levai doucement la main, la laissa en suspension quelques secondes à une dizaines de centimètres de son visage, en attendant un signe de consentement. Elle ferma lentement ses yeux-galaxies et les rouvrit en un imperceptible sourire. J'approchai alors avec précaution ma main d'elle et caressa doucement sa peau. Sa mâchoire se desserra aussitôt et, elle prit ma main pour la serrer des siennes, la posant sur son genou.

- Qu'est-ce que tu en penses ? Souffla-t-elle enfin. Devrais-je le savoir ?

Sa question m'étonna de tant de maturité. Je savais quelque chose qui concernait sa famille, et qu'elle ne savait pas et elle ne sautait pas dessus par curiosité. À sa place, j'aurais harcelé la personne pour qu'elle me raconte tout dans les moindres détails. Mais elle, elle me demandait mon avis. Comme si mon ressenti comptait plus que tout.

- Je pense juste, répondis-je en bloquant ma respiration, que cet homme ne vaut pas ta peine.

Elle lâcha ma main sans brusquerie, pour les frotter contre son pantalon. Un geste que je l'avais vue répéter à de nombreuses reprises depuis notre première rencontre, mais qui ne m'avait jamais ôté l'envie de la sentir.

Elle regarda ailleurs quelques instants avant de me réexplorer du regard.

Cette fille avait beau se sentir faible, frêle, fragile, elle ne se rendait pas compte de la force incroyable qui la possédait, et elle ne se rendait pas compte de la puissance de ses yeux. J'aurais voulu que les miens se changent en miroir pour qu'elle puisse enfin le voir. Peu de gens regardent vraiment les autres, peu de gens ont ce courage inouï de se plonger dans une autre âme en passant par ses yeux, et peu de gens savent vraiment voir à l'intérieur. Andromède oui, et ce avec quiconque.

- Très bien, reprit-elle. Ophélia je te fais confiance. Et je te la donne.

- Tu me la donnes? Questionnai-je.

- Ma peine. Répondit-elle avec le plus grand et calme sérieux qui soit. Il n'y a que toi qui semble la valoir. Je te donne ma peine, je n'en veux plus, et je sais que tu sauras la garder.

Une larme coula soudain sur ma joue gauche. Je ne comprenais pas comment un être pur et aussi brillant pouvait exister. Je ne comprenais pas ce qu'elle faisait devant moi, qu'est-ce que j'avais fait pour la mériter dans ma vie, et qu'est-ce que l'humain avait fait pour la mériter sur cette terre.

En pensant cela, je me rendis compte que non, on n'avait rien fait, et on ne la méritait pas.

Je fondis alors en larmes, basculant sur ses cuisses.

_________

Je m'étais calmée, et on regardait le ciel rougeoyer en silence. Dieu ce que je l'aimais. Je l'admirais tellement. Elle était si extraordinaire. Je n'avais jamais rencontré quelqu'un comme elle. J'avais envie de passer ma vie à l'explorer. J'étais persuadée qu'elle était une source infinie de mystères. Et je ne voulais même pas tous les percer. Elle était tout aussi belle ainsi. Ça la rendait si attirante.

Le comble c'était qu'elle n'avait aucune idée de toutes ses qualités. Elle était si peu sûre d'elle, que je brûlais de tout lui crier. Mais pas un seul mot ne sortit de ma bouche. Je me contentais de tourner le regard vers elle, qu'elle me rendit en un sourire.

- On est le jour. Il est 7h, annonça-t-elle. On pourrait rentrer se coucher, t'en dis quoi ? Je suis un peu fatiguée.

- Bien sûr.

Et re-rebelote. Un dernier coup d'œil à la mer et nous étions reparties. Sur le trajet, on parlait peu. La fatigue tapait sous nos yeux et dans nos sourires timides. Ses paroles lentes à peine perceptibles dans la ville se mettant en mouvement autour de nous. Tout était si doux.

________

Je ne pouvais définitivement pas lui dire ce que je ressentais pour elle. Je ne voulais pas tout gâcher. Et même si je l'avais voulu, je n'aurais pas pu. Physiquement, les mots ne voulaient pas sortir. Ils avaient probablement aussi peur que moi.

Alors que nous nous étions couchées, je me sentais terriblement impuissante, pas à la hauteur... C'était si dur à faire. Dire quelques mots seulement. Je n'en étais pas capable et je m'en voulais. Il y avait eu mille moments parfaits pour le faire, mais j'attendais toujours le « bon » comme une idiote. Il n'y avait pas de bon moment. Seulement celui qu'on choisit. Et j'étais trop lâche pour le choisir. Je m'en voulais.

- Ça va Ophélia ? Me murmura Andromède.

- À vrai dire pas vraiment, soufflai-je.

- Tu veux en parler ?

- À vrai dire... pas vraiment.

- D'accord. Tu veux un câlin à la place ?

- S'il te plaît, oui.

J'ai cru mourir sur place. Elle ne m'avait jamais fait de câlin. D'habitude, c'était moi qui les faisais et elle qui les recevait. Je ne croyais pas une seule seconde à ce qui était en train de se produire.


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Andromède


Je ne pouvais plus respirer. Ophélia. Celle qui avait pourchassé toutes mes ombres. Ophélia, qui me faisait trembler, mais plus de peur. Ophélia à cause de qui je ne pouvais plus penser. Ophélia pour qui je mourais. Ophélia grâce à qui je dormais de nouveau.

Elle était à présent si proche. Elle l'était plus que mon cœur. Lui s'était enfui avec mon âme.

Elle était dans mes bras, que je n'avais plus ouverts depuis si longtemps. Sa chaleur traversait mon être tout entier. Je la sentais vivre. Je me sentais vivre. Elle était dans mes bras, sa bouche tout près de mon oreille, elle murmurait mon prénom. Et puis quelques paroles qui changèrent ma vie à jamais...

«Montre-moi... Montre-moi que c'est pas si dur d'aimer.»

Je sentis de l'eau pleuvoir dans mon cou.


CollisionsWhere stories live. Discover now