11 - Navires ennemis

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Ric

Un silence absolu régnait dans la salle de bain vide, dans laquelle je n'osais bouger d'un poil ni mes membres, ni mes yeux. Après plusieurs secondes s'écoulant en mille battements de cœurs, un râle rauque sorti de sa bouche sans un seul sanglot :

- Putain de connard.

Je ne savais que répondre, mais elle répéta ces mêmes mots plusieurs fois, la tête entre les mains. Je me levai donc enfin, malgré mon corps tremblant de choc, et sortit de la baignoire, en m'approchant d'elle, je lui dis:

- Oph'... Il est parti... Ça a pas du être facile, je... Il est parti.

Toute sa rage sortit alors de son corps qui semblait pourtant si vulnérable:

- JE SAIS QU'IL EST PARTI, C'EST DE TOI QUE JE PARLE, PUTAIN DE CONNARD.

Je fus propulsé par cette colère qui s'abattait contre moi avec incompréhension, et elle reprit avant que je ne puisse sortir un seul son de ma bouche toujours ouverte.

- T'étais là depuis le début, t'as tout entendu, tu l'as laissé faire, t'aurais pu faire quelque chose dès le début, t'as tout entendu, tu l'as laissé me toucher, tu l'as laissé faire alors que ça a été si simple de le faire dégager. T'es presque autant un connard que lui, t'attendais quoi?

Ma bouche était désormais un désert qui s'écoulait peu à peu dans toutes les parois de mon être. Impossible de faire quoique ce soit.

Effectivement, je me rendis compte de ma connerie monumentale, j'avais agis comme le pire des lâches. J'avais mis beaucoup trop de temps à me décider, la peur m'avait glacé et mes pensées m'avaient accablé. Je me sentais tellement honteux, tellement bête, tellement dépaysé. Je ne m'étais pas mis à la place de cette fille une seule seconde, j'avais seulement pensé à moi tel un véritable égoïste. L'horreur me frappa soudain, je ne pouvais pas comprendre ce qu'elle avait ressenti, car je n'en avais jamais fait l'expérience, mais je ressentais maintenant la gravité de la situation. Ses mots m'avaient glacés le sang, j'avais eu peur, je m'étais senti vulnérable... Alors, elle? Je n'osais même pas imaginer tous ces sentiments décuplés par au moins mille, traversant Ophélia dans tout son être. Elle avait du se sentir dans une détresse sans issue... Elle avait du penser qu'elle était seule, toute seule face à un agresseur répugnant qui ne lui aurait laissé aucune chance. Je ne sais pas jusqu'où il était allé mais même s'il aurait pu aller bien plus loin, c'était déjà beaucoup trop.

Un déferlement de larmes courut de mes yeux jusqu'au sol gelé et je les rejoins en sanglotant. Je sentais le regard d'Ophélia peser sur moi, mais ayant ma tête réfugiée dans mes genoux et mes yeux remplis d'eau, je ne pus savoir quelles émotions l'envahissaient alors. Je réussis à sortir une phrase d'entre mes grelottements: «Je te jure Ophélia que ça n'arrivera plus jamais, je te le promets.»

Et je savais pertinemment que ce n'était pas assez, rien n'effacerait ce qu'il venait de se passer et je ne pouvais pas me faire pardonner, mais je n'avais jamais été aussi sincère. J'avais pris la décision de la protéger coûte que coûte.

Je finis par relever ma tête tout en essayant d'essuyer mes larmes qui n'arrêtaient pas de couler. Je vis enfin Ophélia, qui arborait une expression indéchiffrable. Alors je continuai à grelotter:

- Tu peux me détester, tu peux m'en vouloir et me crier dessus autant que tu veux. Je suis si désolé je...

- Ric...

Entendre de nouveau sa voix me remplit d'autant de soulagement que de peur.

- Merci d'avoir été là, murmura-t-elle en me transperçant de ses yeux.

Elle fit un mouvement vers moi et vint se blottir dans les bras que j'ouvris pour elle. Son visage était resté sec tandis que je mouillais ses cheveux avec le mien.

- Je suis désolé, lui dis-je en la serrant contre moi.

Le souvenir de cette scène allait nous hanter bien longtemps.

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Andromède

J'ai toujours du m'équiper contre la vie.

N'ayant pas de frères et sœurs, il a bien fallu que je m'invente des camarades. Petite, je jouais seule au pirate. Enfin, pas exactement. Je n'étais pas seule. Ma mère dit toujours que j'avais une imagination débordante. Je vivais et riais avec des personnages, des êtres imaginaires mais réconfortants. Ma meilleure amie était une sirène qui s'appelait Nelly, et j'avais un perroquet géant qui s'appelait Claude. « Claude, comme tonton », c'était la phrase que je répétais pour l'expliquer à ma mère, paraît-il. Son frère s'appelait Claude, et il avait fallu que j'appelle mon animal imaginaire comme lui... Pourquoi ? Bonne question. Moi-même je ne me rappelle plus du tout. Peut-être parce qu'il était bavard et blagueur, un point commun entre les tontons et les perroquets. Mais, je pense qu'il y avait un lien de plus : un côté aimant et loyal.

C'était toujours chez tonton Claude – qui n'habitait qu'à quelques minutes de mon ancienne école – qu'on allait pour me réconforter quand je m'étais fait un bobo, ou que maman en avait marre de mes caprices. C'est sûr que, seule, ça n'avait pas du être simple de m'éduquer.

Quant à l'aspect « géant » du perroquet... je n'ai aucune explication. D'après les rumeurs (ma mère), je disais qu'il faisait ma taille. Je n'étais pas bien grande à l'époque, mais un oiseau multicolore d'un mètre vingt, c'est tout de même assez effrayant. L'esprit enfantin est quand même merveilleux, et extraordinaire. Je me demande si ma mère trouverait que je suis toujours autant imaginative, si elle savait ce qui tournait dans ma tête.

Tout ça, c'était il y a des années, des souvenirs, des vies entières. Aujourd'hui, ça fait longtemps que tonton Claude est mort, emportant avec lui son homonyme à longues plumes et mon enfance.

Aujourd'hui, plus personne pour m'offrir une glace après un bobo, et personne pour me défendre des navires ennemis.

Mais il me reste toujours mon monde intérieur, qui a du pourtant bien changer. Je m'y vois sur une autre planète, avec des habitants à la peau violette et aux lèvres bleues. Il y fait nuit tout le temps pour qu'on puisse mieux s'observer. On est tous faits d'étoiles. Notre langue se parle avec les yeux, et notre sommeil est gardé par des panthères nébuleuses. Chassant les mauvais cauchemars et nous caressant de leur doux pelage pour nous aider à trouver de paisibles rêves. Là-bas on écoute mes iris et on plante nos pensées, qui grandissent et forment d'immenses champs. Les saules pleureurs n'existent pas.

C'est le seul endroit où je me sente bien, et en sécurité. Je m'y réfugies à chaque fois que je ferme les yeux. Mais je ne sais toujours pas où c'est... probablement sur une planète de la galaxie d'Andromède.

CollisionsDonde viven las historias. Descúbrelo ahora