46 - Une fille s'est mise à danser

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Andromède

Tom à l'avant, je reboutonnais correctement la chemise d'Icare à l'arrière tandis qu'il se dolentait encore dans le vide. Cela faisait un moment que sa mère avait arrêté de l'écouter, préférant papoter avec son copilote.

Ce n'était qu'une fois arrivés et que sa mère nous avait chaleureusement souhaité une belle soirée qu'il avait arrêté de parler. Ou plutôt au moment où Ophélia, en ayant entendu notre arrivée, se précipita vers nous en criant un prénom.

Sans que je n'aie le temps de réfléchir, elle me serrait déjà très fort dans ses bras. C'était mon nom qui était sorti de ses lèvres.

Tandis qu'elle m'enlaçait, je ne voyais plus qu'un pouce en l'air de Tom à travers ses cheveux roux. Icare ne fit qu'une seule remarque plaintive « pourquoi tu te jettes pas dans MES bras ? » avant de se la boucler pour de bon quand Ophélia s'approcha pour l'embrasser sur la joue.

_____

Ric

Toute façon c'est toujours Andromède la préférée de tout le monde. Je commence à m'y habituer.

À moi aussi c'est ma préférée alors je peux rien dire. Bref. Ça faisait du bien de revoir tous les potes. Je retrouvais avec joie les gars du lycée avec qui je m'éclatais.

Ça faisait un long moment qu'on ne s'était retrouvés qu'enfermés tous les quatre dans notre petite bulle inéclatable, et en voir l'extérieur me remplissait d'une joie nouvelle. Mais j'y étais encore, dans cette bulle, et je voyais encore ce savon rempli de reflets arc-en-ciel qui faisait comme un filtre devant tout ce que je percevais. Tout me semblait plus réel, plus important, lorsque je croisais le regard complice d'Andromède après avoir ri à une blague, lorsqu'Ophélia posait ses yeux réprobateurs après m'avoir entendu dire des bêtises... Nous n'étions pas concentrés que sur nous quatre, nous ressentions simplement ce lien en dehors de tout contexte. La preuve, durant la soirée Ophélia menait sa petite vie, flirtant avec un mec nommé Sam, à qui je n'avais parlé que quelques fois mais qui était sympa. J'étais content pour elle. Je les voyais beaucoup rire et des fois ils disparaissaient tous les deux quelques minutes. J'avais pas envie d'en savoir plus, tant que je la voyais à l'aise, au contraire de Tom qui les suivaient tout le temps du regard.

À quelques minutes de minuit, on était tous dans le salon sauf Ophélia et, l'oubliant quelques secondes on avait fini par tous se jeter dans les bras des uns et des autres en se lançant des cris de joie. Même Andromède qui semblait réticente aux vœux de bonne année s'était prise au jeu. Cependant, après avoir fait le tour, la grande absente commençait à se faire remarquer dans nos rangs, et Tom lançait des regards interrogatifs et des sourcils froncés à Andromède et moi à travers les gens.

- Mec, faut mener l'enquête, me chuchota-t-il dans l'oreille après avoir réussi à se frayer un chemin jusqu'à moi.

- Mais arrête ton cinéma, elle est grande, elle fait ce qu'elle veut ! Ripostai-je tout aussi bas. Demande à Andromède.

- Elle n'a pas dansé de la soirée, constata Andromède.

- Et? m'impatientai-je.

- C'est bizarre... Mais t'as raison Icare. Elle fait ce qu'elle veut.

- Ah! Tu vois, rétorquai-je malicieusement à Tom. Ophélia c'est pas ta gosse ni ta meuf, donc laisse-la un peu.

- Mec, tout le monde nous regarde sois plus discret.

- MAIS JE CHUCHOTE LÀ !

Au grand bonheur de Tom, un ami de Sam nous avait entendu et s'approchait de nous.

- Vous parlez des deux qui ont loupé minuit ? Nous interrogea-t-il en rigolant.

- Ouais, j'en ai marre qu'ils partent sans arrêt, je sens un truc louche, murmura Tom d'un air complotiste.

- Non non à vrai dire on s'en fout un peu, c'est...

- Non mais t'en fais pas Tom, reprit notre interlocuteur. Il s'est encore rien passé, ils discutent c'est tout, on peut même aller les voir si tu veux.

Et c'est ainsi que j'avais perdu Tom qui accourut de suite aux côtés de l'ami de Sam, à leur recherche. Je ne le comprenais pas bien, je croyais qu'il avait tourné la page. J'étais aussi très protecteur envers Ophélia depuis que j'étais resté toute une soirée avec elle dans la salle de bain de Paul-le-gros-con, mais je savais quand même faire la part des choses. On allait pas régler sa vie dans le prétexte de la protéger. Je me surpris d'autant de sagesse, et me remis en route vers de nouvelles aventures.

Plus tard, je jouais au charmeur de camping un peu ivre en faisant de la guitare pour animer la soirée à base de quatre accords en boucle. Tom, revenu de sa surveillance, m'accompagnait en tapant plus ou moins en rythme sur le canapé. C'était assez drôle de voir les gens chanter faux avec moi. Andromède me regardait de loin en riant, elle était occupée à parler avec d'autres gens, et j'étais content qu'elle trouve sa place parmi ce désordre. Après quelques minutes de Céline Dion et de Louise Attaque, les gens se dispersèrent, fatigués, et elle me rejoint doucement en me demandant une chanson. Je regardai les accords sur internet et commençait des arpèges.

Sur la place chauffée au soleil
Une fille s'est mise à danser
Elle tourne toujours pareille
Aux danseuses d'antiquités

Je ne m'attendais pas du tout à une Andromède chantante, je ne l'avais jamais entendue.

Loin de la grandeur de Brel, c'était la douceur qui résonnait dans la pièce, dans nos corps. Sa voix lente et incertaine embrassait les mots et nous les offrait. J'étais étonné, subjugué, et heureux de l'accompagner. Mais je n'étais pas le seul surpris ; Ophélia de retour parmi nous, debout au milieu de la pièce, avait suspendu son geste dans le vide et arrêté tout mouvement. Ses yeux étaient rivés sur Andromède ; et Sam qui attendait toujours son verre n'eut aucune réponse. La chanteuse ne semblait pas s'apercevoir de ce qu'elle nous faisait, et continuait doucement...

Ainsi certains jours paraît
Une flamme à nos yeux
A l'église où j'allais
On l'appelait le Bon Dieu
L'amoureux l'appelle l'amour
Le mendiant la charité
Le soleil l'appelle le jour
Et le brave homme la bonté

Tom avait lui aussi fait une pause de toute activité et écoutait en silence, alors que le monde tournait toujours. La fête battait toujours son plein et les discussions, les rires, les cris ne s'étaient pas arrêtés. C'était loin d'être un spectacle assourdissant, à en couper le souffle, c'était juste une fille qui chantait sur une guitare. Les autres n'y prêtaient pas d'attention. Mais c'est ce qu'elle nous faisait à nous trois, qui avions tellement l'habitude d'une Andromède réservée et effrayée. C'était à la fois de l'émerveillement et de la fierté. De la voir livrer autant d'âme.

Sur la place un chien hurle encore
Car la fille s'en est allée
Et comme le chien hurlant la mort
Pleurent les hommes leur destinée

CollisionsWhere stories live. Discover now