64 - Le bus et les chips

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Ophélia


En sortant du bus, on avait un peu pleuré (beaucoup pour certains mais je ne citerai pas de noms) dans les bras de Tom, puis on s'était fait des promesses, puis on l'avait regardé partir avec le sourire. La mère de Ric attendait son fils dans sa voiture pour le ramener à la maison. Mais aucun véhicule n'était là pour moi ou Andromède. On s'était mises d'accord avant de partir que je dormirais chez elle à notre retour, pour ne pas qu'elle se retrouve toute seule d'un coup, après un week-end à quatre.

- Je vais toujours chez toi ce soir ? Demandai-je timidement, sans oser la regarder.

- Si tu le veux toujours, bien sûr, me répondit-elle un sourire dans la voix.

Nous primes alors le bus jusqu'à sa maison, en silence songeur. J'étais nerveuse, mais aussi tellement heureuse. Revenir à la réalité ne m'effrayait pas. J'aimais ma routine, j'aimais notre petite ville, j'avais toujours hâte de passer du temps avec mes amis du lycée. Mais cette réalité était devenue encore plus merveilleuse depuis qu'Andromède y était entrée avec ses cheveux en bazar et ses joues rosies.

- Pourquoi tu souris comme ça ? Me demanda-t-elle alors que nous sortions du bus après quelques arrêts.

- Je ricane toute seule dans ma tête. Je viens de penser à la première fois où on s'est parlées. C'était à ma soirée d'anniversaire, tu étais toute timide et tu as bégayé un truc genre « j'ai pris le bus et des chips ».

- Oh non, tu t'en rappelles... c'était incroyablement gênant.

- Au contraire c'était mignon.

- Si tu le dis... Enfin, malgré ma timidité j'ai bien fait de venir. Je devrais remercier Icare, ou Juliette, ou Mercutio, de m'avoir invitée.

- De t'avoir invitée ? C'est moi qui ai du forcer pour qu'il te ramène !

- Quoi ?! s'étonna-t-elle. C'est toi qui a voulu que je vienne ? Mais on s'était jamais parlées ! C'est impossible, tu savais même pas que j'existais.

- Justement, c'était l'occasion pour le faire. Et bien sûr que si, je savais que tu existais. Je te voyais souvent au lycée, et puis, j'avais failli te parler un soir, si seulement y avait pas eu Ric.

- Un soir ? Mais quand ?

J'osais enfin la regarder. Nous marchions côte à côte sur le trottoir mais je détournai tout de même la tête vers son visage interloqué, au risque de me prendre un poteau en pleine face. Je ne puis m'empêcher de sourire encore plus. Elle manquait tellement de confiance qu'elle ne comprenait pas comment moi, Ophélia, j'aurais pu la remarquer. Mais être Ophélia ce n'était en réalité pas grand-chose, et j'avais toujours eu envie d'aller lui parler.

- Le soir du concert, dans le parc de la ville. À la fin de l'été. J'espérais tellement que tu viennes danser avec moi. Justement, je suis le genre de personne à inviter les gens à danser mais, j'avais peur de t'embarrasser. Et puis tu étais de l'autre côté du public. Mais j'ai pas pu m'empêcher de te fixer pendant toute la chanson qui parlait de toi.

- Mon dieu, la chanson sur Persée et Andromède, je me souviens très bien. Je souriais toute seule en pensant que personne ne réagirait, mais j'ai levé les yeux sur toi et tu me parlais de loin... J'ai cru avoir rêvé.

- T'as pas rêvé. Après ça je me suis levée pour faire tout le tour du public et te rejoindre, je me suis dit que c'était le moment. Mais j'ai croisé Ric et il m'a alpaguée, alors qu'on se connaissait même pas non plus. Il m'a parlé de Tom, et le temps de passer à autre chose tu avais disparu, je ne te retrouvais plus.

- Wow... Quel manque de timing.

- C'est fou hein ?

- C'est la chose la plus folle que j'aie jamais entendu en effet. Merci alors de m'avoir invitée à ta soirée. Même si je ne comprends pas pourquoi. J'étais juste personne, comment tu connaissais même mon nom ?

- Andromède, prononçai-je en m'arrêtant soudain. T'as jamais été personne. Je connaissais ton nom parce que je le connaissais, c'est tout. On est dans le même lycée. Tu comprends pas, parce que te rends pas compte...

On était maintenant face à face, arrêtées en plein milieu du trottoir. On était presque arrivées chez elle et malgré le froid on n'allait pas attendre d'y être. Cette discussion était beaucoup trop importante pour la reporter à dans quelques minutes. Je devais réunir tout mon courage et passer « en mode Oph' » comme dirait Ric.

- T'es comme personne d'autre, me lançai-je alors que ses grands yeux se relevaient vers les miens. Je voyais une fille adorable, être très souvent seule, toujours la tête baissée dans un carnet, parlant très peu, regardant le monde comme si elle allait en transpercer chaque élément. Ton nom n'aidait vraiment pas. Andromède. Comment ne pas en être frappé ? Tu dégages quelque chose de si fort, tout ton être était un mystère pour moi. Tu étais la seule personne qui ne m'était pas accessible, tu avais l'air si loin, je voulais découvrir où tu étais, ton monde me semblait fantastique. J'étais curieuse et aussi un peu envieuse, car je suis un livre ouvert moi, je n'ai rien de mystérieux, rien d'exaltant, rien à découvrir. Ce n'était même pas amoureux au départ. Je voulais juste connaître. Je ne comprenais pas pourquoi c'était si difficile avec toi alors que je suis normalement très sociable. C'était super frustrant. L'inatteignable Andromède. Tu avais l'air si douce et gentille. J'avais besoin de ça.

Et je ne me suis trompée sur aucun point. Au contraire, tu m'as donné plus que tout ce que j'aurais pu espérer. Je suis tellement heureuse de te connaître à présent, et de savoir où tu es. J'ai l'impression d'y être avec toi. Dans ton monde étoilé. C'est le plus beau monde que j'aie jamais vu et j'espère y rester le plus longtemps possible. Je m'y sens mieux que nulle part ailleurs.

J'avais soufflé tout ce qu'il y avait dans mon âme depuis des mois et des mois. Les mots s'étaient échappés sans que mon cerveau ne les contrôle, mes lèvres avaient simplement couru jusqu'à épuisement. Mais son silence me faisait affreusement peur à présent. Je n'avais jamais vu ses yeux aussi grands et n'avais aucune fichue idée de ce qu'ils ressentaient à présent.

- Désolée, tout ça m'a échappé, je voulais pas te mettre mal à l'aise... On peut se remettre en route si tu veux.

Elle arrêta le mouvement que j'avais amorcé pour repartir en m'attrapant l'épaule, comme je l'avais fait la première fois où je l'avais touchée. Elle prononça un « non... » en sondant tout mon visage. Mon cœur s'affolait tellement que j'aurais pu tomber dans les pommes d'un instant à l'autre. Son regard qui brûlait chaque pore de ma peau s'arrêta lentement sur mes lèvres, tandis que ses pieds se mirent doucement sur leur pointe. En une fraction de seconde, sa bouche était sur la mienne. Tous mes organes internes fondaient et remuaient mon corps entier. Le contact de ses lèvres sèches était la meilleure sensation que je n'avais jamais connue. Son nez froid était collé à ma pommette chaude, et sa main glacée agrippée à ma joue.

Au bout d'une éternité qui m'avait semblé bien trop courte, elle se dégagea précautionneusement, en laissant une Ophélia sans voix, bras ballant, les yeux grands ouverts dans le vide. Son contact me manquait déjà. Je l'aurais embrassée en retour directement si j'avais pu faire un seul mouvement.

Elle me dit alors ce que je n'avais pas compris dans ses yeux quelques instants auparavant.

- Je suis amoureuse de toi, Ophélia.


CollisionsWhere stories live. Discover now