21 - des chips

1 0 0
                                    

Andromède

Cette exclamation comme une sentence m'avait laissée bras ballants, au milieu de la rue, dos au monde et à ses devoirs de courage.

Une main sur mon épaule et je devinais déjà son sourire sans le voir.

- Je ne savais pas si tu viendrais finalement.

Et dire que je me croyais au bord de la suffocation il y a quelques instants... À celui-ci c'était mille fois pire. Ses grands yeux verts s'étaient proclamés devant moi et j'ai su qu'ils sonnaient mon point de non retour. Je m'étais suis donc insufflée la force nécessaire pour répondre les mots qui seraient gravés comme les premiers que j'adressais à Ophélia. Une réplique vive et assurée, pleine de spontanéité et d'assurance, la phrase qu'on retiendrait par sa poésie, son esprit, et qui ferait rêver n'importe quelle personne à qui on raconterait cette rencontre incroyable.

«- Je.. oui. Je... suis... oui en bus... J'ai apporté des chips.»

J'avais oublié que j'étais Andromède. Toute confuse avec des lèvres tremblantes et des cordes vocales serrées. Mais au lieu de fondre sur place comme j'aurais aimé, -et comme mon cerveau le faisait dans son coin- j'avais exprimé un léger sourire, auquel elle avait répondu de toutes ses dents.

- Parfait, tu es parfaite, il nous manquait justement des... commença-t-elle en essayant de trouver du regard ce que j'avais apporté.

- Des Pringles, dis-je en brandissant le paquet et lui tendant.

- Il nous manquait justement des Pringles! Sourit-elle encore en me prenant le paquet d'une main et ma main dans l'autre. Tu viens?

Je hochai la tête en la suivant, sa main guidant la mienne et tout mon être. Dans les livres, c'est à ce moment qu'intervient le coup de foudre. C'est à ce moment que la pluie tombe et que la chaleur de l'autre nous imprègne et nous apaise. On ressent une décharge électrique dans tout le corps à partir d'un simple contact, et on se réfugie sous un parapluie.

Là, rien de tout ça.

Ma seule pensée: « Au secours quelqu'un me touche je hais ça. Au secours j'ai la main tellement moite qu'elle va dégouliner dans la sienne et je serai morte de honte. »

Je haïssais Mercutio de ne pas être venu m'ouvrir.

La belle robe vert émeraude d'Ophélia franchit la porte pour retrouver l'intérieur, suivie par mon vieux pull et mes baskets trouées. Et nous voilà dans un autre univers. Un univers qui n'était pas le mien. Elle lâcha alors ma main dont j'essuyai de suite la moiteur sur mon jean, en essayant d'oublier qu'elle l'avait sentie.

Nous nous retrouvions dans un couloir blanc, aux légers meubles noirs. La musique et les rires en fond enlevaient l'atmosphère froide qui devait se dégager de la décoration en temps normal. Les lèvres roses d'Ophélia me firent une courte visite, en montrant de ses doigts aux ongles corail les différentes portes et l'escalier. Perdue dans mes pensées, je n'écoutais rien du tout, et la suivis sans un mot jusqu'au salon, où un petit groupe de personnes discutaient avec vigueur autour du canapé gris. Cela n'avait rien à voir avec les films d'adolescents qui font des soirées avec tout le lycée. Je ne savais pourtant pas si j'en étais soulagée. J'aurais pu me fondre dans la masse, avec une cinquantaine de personnes bourrées. Mais ici malgré la musique, personne ne dansait encore et je me trouvais contrainte à les rejoindre. Mon entrée ne fit pas grand fracas, et ma timidité s'en réjouit. Personne ne se retourna vers moi, et Ophélia m'invita à m'asseoir avant de partir dans une autre pièce -que j'aurais su identifier si j'avais écouté sa visite.

Super. Que des inconnus au milieu desquels je devais m'imposer pour qu'ils remarquent ma présence. Déjà abandonnée par Mercutio et Ophélia au bout de cinq secondes. Je soupirai intérieurement. J'aurais du m'en douter. Ce n'était pas parce qu'ils m'avaient invitée qu'ils allaient être collés à moi toute la soirée. Bon. Je m'avançai et commençai à m'asseoir parmi eux. Un garçon aux épais cheveux châtains cendrés et aux yeux foncés que j'avais déjà vus s'exclama :

- Hey ! C'est Andromède ! Salut jolie étoile !

Étonnée mais satisfaite de ne pas avoir fait le premier pas, je souris et pris place à côté de lui.

- On s'est vu en coup de vent un jour, on m'a beaucoup parlé de toi! reprit-il. Moi, c'est Tom.

« On » m'a beaucoup parlé de toi ? Bizarre.

Quoiqu'il en soit, il m'avait allégée de la corvée de me présenter en me faisant le tour des prénoms. Tout le monde était très joyeux et très bavard. En y réfléchissant, ils avaient plutôt l'air tous ivres. Ils me proposèrent une bière que je pris machinalement dans ma main aussitôt rafraîchie. Je ne savais pas trop ce que je faisais là, au milieu de ce brouhaha. On m'adressa quelques fois la parole, essayant de me mêler à quelconque débat, ou me racontant un tas de choses auxquelles je hochais la tête et répondais par monosyllabes. J'avais du mal à suivre, à écouter, je n'étais pas très enjouée et attendais que tout passe. Je n'étais pas particulièrement mal, mais je ne savais pas quoi faire ni quoi dire. J'étais bien souvent spectatrice à des paroles qui s'envolaient, qui balbutiaient, qui s'éclairaient. Sans avoir aucune interférence avec ce qu'il se produisait autour de moi.

Tom interrompit mon songe en me proposant un décapsuleur, pour ma bière que je serrais depuis de longues minutes dans mes mains sans penser une seconde à la boire. Je lui tendis pour qu'il me l'ouvre, et je profitai de son geste pour fuir. Faire un tour de la maison ne me ferai pas de mal. Et, il avait gagné une bière.

_____

Ric

- COMMENT ÇA ELLE EST LA ?!

- Roh ça va, qu'est-ce que t'as depuis tout à l'heure, t'es chiant, viens un peu avec nous au lieu de compter les carreaux du carrelage, râla Ophélia en levant les yeux au ciel.

- Je ne suis pas du tout en train de les compter, je n'ai pas que ça à faire non plus ! Par contre, tu as 12 verres à pied et 20 verres normaux, dont 5 qui étaient autrefois des pots à moutarde, me défendais-je.

Elle était merveilleusement belle ce soir, dans sa robe légère et ses cascades. Mais elle venait de m'apprendre l'arrivée d'Andromède et je ne pouvais pas me résoudre à sortir de cette cuisine, où j'étais assis à même le sol. Pourquoi déjà ? Je devais m'être perdu en allant chercher un verre... duquel je n'avais sûrement pas tant besoin en y réfléchissant.

Je venais seulement de regarder mon téléphone et de voir un « Je suis là. » d'un numéro inconnu, il y a... 25 minutes... Quel con, elle avait du attendre un moment dans le froid. Et ça faisait aussi un moment qu'elle était séparée de moi par un maigre mur, entre ces deux pièces de la maison. Il y avait une dizaine de minutes, j'avais entendu Ophélia sortir, et rentrer à nouveau quelques secondes plus tard, mais n'avais eu aucune idée que c'était pour accueillir Andromède. Bref, maintenant je le savais et n'étais pas prêt de me lever.

- C'est bon, elle va pas te bouffer couillon, elle est toute douce et adorable, continua la grande blonde -ou rousse, j'en sais fichtrement rien.

- Oui, justement, c'est ça le problème, affirmais-je en pinçant mes lèvres. Ma réponse a eu le don d'énerver mon interlocutrice.

- Oh c'est bon, mec, quoi t'es amoureux ? Tonna-t-elle en s'emportant. Allez, Ric ! Bouge-toi !

Je n'eus pas le temps de me défendre qu'une chevelure brune emmêlée passa timidement la porte. Et merde, elle avait du tout entendre.

CollisionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant