25 - Vivre

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Ric

- Parce que... commençai-je sans savoir où aller.

- Parce que ? m'encouragea t-elle. Tu peux tout me dire, tu sais.

Il fallait bien que j'avoue tout à quelqu'un. Et puis elle me semblait pour cela la personne parfaite au moment parfait. Je pris une énorme inspiration et déballait tout d'une traite :

- Parce que je veux vivre, je te jure, j'en peux plus, j'étouffe. Cette soirée c'était bien, c'était super même, mais c'était pas assez. Je sais que ma vie recommencera normalement dès lundi, et je veux pas ça.

Je veux partir au bout du monde et faire l'amour sur un voilier, je veux goûter à la douceur des levers de soleil rouges, sans avoir peur de la nouvelle journée, je veux pas regretter de pas avoir tout vécu. J'en peux plus d'envier les autres, leurs groupes d'amis d'instagram, leurs nuits et leurs jours qui sont tous plus fous les uns que les autres, leur amour leurs musiques leurs yeux rouges leurs champs déserts leurs routes leurs toits, leurs rires, leurs bouts de poèmes, tout est si grand, si près mais hors de portée. Moi je suis dans mon lit, seul, je regarde ça et c'est dérisoire, ma vie, j'y pense plus, plus à rien, juste le vide, la peur du vide.

Ophélia haussa les épaules :

- T'attends quoi ?

- J'attends quelqu'un. Que quelqu'un vienne me sauver. Dis-je avec un peu trop de désespoir.

- ... , me regarda-t-elle de ses grands yeux verts.

- ... , la regardai-je de mes grands yeux bleus.

- Personne viendra te chercher Ric, déclara-t-elle enfin.

Un silence et une grande respiration de sa part avant qu'elle continue.

- Faut que tu comprennes que ce soir là, le soir de la salle de bain il y a un mois chez Paul, c'est seulement le hasard qui m'a mené à toi. Et le hasard il jouera pas toujours dans ton camp. Le hasard il en a rien à faire de toi. Je suis pas venue te chercher dans ta foutue baignoire. Comme tous les invités, j'avais pas remarqué que t'étais parti. Ouais, désolée c'est méchant de dire ça, mais c'est la vérité. On se regarde tout le temps soi-même ; je sais comment j'allais moi, et j'allais bien, j'étais là où je voulais être, avec des amis dans un salon, parfait. J'aurais jamais eu l'idée de penser à toi ou à quiconque d'autre. C'est pareil pour tout le monde.

T'aurais du passer cette satanée soirée tout seul dans ta baignoire. Ce qu'il s'est passé aurait jamais du se passer. J'aurais jamais du me retrouver à cet endroit dans cette situation.

Alors ancre toi ça bien dans le cerveau : personne ne viendra te chercher.

Tes foutus levers de soleil c'est à toi d'aller les chercher, personne te les amènera, personne apparaîtra tout à coup pour te prendre la main et t'emmener loin vivre des aventures folles.

Tu veux vivre ? Et bien sers-toi de ton cerveau si imaginatif et prends ta main tout seul, vis tout seul, pour toi, et pas avec des gens fantasmés... Tu sais tout ce dont tu me parles, tous ces autres. Ils ont une vie pareille que la tienne. Ils ont aussi peur du vide. Ils ont les mêmes amis que toi, ils rient autant que toi, ils vivent autant que toi, ils sont pas plus heureux. Tout ce que tu vois ce sont des images, tu saisis ? Ils savent rendre leur vie merveilleuse, ils rendent n'importe quoi extraordinaire, tu le dis toi même, un champ, un toit ? Ça c'est partout autour de nous, c'est la banalité...

J'ai pensé comme toi à un moment de ma vie, tu sais. Envier les gens, ils montrent tout ce qu'il y a de formidable dans leur vie. Et puis je me suis retrouvée parmi eux parfois, et je peux te dire qu'ils se font chier à crever. Tout est faux. Leurs sourires, leurs amitiés... Ils te montrent un truc cool qu'ils ont su tirer d'un moment où il se passait rien. Faut pas les envier parce que tu sais jamais ce qu'il y a derrière. Et puis, ça sert à rien. Toi, t'es tout beau, tout mignon, t'as une imagination de dingue, plein de choses à faire, des projets tous aussi pourris les uns que les autres, t'as une famille qui t'aime beaucoup, t'as des amis, tu fais pleins d'activités géniales, tu es super créatif... Tu vis déjà, et il serait temps que tu t'en rendes compte.

Je restais devant elle, penaud, sans savoir quoi dire, mais voulant attraper chacune de ses paroles et les piéger dans mon esprit. Sans savoir quoi faire, je lui souris, pris sa main et la rapprochai de mon cœur. Elle leva les yeux au ciel et annonça :

- Bon, j'ai dépassé mon quota de belles phrases pour la journée, voire pour toute la vie. Faudra pas attendre ça de moi régulièrement, sourit-elle en m'ébouriffant les cheveux. Ton bus arrive, je file, à la prochaine mon chou.

Je lui souris encore plus fort et hocha la tête en la regardant partir d'une démarche légère. On aurait dit qu'elle allait s'envoler.

« Mon chou ». En plus, elle se fout de ma gueule. J'ai tout gagné aujourd'hui.

CollisionsWhere stories live. Discover now